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    La politique d’austérité britannique a mis les plus fragiles à genoux

    international

    Lien publiée le 2 mai 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://sans-langue-de-bois.eklablog.fr/la-politique-d-austerite-britannique-a-mis-les-plus-fragiles-a-genoux-a117511226

    (Mediapart) La « bedroom tax » et le durcissement du « Work capability assessment » sont les deux mesures les plus critiquées du mandat de David Cameron, car elles ont frappé de plein fouet les personnes vulnérables, et particulièrement les handicapés. Reportage à Londres, à une semaine des élections.

    De notre envoyé spécial à Londres (Grande-Bretagne).- Paula Peters est assise par terre, les fesses sur le trottoir, et elle écrit des slogans au feutre sur des caleçons. À côté d’elle, son fauteuil roulant, avec lequel elle est venue jusqu’ici, dans la grande banlieue du nord-est londonien. Nous sommes un samedi d’avril, dix jours avant l’élection britannique du 7 mai, dans la circonscription de Iain Duncan Smith, le ministre conservateur du travail et des pensions, qui est sans conteste l’un des hommes les moins populaires du Royaume, en dehors de son clan des Tories, dont il fut le leader au début des années 2000. Une vingtaine de manifestants se sont rassemblés devant le siège de sa permanence pour dénoncer l’homme qu’ils appellent, au choix, « le maître du désastre » ou « le boucher des allocations ».

    Iain Duncan Smith est le ministre qui a été chargé, dès 2010, de mettre en place les coupes budgétaires dans les allocations sociales. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas fait de quartier… Si la plupart des commentateurs politiques britanniques, y compris ceux qui se situent à gauche, s’accordent pour dire que le premier ministre David Cameron n’est pas la réincarnation de Margaret Thatcher, certaines politiques sociales de son gouvernement rappellent furieusement l’approche de la « Dame de fer » vis-à-vis de l’État providence : à la hache !

    Paula PetersPaula Peters © Thomas Cantaloube

    La réforme la plus haïe, fréquemment qualifiée de « vicieuse », est la « bedroom tax », un impôt qui frappe tous les bénéficiaires d’un logement social ou d’une aide au logement possédant, dans leur habitation, une « chambre supplémentaire » par rapport au nombre de personnes dans le foyer. Autrement dit, une personne seule ou un couple ne peut avoir qu’une chambre, une famille avec un enfant, deux chambres, avec deux enfants, trois chambres, etc. Si un foyer possède une chambre supplémentaire par rapport à ce qu’il est censé avoir, il se retrouve donc sous le coup d’un impôt qui peut vite atteindre plus de 500 euros par an.
     

    L’argument des conservateurs était que certaines familles louaient leur chambre supplémentaire, ou disposaient d’un logement trop grand qui aurait pu profiter à un foyer plus nombreux. Mais c’était surtout un argument moral – toujours le même – selon lequel les « assistés sociaux » doivent sempiternellement se justifier des allocations qu’ils reçoivent, et surtout se montrer irréprochables dans l’utilisation des deniers publics.
     

    Mais quand la « bedroom tax » a commencé à être appliquée, elle a touché les plus fragiles : des personnes âgées dont les enfants avaient quitté le foyer, laissant leur chambre libre ; des handicapés qui stockaient leur matériel médical ou qui avaient un ascenseur dans une pièce supplémentaire ; des parents dont un enfant est mort d’une maladie et qui ont soudain été frappés par cet impôt parce qu’il y avait désormais une personne de moins dans le foyer…
     

    Malgré le tollé suscité par certaines de ces histoires poignantes, malgré le fait que seulement 6,5 % des personnes concernées ont déménagé dans des habitations « à leur taille » au bout de plusieurs années, le gouvernement conservateur n’est jamais revenu sur cette mesure. Même quand un rapport publié l’an passé a démontré que la « bedroom tax » coûtait finalement plus qu’elle ne rapportait étant donné toutes les procédures judiciaires qu’elle entraînait, la nécessité de reloger les gens, l’absence d’habitations comportant un nombre de pièces en adéquation avec les familles…
     

    Surtout, ce nouvel impôt a frappé de manière disproportionnée les personnes invalides (en Grande-Bretagne, les personnes handicapées et celles en congés de longue maladie sont regroupées dans la même catégorie : « disabled » ou invalides) : sur 660 000 individus concernés par la « bedroom tax », 440 000 sont invalides. De surcroît, parmi les réformes libérales initiées par David Cameron et Iain Duncan Smith, l’une d’entre elles a consisté à réévaluer la « capacité à travailler » des 2,5 millions de Britanniques qui touchaient jusqu’ici une pension d’invalidité (le Work capability assessment, ou WCA). Et comme l’administration ad hocne saurait faire cela, selon la philosophie conservatrice, il a été demandé à un cabinet privé, Atos, de s’en charger. Atos, dirigé par nul autre que le Français Thierry Breton, ancien ministre de l’économie et des finances de Jacques Chirac, s’est donc acquitté de cette sale besogne – payée 500 millions de livres sterling tout de même !

    Des manifestants contre les coupes sociales à Chingford, la circonscription de Iain Duncan Smith (IDS)Des manifestants contre les coupes sociales à Chingford, la circonscription de Iain Duncan Smith (IDS) © Thomas Cantaloube

    Ce qui nous amène à la manifestation dans la circonscription de Iain Duncan Smith. Paula Peters a perdu vingt de ses amis proches, qui se sont suicidés, selon elle, à cause de la « bedroom tax » (ils ne pouvaient pas la payer), ou du test visant à évaluer leur capacité à travailler (ils ont échoué aux tests). « Quand j’ai appris que j’allais devoir passer le WCA, j’ai commencé à stresser », explique Paula, qui souffre depuis une vingtaine d’années d’une forme particulièrement sévère d’arthrose rhumatismale qui la cloue dans un fauteuil roulant une grande partie de la journée. « Du coup, ma maladie s’est accélérée. Face à la détérioration de ma santé et la crainte que j’avais de me voir considérée apte à travailler, j’ai tenté deux fois de me suicider… »

    «Ils veulent nous renvoyer au XIXe siècle, dans des foyers ou dans la rue»
     

    Les craintes de Paula n’étaient pas infondées puisque Atos a certifié « aptes à travailler » (et donc susceptibles de perdre leur pension) un homme dans le coma, des personnes atteintes d’un cancer en phase terminale, de sclérose en plaques ou de pathologies mentales graves… Au début de l’année 2015, Atos a préféré renoncer à son contrat et payer des pénalités, plutôt que de continuer à subir la mauvaise publicité générée par son travail catastrophique. Ainsi, après avoir passé son test fin 2013, Paula a dû attendre neuf mois les résultats en raison d’un « engorgement des dossiers » : neuf mois durant lesquels elle ne savait pas si elle allait perdre son allocation ou devoir déménager, car son logement social, spécialement aménagé pour elle en rez-de-chaussée, comportait une chambre de plus… Neuf mois de stress durant lesquels son arthrose s’est aggravée.
     

    Kay Eason, elle, estime « avoir eu de la chance ». Atteinte d’une sclérose en plaques depuis l’âge de 13 ans (elle en a 28 aujourd’hui), elle a passé son test de capacité à travailler assez facilement : « Les gens qui me l’ont fait passer étaient sympas, mais c’est une loterie. Ils disent qu’ils n’ont pas de quotas, mais tout le monde sait qu’on a plus de chances quand on passe le matin où ils sont plus laxistes, qu’en fin de journée, quand ils doivent remplir leurs objectifs… » Car le but du gouvernement n’a jamais été de mieux évaluer les invalides, mais bien de réduire les allocations d’invalidité.

    Des manifestants contre les coupes sociales à Chingford, la circonscription de Iain Duncan Smith (IDS)
    Des manifestants contre les coupes sociales à Chingford, la circonscription de Iain Duncan Smith (IDS) © Thomas Cantaloube

    « Il s’agit en fait de diaboliser les bénéficiaires d’aides sociales », explique Anita Bellows, une militante de l’association Disabled people against cuts (DPAC), qui se bat en faveur des invalides injustement affectés par les coupes budgétaires. « Ils stigmatisent les chômeurs qui n’ouvrent pas leurs volets le matin quand les "honnêtes gens" partent travailler, et ils s’en prennent aux handicapés en estimant que la plupart devraient travailler, d’une manière ou d’une autre, pour mériter leurs allocations. C’est la philosophie des conservateurs, mais aussi, à un degré moindre, celle des travaillistes. En faisant passer les handicapés ou les gens qui ont une pièce en plus dans leurs logements sociaux pour des prédateurs de l’argent public, ils montent les gens les uns contre les autres. Et les plus faibles sont toujours ceux qui ont le plus à perdre… »
     

    Kay Eason, dans sa chaise roulante, garde le sourire aux lèvres. Il lui a fallu se reposer pendant plusieurs jours pour avoir la force de venir manifester ce samedi. Elle essaie de ne pas trop s’en faire : « Comme j’ai une maladie évolutive, il est possible que d’ici quelques mois ou quelques années, j’aille mieux. C’est bien pour moi, mais serai-je en position de travailler ? Ce n’est pas sûr : le pire serait que l’on me déclare apte, mais que je sois néanmoins trop faible pour pouvoir trouver un travail. Alors, je perdrais mon allocation et mes parents perdraient probablement le logement social qu’ils ont obtenu – avec une pièce supplémentaire – "grâce" à ma maladie… »
     

    « Ils veulent nous renvoyer au XIXe siècle, dans des foyers ou dans la rue », conclut Paula Peters, amère. Elle est toujours assise sur le trottoir, en train d’écrire sur des caleçons. Pourquoi ? En fait, Iain Duncan Smith a été pris dans un scandale de notes de frais il y a une douzaine d’années, au cours duquel les Britanniques avaient découvert que le député avait demandé au Parlement le remboursement de diverses dépenses personnelles, dont ses achats de sous-vêtements… Apparemment peu échaudé par cette histoire, il a réédité la chose en tant que ministre en tentant de se faire rembourser d’autres « menues dépenses », comme un petit déjeuner à 54 euros ou un cocktail à 13 euros. Ce, au moment même où il avait déclaré à la presse que« s’il me fallait vivre avec les allocations invalidités de 75 euros par semaine, je n’aurais aucun problème à le faire ». Pris au mot, plus de 450 000 pétitionnaires lui ont proposé de relever le défi… Il s'est défilé, bien entendu.
     

    Malgré ces différentes casseroles et le passage de ces mesures impopulaires ciblant les plus faibles, David Cameron a maintenu Iain Duncan Smith à son poste. Surtout, les conservateurs ont annoncé que, s’ils étaient réélus le 7 mai, ils avaient l’intention de couper 16 milliards d’euros supplémentaires dans les budgets sociaux. Une somme qui reviendrait à se débarrasser purement et simplement d’une grande partie du filet social mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour Simon Wren-Lewis, professeur d’économie à Oxford, cette perspective signifie que les mesures telles que la « bedroom tax » ou la réévaluation de la capacité à travailler des invalides ne sont « rien à côté de ce que préparent les Tories s’ils restent au pouvoir… ».
     

    PAR THOMAS CANTALOUBE