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Horthy, un Pétain hongrois

histoire Hongrie international

Lien publiée le 23 octobre 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) 

Au moment où la France, à cause du livre d’Eric Zemmour, Le Suicide français (Albin Michel), discute avec passion du régime de Vichy, un ouvrage éclaire le parcours de l’amiral Miklós Horthy, qui fut ­régent de Hongrie de mars 1920 jusqu’à octobre 1944. Allié d’Hitler et de Mussolini, il porte une part de responsabilité – jusqu’à quel point, telle est la question – dans la déportation de ses com­patriotes juifs, dont au moins 400 000 ont péri à Auschwitz.

Il a fallu attendre le regain d’intérêt pour la Hongrie, suscité par la politique nationaliste du premier ministre Viktor Orban, pour disposer enfin d’une biographie de Horthy en français. Elle est due à la plume alerte de Catherine Horel, spécialiste reconnue de l’Europe centrale. Sa prochaine parution en hongrois promet de chauds débats dans un pays où les historiens sont souvent invités sur les plateaux de télévision, tandis que les départements d’histoire des universités sont investis par des étudiants en majorité d’extrême droite. Plus que jamais, l’histoire y est un terrain explosif. On voit s’édifier partout des monuments déplorant le traité de Trianon, qui a amputé la Hongrie, en 1920, de 70 % de son territoire et de 3 millions de magyarophones. Apparaissent aussi des bustes de l’amiral Horthy, une mise à l’honneur qui, sans être ­encouragée par le gouvernement, est tolérée. L’un des prédécesseurs d’Orban, le conservateur Jozsef Antall, avait fait rapatrier, en 1993, les ­restes de Horthy, mort en 1957 au ­Portugal, dans la crypte familiale de Kenderes. Celle-ci est ­devenue le lieu d’un culte florissant qui rappelle la dévotion populaire de l’entre-deux-guerres, lorsque l’amiral semblait capable de rendre à la nation en deuil ses pro­vinces perdues.

Le « rapport douloureux à l’Histoire » caractérise toute l’Europe centrale, souligne Catherine ­Horel, elle-même d’origine hongroise, qui a déjà publié un ouvrage de référence : Cette Europe qu’on dit centrale (Beauchesne, 2009). De la Pologne aux Balkans, la région a été malmenée par les Turcs, les Autrichiens ou les Russes, et reste obsédée par la défaite face à des puissances étrangères. C’est à l’aune de cette mémoire victimaire qu’il faut évaluer le parcours de Horthy, souvent comparé au maréchal Pétain.

Tous deux sont des militaires aguerris, attachés aux vieilles ­valeurs – la terre ancestrale, la religion chrétienne – et prétendent faire don de leur personne pour éviter à leur pays des épreuves cruelles. Avec, dans les deux cas, une issue désastreuse : le « sacrifice » de Horthy n’évitera pas à la Hongrie d’entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne et de tomber pour finir sous la coupe de l’Union soviétique. Sauf que Miklós Horthy, issu de la petite noblesse calviniste, n’a pas l’auréole du vainqueur de Verdun. Sportif accompli, portant beau mais personnalité médiocre, cet homme, né en 1868, a choisi la marine, carrière peu usuelle pour un Hongrois, ce qui lui a permis de voir le monde. La meilleure période de sa vie, à l’en croire, est pourtant les cinq ans qu’il a ­passés à Vienne, comme aide de camp de François-Joseph : l’empereur restera pour lui un modèle de discipline et de rectitude. La protection que François-Joseph a accordée aux juifs, dans la tradition des Habsbourg (il mettra deux fois son veto à l’élection, comme maire de Vienne, du tribun antisémite Karl Lueger), l’a sans doute marqué.

L’HOMME PROVIDENTIEL

Horthy n’était pas un fasciste – son régime est proche du « corporatisme » clérical de l’Autriche avant l’Anschluss –, mais farouchement anticommuniste. Malgré son dédain pour la politique, il accepte d’être l’homme providentiel qui va « sauver le pays du chaos », en 1919, après la République des Conseils de Bela Kun, d’inspiration soviétique, dont 36 commissaires sur 43 étaient juifs. Il couvre les graves exactions antisémites de la « terreur blanche » commises par les contre-révolutionnaires mais son premier geste, une fois régent, est de recevoir les dirigeants de la communauté juive. Il entérine, dès 1920, l’adoption d’un numerus clausus visant les étudiants juifs, mais ménagera toujours les industriels et les banquiers, qui assurent à la Hongrie une enviable prospérité.

Même lorsque le Parlement de Budapest introduit, en 1939, sous pression de Berlin, des critères raciaux en rupture avec le droit hongrois, Horthy et ses ministres les moins bellicistes (dont Pal ­Teleki, qui s’est suicidé en avril 1941 pour protester contre l’entrée en guerre avec la Yougo­slavie) croient pouvoir « donner le change » aux nazis, tout en évitant« l’inexpiable ». Malgré des restrictions croissantes, les juifs de Hongrie ont été relativement épargnés jusqu’au printemps 1944. Notables exceptions : la mort de 20 000 juifs « apatrides » déportés vers la Galicie en 1941, et les massacres commis par les troupes hongroises contre juifs et Serbes dans la Bacska, une province méridionale que le régime Horthy avait récupérée, comme le sud de la Slovaquie et l’est de la Transylvanie, par la grâce d’Hitler.

Une fois la Hongrie occupée sans résistance par la Wehrmacht, en mars 1944, police et gendar­merie redoublèrent de zèle, éradiquant en un temps record tous les juifs de province. Pour les défenseurs de l’amiral Horthy, celui-ci a au moins sauvé la plupart des juifs de Budapest, en stoppant, au début de l’été 1944, les déportations. Mais il aurait pu démissionner bien avant que les Allemands ne l’y contraignent, quelques mois plus tard : une sortie sans gloire, pour un homme qui a échappé au tribunal de Nuremberg, après guerre, surtout parce que Staline, lorgnant déjà sur la Hongrie, trouvait inopportun d’en faire un martyr.

L’Amiral Horthy. Le régent de Hongrie, 1920-1944, de Catherine Horel, Perrin, « Biographies », 496 p., 25 €.

Lire aussi : Extrait de « L’Amiral Horthy », de Catherine Horel