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CGT: l’offensive contre Thierry Lepaon prend de l’ampleur
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) CGT: l’offensive contre Thierry Lepaon prend de l’ampleur
C'est le 22 mars 2013 à Toulouse, jour de son élection au poste de secrétaire général de la CGT, que les ennuis de Thierry Lepaon, 54 ans, ont commencé. L'ancien ouvrier soudeur de Moulinex s'est retrouvé élu sans avoir la légitimité attachée à la fonction. Son péché originel est d'avoir succédé par défaut à Bernard Thibault, au terme d'une longue guerre de succession qui avait écarté les trois prétendants – Nadine Prigent, la "dauphine" désignée et rejetée par l'appareil, Eric Aubin, celui dont le secrétaire général sortant ne voulait en aucun cas, et Agnès Naton – en laissant ouvertes de profondes plaies. Les nouvelles révélations du Canard enchaîné du 26 novembre, après celles concernant son logement de fonction, sur le montant des travaux réalisés dans son bureau de secrétaire général à Montreuil (Seine-Saint-Denis), soit 62 179,44 euros, montrent que l'offensive contre Thierry Lepaon prend de l'ampleur. Plusieurs responsables cégétistes s'attendent à la sortie prochaine d'autres affaires.
N'ayant jamais réussi en vingt et un mois de mandat à voir reconnaître son autorité et à asseoir son autorité, Thierry Lepaon semble vivre une lente descente aux enfers. La contestation qui s'amplifie au sein de la CGT n'est pas un problème de "ligne" – il se veut "pragmatique" comme son prédécesseur et a même une image plutôt réformiste, tout en affichant une opposition sans la moindre concession au gouvernement socialiste – mais vise sa personne et sa façon d'exercer sa fonction. Elle intervient alors que la CGT est le réceptacle des tensions entre le Parti communiste, dont il est membre sans avoir jamais figuré dans ses instances, et le Parti de gauche. Le 8 octobre, lorsqu'il avait reçu l'auteur de ce blog pour indiquer qu'il souhaitait rempiler pour un second mandat, lors du prochain congrès de la CGT en octobre 2016, il avait lui-même affirmé: "Il y a eu une tentative d'instrumentalisation de la CGT par le Parti de gauche, mais j'y ai mis bon ordre et il n'y a plus d'infiltration du PG dans notre organisation".
Après son élection, M. Lepaon avait mis du temps à répartir les responsabilités au sein d'un bureau confédéral de dix membres où figurent deux anciens prétendants à la succession de M. Thibault, Mme Naton et M. Aubin. Confrontée à une carte de la représentativité syndicale où la CGT est désormais talonnée par la CFDT, et à une érosion électorale dans les entreprises publiques, M. Lepaon s'est dit prêt à"assumer les difficultés" de sa centrale. Mais les embûches se sont multipliées sur son chemin. En décembre 2013, M. Lepaon, au diapason de son bureau confédéral, était prêt à signer un accord interprofessionnel sur la formation. Mais – fait unique dans les annales de la CGT –, il céda devant l'opposition de la responsable de la délégation de négociateurs et renonça. Une décision qui abîma un peu plus l'image de la CGT qui, depuis l'élection de François Hollande, n'a signé qu'un accord national, sur les contrats de génération.
Le 14 février de cette année – épisode là aussi inédit –, Valérie Lesage, membre du bureau confédéral, adressait au secrétaire général de la CGT un véritable réquisitoire, dénonçant un "manque de cohérence, de clarté", dans la ligne de la centrale et même de la "malhonnêteté intellectuelle". "Cela créait, écrivait-elle, le flou, l'illisibilité, la confusion, tant dans les forces militantes que chez les salariés." Rebelote en mars: dans une interview au Nouvel économiste, M. Lepaon affirmait : "Il n'existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L'entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés. Ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l'intérêt de leur communauté." "Ces déclarations, réagissait le 26 mars l'union départementale de Paris, remettent en cause les fondements mêmes de la CGT", car "le salariat n'a aucun intérêt commun avec le capital".
A la même période, M. Lepaon a subi un nouveau camouflet à l'occasion de la "marche contre l'austérité" organisée le 12 avril par le Front de gauche. Mettant en avant le souci (à peu près constant) de la CGT de ne pas participer à une manifestation politique, il refusait d'y engager sa confédération. "Je pense, avait-il dit le 1er avril devant sa commission exécutive, qu'on ajoute à la confusion et que des camarades se réfugient derrière le syndicat, la CGT, pour ne pas s'engager politiquement. (...) La CGT, ce n'est pas le rempart pour se masquer." Peine perdue : plusieurs grosses fédérations – comme l'Union générale des fédérations de fonctionnaires, la culture, les finances, le livre, la chimie, l'agriculture –, se réfugiant derrière l'autonomie qu'autorise le fédéralisme, défilaient avec leurs banderoles derrière Jean-Luc Mélenchon. A titre personnel, M. Thibault y avait aussi participé.
L'épisode s'est reproduit le 15 novembre lors d'une nouvelle manifestation du collectif 3A (Alternatives à l'austérité), où le Front de gauche joue un rôle pilote. Alors que la CGT en tant que confédération refusait de nouveau d'y participer, neuf fédérations (sur 33) récidivaient ainsi que treize unions départementales (sur 96). Cet événement, survenu alors que M. Lepaon était très affaibli par l'affaire du devis des travaux réalisés dans son logement de fonction à Vincennes (Val-de-Marne), soit 105 000 euros, a été une nouvelle preuve de sa perte d'autorité sur ses propres troupes.
Lors du Comité confédéral national (CCN), le parlement de la CGT, qui a suivi, les 4 et 5 novembre, les révélations du Canard enchaîné sur son logement de fonction, M. Lepaon n'a pas convaincu. Dénonçant un complot contre la CGT, mettant en avant "un problème de fonctionnement du bureau confédéral qui handicape notre capacité collective", et chargeant le trésorier, Eric Lafont, il n'a pas convaincu les responsables de fédérations et d'unions départementales. Pire, en refusant leur proposition de créer une commission du CCN pour faire un audit sur les dépenses de la confédération depuis son élection, il s'est mis à dos son propre parlement et aucune déclaration n'a été votée. Cette crise a mis au jour la fracture au sein du bureau confédéral avec quatre membres (Eric Aubin, Sophie Binet, Valérie Lesage et Mohammed Oussedik) qui se sont opposés à M. Lepaon. Pour mettre au pas les "rebelles", il a reçu un à un les dix membres de cette instance et annoncé qu'il allait faire entrer deux membres supplémentaires, deux fidèles. La démarche n'a pas abouti – pour écarter des membres du bureau confédéral ou en faire entrer de nouveaux, il doit avoir l'aval de son parlement, qui doit se réunir en février, où il aura désormais du mal à obtenir une majorité – et les quatre "rebelles" se sont de nouveau démarqués de la déclaration consécutive aux nouvelles révélations du Canard sur les travaux dans le bureau du patron de la centrale. Elles tombent au plus mal, à une semaine des élections, le 4 décembre, dans les trois fonctions publiques.
La "mauvaise passe" de la CGT, selon l'expression de M. Thibault, qui s'est bien gardé de voler au secours de son successeur, risque donc d'être durable. Des responsables cégétistes signalent que des militants rendent leurs cartes ou hésitent à en reprendre une. Et elle soulève de fortes inquiétudes tant au gouvernement qu'au patronat ou parmi les autres confédérations, en premier lieu la CFDT qui s'alarme des dégâts sur l'image du syndicalisme. Alors que de nouvelles "boules puantes" sont à prévoir à court terme et que M. Lepaon, que l'on décrit "stoïque", reste sourd aux propositions émanant de ses propres instances, l'avenir politique du secrétaire général s'annonce sombre. Un second mandat est aujourd'hui plus qu'improbable. M. Lepaon est tellement fragilisé que la question se pose de nouveau de savoir s'il pourra tenir la barre jusqu'au terme de ce premier mandat.