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V. Présumey: l’attaque saoudienne contre le Yémen

international

Lien publiée le 2 avril 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.lcr-lagauche.org/lattaque-saoudienne-contre-le-yemen/

Dans la nuit du 25 au 26 mars, l’Arabie saoudite a fait pénétrer massivement ses troupes au Yémen. C’est un évènement d’importance, dont il n’est pas sûr qu’il n’aurait pas été occulté médiatiquement chez nous même si la tragédie aérienne des Alpes du Sud ne s’était pas produite l’avant-veille.

Qu’on en juge : cette invasion-agression est menée au nom d’une coalition de circonstance groupant rien de moins que tous les pays du Conseil de Coopération du Golfe sauf l’Oman, c’est-à-dire les Emirats arabes unis, le Koweit et le Qatar derrière l’Arabie saoudite, mais aussi l’Egypte, le Maroc, la Jordanie, le Soudan et une puissance nucléaire, le Pakistan. Symboliquement la présence sous l’égide saoudienne du régime militaire égyptien du général al Sissi d’une part, et de l’émirat du Qatar ancien soutien des Frères musulmans massacrés en Egypte par le même al Sissi d’autre part, renforce l’aspect voulu d’une sorte de réconciliation des altesses et des képis dans une ligue de salut sunnite formée derrière le nouveau roi Salman ben Abdelaziz al-Saoud, ligue à laquelle la Turquie apporte également son soutien.

Mieux encore : les ennemis que vient combattre officiellement cette coalition sous égide saoudienne, les houthistes, sont aussi les cibles désignées de Daesh qui s’est illustré par la revendication d’un effroyable attentat faisant 142 morts à Sanaa le 20 mars. Ce carnage était de fait le prologue à l’agression saoudienne, alors même que le régime de Ryad est censé combattre, comme le Qatar, les forces de Daesh en Irak et en Syrie !

D’ailleurs, les rivaux que Daesh cherche à renvoyer au rayon des vieilleries inoffensives, nous voulons parler d’al-Qaeda, bien présents au Yémen, combattent eux aussi les mêmes houthistes !

Les Etats-Unis, qui ont depuis des années mené une triste guerre de drones contre al-Qaeda (en tout cas officiellement) au Yémen, se trouvent maintenant dans le même camp de facto, puisqu’ils apportent un soutien officiel à l’intervention saoudienne et sont censés préter leur soutien logistique, sauf qu’il est évident que dans cette affaire, Ryad les a mis devant le fait accompli.

Le jeu saoudien consiste à orchestrer une coalition anti-chiites visant l’Iran, comme le souligne l’engagement du Pakistan dans la coalition, particulièrement dangereux et qui ne peut se justifier que pour faire planer la menace de prendre à revers l’Iran, ce qui soulève des mobilisations de protestations au Pakistan, et des doutes jusqu’au sommet de l’Etat.

Or ce jeu intervient à un moment bien précis : les négociations sur le nucléaire iranien sont censées déboucher, ou non, sur un accord, dans les heures ou jours à venir. Officiellement il y a achoppement sur la durée de la surveillance imposée à l’Iran, la levée immédiate ou non des sanctions économiques, et la proposition iranienne récente de garder une grande partie de ses centrifugeuses plutôt que de les envoyer en Russie et de diluer son stock d’uranium sur place sous forme de gaz. Remarquons d’ailleurs que cette dernière complication des négociations est venue aprés l’intervention saoudienne au Yémen et l’entrée du Pakistan dans la coalition, ce qui pourrait avoir renforcé, à Téhéran, les factions hostiles à un accord.

Mais le bras de fer réel se déroule au sein de l’administration US voire dans la tête de certains hauts responsables, dont Obama : l’intérêt bien compris, à moyen terme, de l’impérialisme nord-américain, est de s’entendre avec l’Iran, ainsi qu’avec Bachar el Assad en Syrie, contre les peuples de la région. Cela supposerait un esprit de décision à Washington dont la carence actuelle renvoie à la crise globale ouverte depuis 2008, et au bilan d’échec accablant sur tous les plans de 15 années de soi-disant guerre sans fin contre le terrorisme.

Début mars le ci-devant général Petraeus, ancien chef de l’OTAN, de la CIA et de l’occupation US en Irak et Afghanistan, débarqué en 2012 pour … adultère, déclarait que “L’Etat islamique n’est pas le plus grave danger qui menace l’Irak.“.

Remarquons bien que cette spectaculaire déclaration dit tout haut ce que tous pensent tout bas : mais non, l’Etat islamique, cet abominable chose qui diffuse en vidéos ses barbaries, n’est pas pour eux le véritable danger. Le véritable danger, ce sont les peuples !

Ceci étant, c’est en l’occurrence l’Iran que Petraeus désigne évidemment ici, et c’est là une attaque directe contre la politique qu’Obama et John Kerry semblent tenter de mettre en oeuvre.

Deux Etats, ayant des ramifications dans l’appareil d’Etat US tout en dépendant étroitement de sa tutelle ou de sa clientèle, veulent empêcher Washington de matérialiser ce tournant, de signer un accord avec l’Iran, et lui tiennent rigueur de son incapacité croissante à jouer les gendarmes : Israël et l’Arabie saoudite. De sorte que l’on peut dire que l’intervention saoudienne au Yémen s’ajoute à la réélection de Benyamin Netanyahou, aprés sa visite au Congrés US contre Obama, pour essayer maintenant de contraindre Washington à s’aligner sur les initiatives de ses clients !

Les gesticulations saoudiennes veulent faire croire au monde entier que les houtistes au Yémen serait par rapport à l’Iran dans une relation d’alliance comparable à celle du Hezbollah au Liban. Or, ceci est complétement faux.

Les chiites du Yémen, zaydites, sont plus proches de l’islam sunnite chafféite que les chiites duodécimains d’Iran et ont toujours cohabité avec lui jusqu’à ce jour, fréquentant y compris les mêmes mosquées. Le régime monarchique de supposés descendants du Prophètes, zaydites, fut renversé en 1962, mais l’intervention égyptienne refusant la prise en compte des revendications paysannes et populaires a “réussi ce tour de force de faire revenir le pays à son point de départ“ (Samir Amin, La nation arabe, Nationalisme et lutte de classe, Editions de Minuit, 1976) et de ramener les “féodaux“ soutenus par la monarchie saoudienne au pouvoir au Nord du Yémen. C’est donc aprés la faillite du nationalisme bourgeois qu’un renouveau zaydite se produisit, d’abord sous la forme d’une évolution religieuse le rapprochant du chiisme duodécimain (par exemple par la reprise de la fête de l’Achoura, mais sans les rituels sanglants), réagissant aux pressions de l’islamisme sunnite pour aligner tout l’islam, évolution d’où sortit le mouvement “houthiste“, du nom du leader politico-religieux Abd Al-Malik Al-Houti, assassiné lors d’un raid aérien saoudien – déjà.

Ce mouvement a une base territoriale dans des zones paysannes pauvres, et a participé au “printemps arabe“ à Sanaa en 2011, qui a réussi aprés de terribles affrontements à renverser le dirigeant dictatorial et corrompu Ali Abdalla Saleh (lui-même d’origine zaydite), mais sans déboucher sur une issue démocratique, un dirigeant analogue, Saadi, lui succédant en 2013. Tout s’est alors passé comme si le mouvement houtiste avait progressivement, et sans toujours l’avoir cherché, comblé les vides politiques se formant dans l’Etat. Allié depuis 2014 à des secteurs proches de l’ancien président Saleh, les houthistes ont pris le contrôle de Sanaa en septembre 2014. La fuite de Saadi à Aden en janvier 2015 a conduit les houthistes à marcher sur le Sud et à prendre cette ville et c’est alors que Ryad intervient massivement.

L’intervention saoudienne est donc motivée par la volonté de contrôler le Yémen, pays le plus peuplé et le plus pauvre de la péninsule arabique, un pays qui n’a pas de pétrole mais qui contrôle le passage de Bab el Mandeb (l’entrée Sud de la mer Rouge) et par la grande opération diplomatico-militaire décrite ci-dessus avec la formation d’une coalition sunnite, contraignant les Etats-Unis à la soutenir en espérant saboter un accord avec l’Iran. Ces raisons suffiraient à caractériser cette intervention de réactionnaire sur toute la ligne, devant donc être condamnée et combattue.

Mais il est vraisemblable que l’attaque saoudienne a été aussi motivée, tout simplement, par la peur panique de voir une crise éclater dans le royaume wahabite lui-même, tant sont profonds les liens entre ses populations et les yéménites. Les chiites, duodécimains, zaydites ou ismaéliens, sont des minorités opprimées et discriminées en Arabie saoudite, et leur mise en mouvement, loin d’être la “manipulation iranienne“ que dénonce le régime pour mieux le circonscrire, annonce l’entrée dans la lutte pour leur émancipation des prolétaires, dont beaucoup ici sont des immigrés africains et asiatiques qui ont déjà manifesté en écho aux grèves de beaucoup de pays asiatiques ces dernières années, et celle des femmes. Bref, le combat contre la discrimination des chiites, 17 à 20% de la population, est une brêche par où tout peut s’engoufrer en Arabie saoudite.

Le régime de Ryad se met en danger pour éviter ce danger : car son intervention au Yémen, pour peu qu’elle pâtine ou tourne mal, produira un choc en retour très profond. A son tour, le régime risque de vouloir conjurer cette possibilité en pratiquant la fuite en avant dans le sens de la guerre des sunnites contre les chiites et de l’encerclement de l’Iran, alors que tel n’est absolument pas le contenu réel des mouvements sociaux qui ont commencé dans tout le monde arabe. Ce sont les régimes en place et les mécanos monstrueux qu’ils ont activé, comme Daesh, qui sont porteurs des guerres de religion. Le régime iranien et le régime pakistanais sont tout aussi dangereux. Mettre la guerre à la place de l’émancipation, voila leur seul programme.

L’alternative est l’émancipation, la démocratie, la destruction de toutes les théocraties comme des dictatures militaires. Ce n’est pas une utopie : c’est le réalisme.