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Les "men in black" bruxellois au chevet de la Grèce

Grèce international

Lien publiée le 17 mars 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) " Troïka " et " task force ", les technocrates de Bruxelles s'activent à Athènes pour conseiller le pays dans l'application des réformes exigées par les créanciers. Priorité : la réforme de l'administration

Les technocrates de la "  task force Grèce  " sont dans les starting-blocks. Ils devraient reprendre le travail dans les jours qui viennent, à Bruxelles comme à Athènes, après quatre mois de quasi-interruption, due aux élections puis à l'arrivée au pouvoir de la gauche radicale Syriza. C'est en tout cas ce qu'ils espèrent après le feu vert donné par Alexis Tsipras, le premier ministre grec, quand il a rencontré Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, vendredi 13  mars.

Leur mission  ? Aider les Grecs, qui pour l'instant sont restés surtout dans le discours et les incantations, à chiffrer précisément leurs réformes. Et aussi à "  faire les fonds de tiroir  ". Car il y a urgence  : de plus en plus d'Européens craignent que le pays se retrouve en défaut de paiement à tout moment, et que l'eurozone évolue vers un "  Grexit  " aux conséquences potentiellement catastrophiques.  

Il s'agit de voir, par exemple, comment utiliser au mieux, et le plus vite possible, les fonds structurels réservés au pays, mais pas sollicités par manque de projets, voire par ignorance des procédures…

Il faut dire qu'après quatre ans sur le terrain certains experts de la "  task force  " connaissent la situation de l'appareil d'Etat grec aussi bien, voire mieux, que le nouveau pouvoir en place… Ils ont déjà vu passer quatre gouvernements, savent les progrès faits dans l'administration fiscale, la fonction publique, le système judiciaire et de santé. N'ignorent rien des faiblesses persistantes du pays, de ses résistances politiques au changement.

Assistance technique pure

Attention, ne confondez pas ces "  men in black  " avec ceux de la "  troïka  ", honnis des Grecs. Leur rôle est très différencié. La "  troïka  " a été chargée, à partir de 2010, de négocier et de vérifier la mise sur les rails des réformes exigées par les principaux créanciers de la Grèce (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne, commission européenne) en échange de leur aide (en tout, 240  milliards d'euros). Elle est accusée d'avoir voulu "  faire du chiffre  " et imposé des réformes d'austérité cruelles et peu efficaces. La "  task force  ", elle, ne contrôle ni n'impose rien. Elle n'est censée agir que sur sollicitation des gouvernements. C'est de l'assistance technique pure.

En  2011, le premier ministre grec de l'époque, le socialiste Georges Papandréou, demande à José Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne, de l'aider "  pour venir à bout du programme de réformes imposées  ", raconte une source européenne. Le cahier des charges du "  MOU  " (Memorandum of Understanding), le contrat signé entre les créanciers et Athènes, fait des dizaines de pages. Les Grecs veulent pouvoir compter sur d'autres experts que ceux du FMI pour contrebalancer l'influence, à l'époque prépondérante, du Fonds dans la "  troïka  ". Barroso accepte. La "  task force Grèce  " démarre en septembre de la même année. Pour la présider, la Commission va chercher un vice-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), qui a déjà une longue carrière à Bruxelles. Un Allemand, Horst Reichenbach. Un vrai gentleman, à l'écoute et pragmatique (mais qui repart pour la BERD en avril prochain).

Les pays apportent leur concours en envoyant des fonctionnaires. Une trentaine d'experts, basés à Bruxelles, font des allers-retours réguliers en Grèce. Une trentaine d'autres est à Athènes, dans des bureaux de la Commission. Quelques-uns – une petite dizaine – sont mêmeembedded, travaillent pour des missions longues dans des ministères.

Les Néerlandais ont planché pendant deux ans sur l'intervention publique, les exportations et les douanes. Les Allemands, sur la santé ou la politique régionale. Les Français sont très présents dans le domaine de la réforme administrative. "  Comment gérer la réforme et l'incompétence des services - administratifs - restent de vastes problèmes en Grèce  ",reconnaît Antonis Manitakis, qui fut le ministre en charge de la réforme administrative entre juin  2012 et juin  2013. "  L'assistance technique des Européens est vitale et je me suis énormément appuyé sur l'équipe française lorsque j'étais en poste.  "

Une fois les orientations stratégiques établies, la "  task force  " fait des propositionsLe travail accompli est considérable. En matière fiscale par exemple, un des gros points faibles de l'Etat grec, la "  task force  " contribue à la mise en place d'un système de recouvrement de l'impôt, jusqu'alors inexistant. Les centres des impôts sont réduits de presque moitié, pour limiter la proximité entre administrés et fonctionnaires et, partant, les risques de corruption. Beaucoup est accompli quand Harry Theoharis, le secrétaire général chargé de l'administration fiscale, est en poste. Mais il doit partir, mi-2014, durant le gouvernement Samaras de centre droit, un très mauvais signal pour la "  task force  ". Depuis, l'outil de recouvrement de l'impôt est inactif, a-t-on constaté à Bruxelles…

Autre chantier de longue haleine  : la réforme de l'administration. "  Nous avions fixé avec latroïka que l'administration devait devenir plus flexible et se dépolitiser  ", explique M.  Manitakis. "  La task force a établi avec moi une feuille de route prévoyant l'établissement d'organigrammes et de méthodes d'évaluation des agents. Mais réformer une administration prend du temps et la troïka ne nous l'a pas laissé  ", accuse l'ancien ministre.

volonté politique défaillante

En  2012, estimant qu'Athènes ne va pas assez vite, la "  troïka  " impose le licenciement de 15  000 fonctionnaires d'ici à fin 2015. "  Nous avions pourtant déjà ramené le volume de la fonction publique dans la moyenne européenne. Le représentant du FMI de l'époque, Poul Thomsen, a commencé à conditionner le versement de tranches de prêts aux licenciements, ce qui a totalement perverti la notion de réforme  ", accuse M. Manitakis.

Des sources européennes ne disent pas autre chose. "  Fixer des objectifs quantitatifs, alors que par le non-renouvellement des départs à la retraite près de 150  000 agents avaient déjà quitté la fonction publique, n'avait aucun sens et a braqué les fonctionnaires.  "

Les relations entre "  task force  " et "  troïka  " ne sont pas toujours au beau fixe. Les "  gentils  " contre les "  méchants  "  ? Un peu caricatural, à en croire plusieurs sources européennes  : la "  task force  " ne dit pas forcément aux Grecs ce qu'ils ont envie d'entendre, n'hésite pas à regretter, quand nécessaire, leur volonté politique défaillante, ou leur manque de "  manageurs  " pour donner l'impulsion décisive aux réformes… Toujours est-il que les Grecs auraient fini par jouer sur ces deux tableaux, contournant les bad cops de la "  troïka  " pour discuter avec les good cops de la "  task force  ". La commission décide, en  2012, de créer un poste de directeur résident à Athènes, pour mieux coordonner sur place les équipes de la "  troïka  " (entre cinq et sept experts) et celles de la "  task force  ". Margaritis Schinas, un haut fonctionnaire européen d'origine grecque (désormais chef des porte-parole de la commission),veille à ce que les équipes se concentrent d'abord sur des mesures incluses dans le contrat signé entre Athènes et ses créanciers.

Ces dernières semaines, la "  task force Grèce  " tournait au ralenti. Des contacts ponctuels ont bien été pris avec des ministres (M. Panayotis Nicoloudis, en charge de la lutte contre la corruption notamment), mais le gouvernement Tsipras n'avait pas jusqu'alors sollicité l'aide technique de la Commission, par suspicion, dit-on à Bruxelles.

Le leader de Syriza a préféré médiatiser la signature d'un "  contrat  " d'assistance avec l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à Paris, jeudi 12  mars, ce qui a beaucoup énervé à Bruxelles. "  Athènes veut une aide qui ne soit pas connotéetroïka. Il n'y a pas tant d'organisations internationales capables de la fournir. La Banque mondiale  ? Cela fait trop pays en développement. Alors c'est l'OCDE, pourtant un think tank très libéral et qui n'a pas de compétences opérationnelles  ", pointe une source européenne.

Aujourd'hui la Commission, soucieuse d'aider, propose de modifier un peu l'action de la  "  task force  ". D'élargir son rayon d'action à d'autres pays que la Grèce, qui ont, eux aussi, des besoins d'assistance technique mais ne sont pas en aussi grande difficulté. L'avantage, pour Athènes, serait de rendre l'aide moins stigmatisante, moins associée politiquement à une  "  troïka  " détestée. "  Il faut garantir à la task force une vraie indépendance. Si les peuples pensent qu'elle est l'agent double”, chargé de faire remonter des données à la troïka, aucune administration n'acceptera de participer à l'élaboration des réformes  ", prévient une source européenne.

Les experts de la "  task force  " sont prêts. Habitués à travailler dans l'ombre, à "  gérer leur frustration  quand le travail n'avance pas aussi bien qu'espéré  ", ils disent n'avoir pas d'a priori politique ou idéologique à l'endroit du gouvernement Tsipras, mais avouent, comme beaucoup d'autres Européens, "  ne pas savoir encore ce qu'il veut vraiment  ".