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Grève à Paris 8, entre oppression de genre et intérêts de classe

féminisme lutte-de-classe

Lien publiée le 7 mars 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.ccr4.org/Greve-des-personnels-a-Paris-8

Lorsque les travailleuses prennent leur destin en main 
 

Malena Vrell

La lutte des personnels de Paris 8 se situe dans la continuité des luttes ayant éclaté suite à la LRU et la Loi Fioraso. Alors que les attaques se multiplient contre les universités, que les conditions de travail et d’études continuent de se dégrader, les grévistes de Paris 8 incarnent le visage majoritaire au sein de la précarité, celui des femmes, un visage plein de détermination et de combativité.


Jamais aussi actives, jamais aussi précaires

Initialement reléguées aux quatre murs du foyer familial, l’entrée des femmes sur le marché du travail s’est faite à la chaleur des luttes et des besoins capitalistes de main d’œuvre bon marché. Ainsi, si leur présence sur le marché du travail n’a cessé d’augmenter (47,7 % en 2012 par rapport à 34% en 1960), ceci ne s’est pourtant pas traduit dans les faits par une remise en question du travail reproductif gratuitement effectué pas plus que par un bouleversement des stéréotypes et rapports de genre au sein du travail et dans la répartition sexuée du travail.

Exploitées et opprimées, il faut ajouter aux différences salariales (27% en France), à la double journée de travail et au plafond de verre, la discrimination sectorielle qui cloisonne la plupart des femmes là où elles seraient à même d’incarner le mieux « les vertus féminines » (administration, santé, social, services à la personne). Les femmes constituent ainsi 73% des employé-e-s administratif-ve-s de la fonction publique, occupant les échelons les moins rémunérés, les postes les moins reconnus et les contrats les plus précaires (vacataires, contractuelles), notamment en ce qui concerne les femmes issues de l’immigration, dont les chaînes d’oppressions les placent au plus bas de l’échelle. Les grévistes de Paris 8 sont un très bon portrait de cette réalité.

Une grève menée par les premières concernées

Dans un contexte où plusieurs luttes contre la précarité se mènent au sein des universités, notamment à Lyon 2 et à Paris Sud, celle de Paris 8 est révélatrice de la place occupée par les femmes et du rôle moteur qu’elles ont joué.

Depuis le 19 janvier, les personnels de Catégorie C, élargis par la suite en un « Collectif des bas salaires », se sont mis en grève pour réclamer une augmentation de salaire et de meilleures conditions de travail. L’augmentation de 98 euros net pour l’ensemble du personnel administratif, dont les contractuel-le-s et vacataires, est ainsi devenue la principale revendication. Les grévistes étant majoritairement des femmes, leur lutte pour les salaires permet également l’émergence des problématiques liées à leur condition de femmes travailleuses. Les contraintes des pressions familiales, de leur invisibilité au travail, des rapports hiérarchiques et genrés ainsi que l’ensemble des violences qu’elles subissent au sein et à l’extérieur de leur centre de travail, transparaissent dans certaines discussions et peuvent être le point de départ d’une réflexion plus profonde autour de l’articulation entre travail précaire et les divers oppressions qu’elles subissent en tant que femmes, le plus souvent, racisées.

Le privé devient politique, les souffrances quotidiennes quittent ainsi le domaine de l’individuel, de l’anecdotique, par la prise de conscience des normes imposées par une société capitaliste et patriarcale. De quoi politiser les réflexions d’autant plus lorsque de l’autre côté de la table des négociations, le reflet est loin d’être ressemblant. En dépit du genre qui uni ces deux camps (la présidente de l’université est aussi une femme !), cette grève a montré que ce sont des intérêts de classe bien distincts qui les confrontent.

Grève et gestion des finances : entre oppressions et intérêts de classe

"Parce que nous ne voulons pas d’une société où le savoir, la recherche et la création seraient méprisés et soumis à la rentabilité comptable...". Ces propos tenus en 2009 par Danielle Tartakowsky, actuelle présidente de Paris 8, connue pour ses travaux sur les mouvements sociaux et reconnue en tant qu’intellectuelle de « gauche », semblent aujourd’hui être plus de l’ordre de l’ironie dramatique. Si l’oppression de genre frappe l’ensemble des femmes, les intérêts de classe mettent en évidence le parti pris qui les sépare au sein des luttes. L’opacité des comptes, les manœuvres et menaces scandaleuses parmi lesquelles se trouvent celle de la rétention de salaire des grévistes, du jamais vu dans cette université née de 68, ont significativement contribué à dévoiler les frontières.

Dans ce sens, les grévistes ont marqué un point fort par la demande de transparence sur la gestion des budgets de leur université, dont le flou actuel permet de repousser arbitrairement la question des revendications salariales, et de cacher les fossés et irrégularités dans la distribution du budget de l’État. Un pas en avant vers la gestion des travailleur-se-s et des étudiant-e-s de leur propre université, actuellement sous la tutelle d’une logique de classe excluante et d’intérêts entrepreneuriaux.

Solidarité de classe contre les attaques aux femmes travailleuses

Convaincu-e-s que pour obtenir des victoires, une solidarité de classe est nécessaire, le NPA de l’université Paris 8 a soutenu activement cette grève depuis ses débuts et a notamment tenté de construire la solidarité et la convergence avec d’autres secteurs parmi les travailleur-se-s et les étudiant-e-s.

Le moment le plus fort de solidarité s’est ainsi tenu ce 19 février, lors de la soirée de soutien aux grévistes de Paris 8, dont les messages de solidarité sont arrivés de plusieurs coins du monde. De l’Université de São Paulo en passant par celle d’Athènes, de Lyon 2 et l’EHESS, mais aussi de travailleur-se-s de la Poste, de la SNCF, de la Mairie de Saint Denis et de l’Hôtel Royal Monceau, le partage d’expériences et le soutien internationaliste ont montré à quel point l’alliance de classe peut marquer un avant et un après dans le rapport de forces et devient dans ce sens déterminante pour la lutte.

Si la présidente continue de refuser les 98 euros net, c’est bien le rapport de forces construit à la chaleur de la grève qui a permis la promesse de 70 euros bruts, pour l’ensemble du personnel, vacataire et contractuel, ce qui est tout de même loin d’être négligeable.

Les grévistes de Paris 8 sont ainsi un exemple de lutte contre la casse de l’enseignement supérieur, mais aussi, contre l’alliance entre patriarcat et capitalisme. Alliance s’appuyant sur l’ensemble des oppressions, clef de voûte cherchant à diviser, même au sein de notre classe, pour mieux exploiter, et dont la précarité féminine, invisibilisée, légitimée, reste un des points d’appui les plus confortables. À l’approche du 8 mars, nous ne pouvons songer à la lutte des grévistes de Paris 8 sans nous rappeler de celles qui avant elles ont pris les rues de Petrograd en 1917, celles qui se sont battues et continuent de se battre aujourd’hui pour le droit à l’avortement, celles qui ont été aux avant-postes lors des processus révolutionnaires arabes, celles qui se battent en Grèce contre l’austérité et les licenciements, à l’image des 595 femmes de ménage du Ministère des Finances, et celles qui peuplent aujourd’hui les rues de Turquie contre les violences faites aux femmes. Toutes ces femmes dont la détermination, la lutte et parfois la vie ont été nécessaires aux acquis d’aujourd’hui et au nom de qui nous continuerons de nous battre pour nos victoires de demain.