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Revenu universel de base ou salaire à vie : deux logiques antagoniques

Article paru dans la revue L’Anticapitaliste n°76 (mai 2016)

On s’est d’abord frotté les yeux : quelques plumitifs ultralibéraux agitent désormais l’idée d’un « revenu universel de base », qui est même maintenant étudiée par des officines gouvernementales. Rassurons-nous. Loin de se rallier au droit de chacun à une existence digne, ils voudraient nous faire ainsi avaler une précarité universelle.

C’est une vieille habitude : les idéologues du capital s’appuient sur les mutations technologiques pour proclamer que les protections des salariés sont désormais caduques, archaïques et contre-productives. Elles brideraient le progrès et empêcheraient in fine les travailleurs de bénéficier de tous les bienfaits de la nouvelle économie. Il ne s’agirait donc pas de prendre le parti du capital contre le travail. Ils nous disent que ces protections étaient adaptées au monde d’hier, mais qu’elles ne le sont malheureusement plus au monde d’aujourd’hui ; le changement technologique est cruel, mais on ne peut rien contre lui.

Mais comme nos idéologues ont du cœur, ils proposent de compléter ce retour au marché du travail déréglementé du 19siècle par une mesure généreuse du 21e siècle : le revenu universel de base, qui permettrait à chacun d’avoir un filet de sécurité pour (sur)vivre. Cette mesure est souvent confondue avec le salaire à vie (popularisé par Bernard Friot) parce qu’elle déconnecte une partie du revenu de l’occupation d’un emploi « octroyé » par un patron. Elle en est pourtant l’exact opposé. Car si le revenu de base est le complément nécessaire à la précarisation générale de la société, le salaire à vie est la subversion du marché du travail et la constitution des travailleurs en classe dominante, sur les plans politique et économique.

Un filet de sécurité pour les travailleurs ubérisés

Les nouvelles technologies sont une merveilleuse opportunité pour les capitalistes et leurs idéologues. Les rigidités du marché du travail nous priveraient de jouir pleinement des opportunités du nouveau monde. Il faut donc y mettre fin en procédant sur deux plans :

  • Détruire méthodiquement les « institutions du salariat », c’est-à-dire tous les acquis qui permettent au salarié d’échapper partiellement à la logique du capital, qui vise à réduire la force de travail à une pure marchandise. Cela passe par amputer la partie socialisée du salaire (les cotisations sociales), individualiser au maximum les salaires, etc. Le salaire doit dépendre de la « productivité » du travailleur pour celui qui l’emploie. Si la force de travail devient une marchandise défaillante ou récalcitrante, la rémunération doit baisser ou disparaître.
  • Transformer les salariés en travailleurs indépendants prestataires de services, et donc transformer le contrat de travail en contrat de service. Le marché du travail ne sera jamais assez flexibilisé pour certains. Pour mettre vraiment fin aux rigidités, il faudrait en finir avec le salariat. Cela aurait en outre l’avantage de faire disparaître (en apparence bien sur) les classes sociales : nous deviendrions tous des entrepreneurs qui vendrions et achèterions des services. Chaque individu, ou plutôt chaque capital humain, chercherait à se valoriser en vendant des prestations de services. La rémunération serait la contrepartie directe du service rendu, et l’acheteur (le capitaliste) n’aurait plus à financer un système de protection sociale archaïque. Fillon est le candidat à la présidentielle qui va le plus loin dans cette logique en proposant de faire basculer un grand nombre de salariés vers un nouveau statut de « prestataire indépendant ».

Avec la fin (souhaitée) des institutions du salariat, et donc le règne de la précarité généralisée, les idéologues de la bourgeoisie sont conscients de la nécessité de garantir un revenu minimal (déconnecté de l’emploi) pour permettre la survie et l’entretien minimal de la force de travail (pour qu’elle ne soit pas définitivement perdue pour le capital). C’est pourquoi le « revenu de base » est porté avec enthousiasme par les thuriféraires de la nouvelle économie. C’est le hochet « progressiste » qui permet de faire passer à la trappe plus d’un siècle de conquêtes ouvrières. Ainsi, les députés UMP (Frédéric Lefebvre) et PS (Delphine Batho) ont défendu ensemble le revenu de base lors de la discussion du projet de loi sur l’économie numérique.

Une subversion du capitalisme ?

Le revenu de base est tout sauf cela. Il contribue à flexibiliser le marché du travail et laisse intactes les institutions du capital. Le salaire pourrait alors être directement lié aux « résultats » obtenus par chaque travailleur puisque l’accompagnement social serait pris en charge par le revenu de base. C’est une logique perverse qui donne tous les pouvoirs à l’employeur dans le champ de l’économie sous prétexte que chaque travailleur a droit à un minimum vital par ailleurs. Et la boucle serait bouclée si le revenu de base était financé par une taxe sur le capital : les travailleurs auraient alors « intérêt » à ce que les profits soient les plus hauts possibles pour qu’ils puissent bénéficier des retombées les plus conséquentes via le revenu de base. Il faudrait alors renforcer la brutalité du marché du travail (et donc l’aliénation et l’exploitation au travail) pour obtenir un revenu de base substantiel.

Les partisans de gauche du revenu de base s’enferment de ce fait dans une contradiction inextricable : ils veulent un revenu inconditionnel élevé pour permettre à chacun de sortir de la société productiviste et consumériste. Mais un revenu de base élevé suppose une ponction importante sur les profits, et donc le développement de la sphère capitaliste productiviste.

L’impasse est totale. On ne peut pas construire un « à côté » du capitalisme, la sphère des activités libres, sans entrer en confrontation avec les institutions du capital. On ne peut pas s’émanciper du travail pour vivre librement. On doit émanciper le travail des institutions du capital pour aller vers une maîtrise collective du travail, donner du sens à l’activité sociale et permettre à chacun de vivre de son travail.

Le salaire à vie comme alternative anticapitaliste au marché du travail

Le revenu de base est le complément nécessaire de la précarisation des travailleurs. Le salaire à vie est à l’inverse la solution pour en finir avec la précarité et le marché du travail. Il s’agit de libérer totalement le travail de sa réduction à l’emploi « octroyé » par un capitaliste. La validation sociale du travail n’est alors plus opérée par les capitalistes, mais par les travailleurs associés : c’est la « pratique salariale » de la valeur que Friot oppose à la pratique capitaliste de la valeur (la valeur au sens de Marx). 

Il s’agit d’étendre à l’ensemble des travailleurs ce dont bénéficient déjà les fonctionnaires. Leur salaire dépend de leur qualification personnelle, qui leur est attribuée à travers un grade après la réussite à un concours. Il ne dépend pas du bon vouloir ou d’une évaluation d’un employeur, ce qui n’empêche pas le fonctionnaire d’être soumis (pour l’organisation de son travail) à une hiérarchie. Mais celle-ci n’a en théorie pas son mot à dire sur la rémunération du fonctionnaire, même si malheureusement la logique du statut est déjà remise en cause avec la mise en place de l’entretien professionnel (qui module la vitesse de progression d’un échelon à l’autre) et l’introduction de primes liées au poste.

Immédiatement une question se pose : comment garantir à chacun un salaire à vie ? Il faudrait basculer dans un système où il n’y aurait plus d’employeurs et où le salaire serait entièrement socialisé. Le marché du travail disparaîtrait et les capitalistes seraient expropriés. Chaque travailleur deviendrait alors un producteur associé ayant un statut lui donnant droit à un salaire à vie. Ce salaire serait la reconnaissance que chacun d’entre nous est un producteur de valeur économique, c’est-à-dire de valeurs d’usage dont l’utilité sociale est reconnue par la société.

Un projet communiste

Une objection arrive alors naturellement : si le versement d’un salaire est garanti, les gens ne feront rien et la société ne sera pas capable de satisfaire les besoins sociaux. Dans le cadre du capitalisme, on peut comprendre que certains soient tentés de fuir l’emploi s’ils en ont la possibilité matérielle. Produire sous la coupe d’un employeur, être dépossédé du contrôle de son activité n’est guère enthousiasmant. En revanche, l’être humain aspire à produire, à agir sur la matière, à se rendre utile, pour satisfaire les besoins de ses congénères. L’être humain n’aspire pas à rester cloué dans son lit à ne rien faire. Les producteurs associés auront alors à se répartir le travail (et pas l’emploi, qui aurait disparu) pour satisfaire l’ensemble des besoins sociaux. Pour les tâches jugées spontanément peu attractives, deux pistes sont envisageables. D’une part, la rotation des tâches et/ou un service civique pour s’assurer que ces tâches soient effectivement remplies et partagées au mieux. D’autre part, ceux qui décident de les effectuer pourraient avoir une incitation financière, en progressant plus rapidement dans leur carrière salariale.

Une autre objection apparaît : ce nouveau système ne tuerait-il pas l’esprit d’initiative ? C’est tout le contraire. Aujourd’hui, les travailleurs sont obligés de vendre leur force de travail à un capitaliste et de renoncer à leurs aspirations. Demain, ils pourront solliciter une caisse d’investissement (qui socialise l’investissement) pour demander des moyens pour se lancer dans une nouvelle activité et acheter les moyens de production dont ils ont besoin. Ce sont les travailleurs auto-organisés qui décideraient alors (via les caisses d’investissement) des investissements à effectuer et donc des choix de production.

Les délires libéraux – et surtout leurs attaques bien réelles – ont au moins une vertu : elles nous obligent à réfléchir au-delà de nos revendications immédiates, à méditer sur l’avenir même du salariat. Nous devons identifier ce qu’il y a d’anticapitaliste dans les acquis du mouvement ouvrier, pour donner tout leur sens politique à nos revendications et refuser de les inscrire dans une perspective d’aménagement du capitalisme. Il s’agit de penser la société future à partir du présent, non pas pour donner l’illusion qu’une accumulation de réformes pourrait nous conduire au socialisme (c’est le sentiment que donne parfois la lecture de Bernard Friot), mais pour penser concrètement la nécessaire rupture révolutionnaire avec une vision claire des fondements de la société que nous voulons construire.

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