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    La contradiction de Trotsky

    histoire

    Lien publiée le 19 mai 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://bataillesocialiste.wordpress.com/documents-historiques/1948-12-la-contradiction-de-trotsky-lefort/

    Article de Claude Lefort paru dans Les Temps Modernes n° 39 (déc. 1948-janv. 1949)

    « Tendons-nous la main et serrons-nous autour des comités du parti. Pas un instant nous ne devons oublier que seuls les comités du parti peuvent nous diriger comme il convient, que seuls ils nous éclaireront la voie de la terre promise. »
    C’est en ces termes, dont le tour est aujourd’hui familier à chacun, qu’en 1905 déjà Staline s’adressait aux ouvriers russes, à l’occasion de leur première révolution. Le même jour, sans doute, note Trotsky, Lénine envoyait de Genève cet appel aux masses : « Donnez libre cours à la haine et à la colère que des siècles d’exploitation, de souffrances et de malheur ont accumulées dans vos cœurs [1] ! »
    Rien ne saurait mieux caractériser ces deux hommes et les opposer l’un à l’autre que ces deux phrases, l’une d’un révolutionnaire pour qui les masses opprimées sont la force essentielle de l’histoire, l’autre d’un militant, déjà « bureaucrate », pour qui l’appareil connaît et fait seul l’avenir. Pour nous qui savons le cours qu’ont suivi les événements depuis lors, cette opposition psychologique prend un sens absolu, car elle s’est inscrite dans une opposition plus large, de caractère historique.

    L’intention de Trotsky, dans le long ouvrage qu’il a consacré à Staline, a été de dévoiler le caractère de son personnage et son comportement avant l’accession au pouvoir et de montrer comment ils ont été en quelque sorte légalisés par l’histoire au déclin de la révolution, avec la formation d’une nouvelle couche sociale, la bureaucratie. Trotsky a employé pour sa démonstration les méthodes classiques de l’historien, il a confronté les textes, exploré les annales du bolchevisme, rapporté des témoignages, il a interprété les dates, mettant en parallèle les documents antérieurs à 1923 et les panégyriques de commande postérieurs à l’avènement de la bureaucratie 2. Staline est apparu dans la première période de son activité politique comme un militant « provincial », intellectuellement médiocre et politique¬ment peu capable. En Géorgie, il ne réussit jamais à grouper dans la social-démocratie une fraction bolcheviste en face des mencheviks ; il n’assiste aux premiers congrès bolcheviks qu’à titre d’observateur, n’ayant jamais réuni le nombre de voix suffisant pour se faire déléguer. Au Congrès de Londres, le mandat dont il se prévaut est frauduleux et il se voit retirer le droit de vote. Il n’entre au Comité central bolchevik que par cooptation, c’est-à-dire sans avoir été élu par les militants du parti. Le soulèvement de février 1917 lui donne brusquement, en l’absence de Lénine, un pouvoir exceptionnel dont il use aussi mal que possible : il est pour le soutien du gouvernement provisoire, la guerre révolutionnaire et, en fin de compte, la révolution en deux étapes. Il est un de ces conciliateurs opportunistes que les ouvriers du Parti veulent faire exclure3 et que Lénine remettra à leur place, quand il lancera ses fameuses thèses d’Avril et réarmera le parti en l’alignant sur la perspective de la prise du pouvoir. Ces quelques données permettent d’esquisser le portrait d’un personnage sans grand relief, d’un « fonctionnaire » comme le dit Trotsky, exprimant par là ce qu’il y a d’étriqué dans son travail, sa pauvreté comme théoricien, sa propension à la routine. L’intention de l’auteur est évidente : il s’agit de montrer que les « qualités », qui ont permis à Staline de devenir l’homme de la bureaucratie sont celles mêmes qui l’ont empêché d’être une figure révolutionnaire.
    La démonstration est assez claire et suffisamment étayée. Mais précisément on ne peut que s’étonner qu’un écrivain politique de la valeur de Trotsky ait cru devoir y consacrer un gros volume, et se livrer à un travail qui relève le plus souvent de l’histoire anecdotique et presque policière pour prouver que, pendant toute la période pré-révolutionnaire et révolutionnaire, Staline fut un homme obscur, et que c’est là justement ce qui lui permit d’être, en 1924, un « dictateur tout fait ». La vie de Staline n’était pas inconnue du public. Boris Souvarine avait publié en 1935 unStaline4 substantiel , par rapport auquel Trotsky n’apporte aucun élément vraiment nouveau et qu’il feint curieusement d’ignorer. En admettant donc que ce fût un devoir d’éclairer l’avant-garde révolutionnaire sur la formation et l’évolution de l’actuel dictateur de la Russie, ce devoir avait été rempli. Souvarine ne s’était pas contenté, comme le fait Trotsky durant plus de trois cents pages, de décrire le comportement de Staline, il avait intégré habilement cette étude dans celle autrement vaste et intéressante du parti bolchevik. L’acharnement avec lequel Trotsky souligne la médiocrité de son « héros », et le caractère subalterne des fonctions qu’il occupe dans l’appareil révolutionnaire, a été, bien entendu, compris comme le signe d’un ressentiment personnel et d’une volonté d’autojustification. Trotsky aurait proposé à la comparaison son destin et celui de Staline avant la Révolution. Il aurait voulu faire ressortir toute la distance qui le séparait de cet obscur fonctionnaire du bolchevisme. Il suffit de connaître le tempérament de Trotsky pour se persuader que ces préoccupations lui étaient étrangères et qu’une telle interprétation est artificielle. Il est plus sérieux de parler d’autojustification en donnant à ce terme un sens politique. Trotsky, dirait-on par exemple, a voulu montrer qu’il n’a pas été dépossédé du pouvoir faute d’intelligence politique, mais par la toute-puissance des facteurs objectifs. Et cette puissance des facteurs objectifs serait prouvée précisément par la médiocrité du nouveau chef. La fin de l’Introduction rend tentante cette interprétation. « Il (Staline) prit possession du pouvoir, écrit Trotsky, non grâce à des qualités personnelles, mais en se servant d’une machine impersonnelle. Et ce n’était pas lui qui avait créé la machine, mais la machine qui l’avait créé ; avec sa puissance et son autorité, elle était le produit de la lutte longue et héroïque du parti bolchevik, qui était lui-même le produit d’idées ; elle était le porteur d’idées avant de devenir une fin en soi. Staline la dirigea du jour où il eut coupé le cordon ombilical qui la rattachait à l’idée et où elle devint une chose par elle-même. Lénine l’avait créée en une association constante avec les masses, sinon par la parole, du moins par l’écrit, sinon directement, du moins par l’aide de ses disciples. Staline se borna à s’en emparer.5 » C’est ce que Trotsky exprimait déjà, sous une forme différente, dans Ma Vie, quand il écrivait : « Le fait qu’il joue maintenant le premier rôle est caractéristique, non pas tant pour lui que pour la période transitoire du glissement politique. Déjà Helvétius disait :  » Toute époque a ses grands hommes et quand elle ne les a pas, elle les invente.  » Le stalinisme est avant tout le travail automatique d’un appareil sans personnalité au déclin de la révolution.6 »
    Pourtant nous ne pensons pas que cette interprétation non plus soit pleinement satisfaisante ; l’étude de Staline par Trotsky ne nous paraît pas tant une tentative consciente d’autojustification. Elle nous semble avoir surtout la valeur d’un substitut. En ouvrant le Staline, nous ne doutions pas que Trotsky eût écrit sous ce titre une nouvelle étude de l’U.R.S.S., qu’il eût repris l’ensemble du problème du stalinisme et qu’il eût cherché à en donner une caractérisation économique et sociale : telle était bien sa préoccupation, comme nous le savons par les derniers articles que nous connaissons de lui. C’est ce qu’on attendait de lui. Or ce Staline, cet ouvrage aux dimensions imposantes, qui laborieusement suit pas à pas le maître du Kremlin, alors anonyme, pour nous montrer qu’il n’a pas su diriger telle grève, ou qu’il fréquentait en déportation les détenus de droit commun et était méprisé par les politiques, — cette œuvre que l’on aurait voulue capitale se borne à démolir une légende à laquelle les gens sérieux ne croient pas. Elle prend donc pour nous l’aspect d’un acte manqué. Trotsky bavarde sans nécessité sur Staline, parce qu’il voudrait et ne peut pas définir le stalinisme. Rien ne peut mieux nous confirmer dans cette idée que la seconde partie du livre, volontairement restreinte 7, inconsistante, et qui traite par allusion des événements de première importance : c’est qu’elle porte précisément sur la période de cristallisation et de triomphe de la bureaucratie, c’est-à-dire, non plus sur Staline, mais sur le stalinisme. Trotsky ne pouvait pourtant pas prétendre qu’il eût épuisé le sujet dans les deux ou trois chapitres qu’il lui a consacrés, respectivement dans La Révolution trahie et dans Ma Vie.
    C’est sur cette période de formation du stalinisme que nous voudrions revenir, en partant des affirmations éparses que l’on trouve dans la dernière œuvre de Trotsky. Par ses insuffisances, par ses contradictions, par ses silences aussi, elle appelle une critique qui remette Trotsky à sa place d’acteur dans une situation qu’il veut trop facilement dominer quand il écrit son livre.
    A la lecture du Staline, comme déjà de la Révolution trahie ou de Ma Vie, on croirait que l’attitude de Trotsky et de l’Opposition de gauche, dans la grande période 23-27, fut d’une parfaite rigueur. Tout se passe comme si Trotsky, « porteur » de la conscience révolutionnaire, avait été évincé par le cours inexorable des choses qui se développait alors dans le sens de la réaction. Nombreux sont ceux qui, prenant parti contre Trot¬sky, et d’une certaine manière pour Staline, ne reprochent à Trotsky que de n’avoir pas été assez réaliste, de ne pas avoir su « adapter » la politique de la Russie révolutionnaire aux circonstances difficiles d’un monde capitaliste en train de se reconsolider. Ils ne contestent pas que Trotsky ait alors adopté une attitude clairement révolutionnaire, mais c’est justement cette attitude qu’ils dénoncent comme abstraite. De toute manière, on n’a pas coutume de nier qu’il y ait eu une stratégie cohérente de l’Opposition de gauche, soit qu’on la justifie sur le plan de la morale révolutionnaire, soit qu’on la considère comme inopportune. Trotsky lui-même a largement accrédité cette opinion.
    Dans ses œuvres, il parle de cette période avec une parfaite sérénité, répétant qu’il a agi comme il le devait dans la situation objective et donnée. L’Histoire, dit-il en substance, passait par un nouveau chemin. Personne ne pouvait se mettre en travers du reflux de la révolution. Ainsi, rappelant les événements de l’année décisive, 1927, il écrit dans Ma Vie : « Nous allions au-devant d’une défaite immédiate, préparant avec assurance notre victoire idéologique dans un plus lointain avenir… On peut par les armes retenir un certain temps le développement des tendances historiques progressistes. Il est impossible de couper une fois pour toutes la route aux idées progressistes. Voilà pourquoi, quand il s’agit de grands principes, le révolutionnaire ne peut qu’avoir une règle : Fais ce que tu dois, advienne que pourra 8. » Il serait à coup sûr admirable, quand on est dans l’action historique, de garder une telle lucidité, et d’opérer ce dépassement de l’histoire quotidienne, qui donne la perception du permanent au cœur du présent immédiat. Mais la question est de savoir si Trotsky agissant était aussi lucide que Trotsky écrivant. Car c’est une chose de juger son propre comportement passé, de se retourner sur une période relativement close où tout invite à donner un sens unique et absolu des actions diverses et d’agir dans une situation équivoque ouverte sur un avenir indéterminé.
    Dans son Staline Trotsky définit à nouveau les principes de l’Opposition de gauche dans sa lutte anti-stalinienne. « De nombreux critiques, publicistes, correspondants, biographes et quelques historiens, sociologues amateurs, ont sermonné l’Opposition de gauche de temps à autre à propos de ses erreurs tactiques, affirmant que sa stratégie ne correspondait pas aux exigences de la lutte pour le pouvoir. Mais cette façon même de poser la question est incorrecte. L’opposition de gauche ne pouvait pas s’emparer du pouvoir et ne l’espérait même pas — en tout cas ses leaders les plus réfléchis. Une lutte pour le pouvoir menée par l’Opposition de gauche, par une organisation marxiste révolutionnaire, ne peut se concevoir que dans les conditions d’un soulèvement révolutionnaire. Dans de telles conditions, la stratégie est basée sur l’agression, sur l’appel direct aux masses, sur une attaque de front contre le gouvernement. Nombreux étaient les membres de l’Opposition de gauche qui avaient joué un rôle important dans une bataille de cette nature et savaient de première main comment elle devait être menée. Mais au début des années vingt, il n’y eut pas de soulèvement révolutionnaire en Russie, tout au contraire ; dans de telles circonstances le déclenchement d’une lutte pour le pouvoir était hors de question.» Il faut se rappeler que dans les années de réaction, en 1908-1911 et plus tard, le parti bolcheviste refusa de déclencher une attaque directe contre la monarchie et se borna au travail préparatoire à une offensive éventuelle, en luttant pour le maintien des traditions révolutionnaires et pour la préservation de certains cadres, soumettant les événements à une infatigable analyse et utilisant toutes les possibilités légales et semi-légales pour éduquer les travailleurs les plus conscients. Placée dans des conditions identiques, l’Opposition de gauche ne pouvait agir autrement. En fait les conditions de la réaction soviétique étaient infiniment plus difficiles pour l’Opposition que les conditions tsaristes ne l’avaient été pour les bolcheviks…9»
    On peut d’abord remarquer que cette interprétation des années 27 est en contradiction avec les thèses générales de Trotsky sur la nature du stalinisme. Il a écrit dans toutes ses œuvres que le stalinisme est fondé sur une infrastructure prolétarienne : il est réactionnaire, mais il est un moment de la dictature du prolétariat. Par exemple dans Etat ouvrier, Thermidor et Bonapartisme, Trotsky écrit : « cette usurpation (du pouvoir par la bureaucratie) n’a été possible et n’a pu se maintenir que parce que le contenu social de la bureaucratie est déterminé par les rapports de production que la révolution a établis. Dans ce sens on a le plein droit de dire que la dictature du prolétariat a trouvé son expression défigurée, mais incontestable dans la dictature de la bureaucratie 10. » Comment donc, si l’on maintient les thèses générales de Trotsky sur la nature du stalinisme, la lutte contre Staline, toujours considérée par lui comme lutte politique, pouvait-elle, comme il le dit dans son dernier ouvrage, exiger un soulèvement révolutionnaire ? Quand Trotsky compare la situation de l’Opposition de gauche à celle dans laquelle se trouvait le parti bolchevik en lutte contre le tsarisme, il implique, — avec raison à notre avis, mais à rencontre de toutes ses thèses, — que la lutte contre la bureaucratie ne pouvait être qu’une lutte de classe. Nous ne pouvons que nous trouver d’accord avec les conclusions qu’il en tire : maintien des traditions révolutionnaires, préservation des cadres, analyse infatigable des événements pour instruire les travailleurs les plus conscients. Mais ce n’est pas un hasard si ces conclusions, dont il ne saisit pas la véritable portée, ne correspondent nullement à la tactique réelle qui fut la sienne et celle de l’Opposition de gauche dans la pratique.
    Il est frappant de voir, en effet, quand on examine de près les événements de cette époque, que la lutte de l’Opposition de gauche contre Staline ne prit presque jamais une forme révolu¬tionnaire et évolua toujours autour du compromis. Le problème n’est pas celui que pose Trotsky, à savoir s’il était possible et souhaitable d’engager une lutte pour le pouvoir. La question était de mener la lutte — ou de préparer l’avenir, — dans l’esprit révolutionnaire. Les bolcheviks firent une retraite entre 1908-1911 et remirent à plus tard la lutte pour la prise du pouvoir : mais ils ne firent pas sur le plan théorique la moindre concession à leurs adversaires. A aucun moment il n’y eut de la part des bolcheviks une politique de compromis ou de conciliation avec le tsarisme. En revanche, c’est Trotsky lui-même qui déclarait en novembre 1934, évoquant son attitude à l’égard d’Eastman lorsque celui-ci révéla de sa propre initiative l’existence du Testament de Lénine : « Ma déclaration d’alors sur Eastman ne peut être comprise que comme partie intégrante de notre ligne, à cette époque orientée vers la conciliation et l’apaisement 11. » Dès 1929, il écrivait dans le même sens et d’une manière beaucoup plus brutale : « Jusqu’à la dernière extrémité, j’ai évité la lutte, car, au premier stade, elle avait le caractère d’une conspiration sans principe dirigée contre moi, personnellement. Il était clair pour moi qu’une lutte de cette nature, une fois commencée, prendrait fatalement une vigueur exceptionnelle, et, dans les conditions de la dictature révolutionnaire, pourrait entraîner des conséquences dangereuses. Ce n’est pas le lieu de rechercher s’il était correct au prix des plus grandes concessions personnelles de tendre à préserver les fondements d’un travail commun, ou s’il était nécessaire que je me lance moi-même dans une offensive sur toute la ligne, en dépit de l’absence, pour celle-ci, de bases politiques suffisantes. Le fait est que j’ai choisi la première solution et qu’en dépit de tout je ne le regrette pas 12. » Trotsky parle ici d’une manière volontairement vague de « concessions personnelles ». Mais il est clair qu’étant donné sa situation, ces concessions ne pouvaient que revêtir un caractère politique.
    Avant de préciser ce que furent ces concessions, en d’autres termes ce que fut la politique de « conciliation et d’apaisement » de l’Opposition de gauche, il importe d’évoquer une période sur laquelle Trotsky passe en général rapidement, l’année 1923, alors que Lénine encore vivant préparait pour le XIIe congrès une « bombe contre Staline », alors que Trotsky passait encore pour le second chef bolchevik aux yeux de la majorité du parti, alors surtout que Staline n’avait pas encore réussi à s’assurer la domination complète de l’appareil et que le pouvoir bureaucratique trop récent le laissait encore vulnérable. On croit ordinairement que l’antagonisme entre Trotsky et Staline fut beaucoup plus aigu que l’antagonisme de Staline et de Lénine. Il apparaît pourtant, d’une manière incontestable, d’après les mémoires mêmes de Trotsky, que ce n’est pas lui, à cette époque, qui voulut entamer la lutte contre Staline, mais Lénine. Déjà frappé à mort, Lénine avait perçu lucidement le danger extrême que Staline et les méthodes bureaucratiques représentaient pour l’avenir du parti. Les documents qu’il a laissés et qui sont connus sous le nom de Testament ne laissent aucun doute à ce sujet. Ils montrent de façon éclatante que Lénine avait décidé d’engager une lutte décisive contre les têtes de la bureaucratie : Staline, Ordjonikidze, Dzerjinski. Les Mémoires de Trotsky montrent tout aussi clairement que, s’il partageait sur le fond le point de vue de Lénine, il ne voulait pas déclencher des hostilités décisives contre les Staliniens. Rapportant une conversation qu’il avait eue à cette époque avec Kamenev, déjà entré dans le jeu de Staline et son émissaire auprès de lui, il écrit : « Parfois, lui dis-je, devant un péril imaginaire, on prend peur et on s’attire une menace réelle.
    Dites-vous bien et dites aux autres que je n’ai pas la moindre intention d’engager au Congrès la lutte pour arriver à des modifications d’organisation. Je suis d’avis de maintenir le statu quo. Si Lénine avant le Congrès peut se relever, ce qui n’est malheureusement pas probable, nous procéderons ensemble à un nouvel examen de cette question. Je ne suis pas d’avis d’en finir avec Staline, ni d’exclure Ordjonikidze, ni d’écarter Dzerjinski des Voies de Communication. Mais je suis d’accord avec Lénine sur le fond 13. » Outre les Mémoires de Trotsky, les documents sont là qui montrent que, contre la volonté de Lénine, Trotsky fit du XIIe Congrès du parti bolchevik un congrès d’unanimité ; on mit de côté la « bombe » que Lénine avait recommandé à Trotsky de faire éclater à ce congrès à propos de la question nationale. C’est encore Trotsky lui-même qui se targue d’avoir alors évité tout combat contre Staline, en se contentant d’amender sa résolution au lieu de la condamner. Significatif aussi son refus de présenter le rapport politique devant le congrès en l’absence de Lénine. Et les justifications qu’il donne ne le sont pas moins. Toute sa conduite aurait été dictée par le souci de ne pas se présenter comme prétendant à la succession de Lénine. On comprend mal ces préoccupations, ces scrupules sentimentaux de la part d’un bolchevik, quand une question politique vitale est en jeu.
    En vérité, Trotsky s’est refusé au début, alors qu’il avait la supériorité, à entamer une lutte pour régénérer le parti en s’attaquant à sa bureaucratie. Quand il soutient qu’une lutte pour le pouvoir était impossible, il est difficile de le croire, s’agissant de cette année 23 où rien encore n’était joué. Lui-même d’ailleurs écrira plus tard : « Lénine aurait-il pu réussir le regroupement qu’il méditait dans la direction du parti ? A ce moment-là sans aucun doute… Notre action commune contre le Comité central, si elle avait eu lieu au début de 1923, nous aurait assuré certainement la victoire. Bien plus. Si j’avais agi, à la veille du XIIe Congrès, dans l’esprit du « bloc » Lénine-Trotsky contre le bureaucratisme stalinien, je ne doute pas que j’aurais remporté la victoire, même sans l’assistance directe de Lénine, dans la lutte 14. »
    Trotsky ajoute, il est vrai : « Dans quelle mesure cette victoire aurait-elle été durable, c’est une autre question. » Mais même si l’on répond négativement à cette question, comme il le fait en montrant que l’histoire allait alors dans le sens du reflux révolutionnaire, la tâche du politique ne peut jamais être de composer avec le reflux.
    Or, à partir de là, et « jusqu’à la dernière extrémité », l’Opposition de gauche mena une politique de « conciliation » et d’ « apaisement ». Cette politique même ne pouvait demeurer cohérente, car si l’Opposition de gauche ne souhaitait pas la lutte, la bureaucratie la voulait. Son triomphe passait évidemment par l’anéantissement de l’ancien leader révolutionnaire, alors même que celui-ci recherchait une entente. Trotsky fut donc entraîné à attaquer à plusieurs reprises ; mais ses attaques portent le signe de sa faiblesse. Comme le fait très justement remarquer Souvarine, Trotsky s’use dans une polémique vaine au sein du Bureau politique. Dans ses articles (ceux qu’il publie à propos du Cours nouveau, en 1923, les Leçons d’Octobre en 1924) il multiplie les allusions et écrit de manière à n’être compris que des cercles dirigeants. Aucun de ses écrits n’est destiné à instruire les militants de base. Ce qui est infiniment plus grave, alors que la répression bureaucratique poursuit impitoyablement les membres ou les sympathisants de l’Opposition de gauche, Trotsky ne fait rien pour les défendre ; par sa ligne en zigzag il les désarme politiquement ; il ne leur offre aucune plate-forme de combat, aucun élément théorique qui leur permette de se reconnaître et de se regrouper.
    Ce n’est pas le lieu de suivre dans le détail la politique de Trotsky dans toute cette période, mais il importe de mettre en lumière quelques épisodes particulièrement saillants. Lors du XIIIe Congrès, le premier qui fût complètement « fabriqué » par les bureaucrates, Trotsky, après avoir défendu ses conceptions sur le Plan d’Etat, se croit obligé de souligner l’unité du parti en des termes qui ne peuvent que jeter dans la confusion tous ses partisans. « Personne d’entre nous, déclare-t-il, ne veut ni ne peut avoir raison contre son parti. En définitive le parti a toujours raison… On ne peut avoir raison qu’avec et par le parti, car l’histoire n’a pas d’autres voies pour réaliser sa raison. Les Anglais ont un dicton historique : Right or Wrong, my country — qu’il ait tort ou raison, c’est mon pays. Nous sommes bien plus fondés historiquement à dire : qu’il ait tort ou raison en certaines questions partielles concrètes, sur certains points, c’est mon parti… Et si le parti prend une décision que tel ou tel d’entre nous estime injuste, celui-ci dira : juste ou injuste, c’est mon parti et je supporterai les conséquences de sa décision jusqu’au bout 15. » C’est Trotsky qui s’inflige en 1940 le démenti le plus catégorique, dans son Staline, quand il affirme qu’un parti politique n’est ni « une entité homogène, ni un omnipotent facteur historique », mais un « instrument historique temporaire, un des très nombreux instruments de l’Histoire et aussi une de ses écoles 16. » La déclaration de Trotsky au XIIIe Congrès prend son véritable sens quand on sait qu’à ce moment il avait perçu la bureaucratisation complète de l’organisation et la mystification du congrès. Peu auparavant avait eu lieu, en effet, l’entrée massive de nouveaux membres dans le parti, décorée du nom de « levée de Lénine », et qui, comme Trotsky l’écrira plus tard, était « une manœuvre pour résorber l’avant-garde révolutionnaire dans un matériel humain dépourvu d’expérience et de personnalité, mais accoutumé en revanche à obéir aux chefs17. » Cette levée avait achevé de faire du parti un instrument docile entre les mains de son secrétaire général. Pourtant cette « promotion de Lénine » qui, dira encore Trotsky, « porta un coup mortel au parti de Lénine », fut, elle aussi, célébrée par lui au cours du XIIIe Congrès. Trotsky poussa la concession jusqu’à déclarer qu’elle « rapprochait le parti d’un parti élu 18 ».
    Il est vrai que la lutte contre le trotskysme n’avait pas encore pris jusqu’alors un caractère ouvert et surtout que le stalinisme s’était à peine dévoilé politiquement.
    Les concessions de Trotsky ont un air plus tragique quand la bataille est engagée. Après la première phase de cette bataille, après que Trotsky eut déclenché une lutte pour le Cours nouveau, après qu’il eut été l’objet d’une campagne d’attaques systématiques de la part du Bureau politique, après que Staline eut mis en avant sa conception du socialisme dans un seul pays 19, Trotsky publia un article dans la Pravda (janvier 1925), dans lequel il se défendait d’avoir jamais eu l’idée d’opposer une plate-forme à la majorité stalinienne 20. C’était dire clairement qu’il n’y avait pas de divergences de fond entre lui et cette majorité. La capitulation apparaît encore dans cette année 1925, à l’occasion de l’affaire Eastman. Dans un ouvrage intitulé Since Lenin died, le journaliste américain, sympathisant bolchevik, avait pris sur lui, comme nous l’avons déjà indiqué, de révéler l’existence et le contenu du Testament de Lénine, que Trotsky, en accord avec le Comité central, avait cru bon de cacher tant aux militants et aux masses russes qu’aux communistes du monde entier. La déclaration de Trotsky, à cette époque, mériterait d’être citée intégralement, tant y éclatent la mauvaise foi et la pratique du « sacrifice suprême ». Trotsky accuse Eastman de « méprisable mensonge » et insinue qu’il est un agent de la réaction internationale. « Le camarade Lénine, écrit-il, n’a pas laissé de testament : la nature de ses relations avec le parti et la nature du parti lui-même exclut la possibilité d’un tel testament. » Evoquant la lettre de Lénine sur la réorganisation de l’Inspection ouvrière et paysanne (sur laquelle Staline avait la haute main) Trotsky n’hésite pas à déclarer : « L’affirmation d’Eastman selon laquelle le C.C. était anxieux de cacher, c’est-à-dire de ne pas publier, les articles du camarade Lénine sur l’Inspection ouvrière et paysanne est également erronée. Les différents points de vue exprimés dans le C.C., s’il est seulement possible de parler de différence de points de vue dans ce cas, avaient une portée absolument secondaire 21. »
    Comment Trotsky peut-il tenir ce langage, alors que Lénine, sur ce point, attaquait à fond, et que Trotsky était pleinement d’accord avec lui, comme il l’a cent fois répété ?
    On ne saurait faire le bilan de cette politique de conciliation sans montrer que, même sur le plan théorique, Trotsky était obnubilé. Nous avons déjà signalé qu’il n’a pas donné à la lutte contre la théorie du socialisme dans un seul pays, quand elle fut « découverte » par Staline, un caractère principiel. Il faut reconnaître également que Trotsky ne s’est pas opposé à l’entrée des communistes chinois dans le Kuomintang, pas plus qu’à la tactique menée par les communistes anglais dans le comité anglo-russe d’unité des Syndicats. Dans un cas comme dans l’autre, il n’a engagé la lutte contre la politique stalinienne que lorsqu’elle tourna ouvertement au désastre 22. Nous disions plus haut que la tactique de l’Opposition de gauche avait contribué à désarmer l’avant-garde révolutionnaire en Russie, nous devons, à la lumière de ces derniers exemples, ajouter qu’elle fut aussi négative pour l’avant-garde révolutionnaire mondiale. Trotsky dit que Staline apparut un jour au monde comme un « dictateur tout fait », il oublie de mentionner sa responsabilité à cet égard.
    C’est enfin dans la dernière période de lutte entre l’Opposition et la direction stalinienne, à mesure que cette lutte se fait plus violente, que les capitulations se font plus radicales et plus tragiques. A deux reprises, en octobre 1926 et en novembre 27, l’Opposition de gauche, qui réunit alors, aux côtés de Trotsky, Kamenev et Zinoviev, se condamne solennellement, répudie ses partisans à l’étranger et s’engage à se dissoudre. Enfin, alors qu’il n’y a plus d’espoir pour elle, alors que Staline a à sa disposition un congrès (le XVe), qui lui obéit aveuglément, l’Opposition fait une ultime démarche de recours en grâce, et rédige une nouvelle condamnation de son activité; c’est la Déclaration des 121. Il s’agit d’un document d’une grande valeur historique, puisqu’il représente la dernière action publique de l’Opposition de gauche en Russie. La déclaration commence par proclamer que l’unité du parti communiste est le plus haut principe à l’époque de la dictature du prolétariat. Nous retrouvons les mêmes termes que Trotsky employait déjà dans son discours au XIIIe Congrès cité plus haut. Le parti est tenu pour un facteur divin du développement historique, indépendamment de son contenu et de sa ligne. La déclaration souligne à cet effet le danger d’une guerre contre l’U.R.S.S. et affirme qu’il n’y a rien de plus pressé que de rétablir « l’unité combattante du parti ». On peut trouver extraordinaire que l’opposition cherche avant tout à garder au Parti la façade de l’unité, alors que les plus graves dissensions la dressent contre la direction de ce parti. Mais les 121 ont décidé de tenir pour nulles leurs dissensions avec le parti. Ils répètent certes à plusieurs reprises qu’ils sont convaincus de la justesse de leurs vues et qu’ils continueront à les défendre, comme les y autorisent les statuts d’organisation, après avoir dissous leur fraction ; mais en même temps ils proclament : « il n’y a pas de différence programmatique entre nous et le parti 23 ». Et ils se défendent aprement d’avoir jamais pensé que le parti ou son comité central fussent passés à Thermidor. Or non seulement en 1927 le parti a complètement perdu son visage révolutionnaire et démocratique, mais il a adopté la perspective du socialisme dans un seul pays, c’est-à-dire en fait renoncé à celle de la révolution mondiale.

    Cette voie royale que Trotsky, à lire son Staline, aurait fait suivre à l’Opposition de gauche, elle n’a donc jamais existé. Trotsky a improvisé pendant cinq années une politique au jour le jour, politique de dures concessions, de révolte — quand la domination de la bureaucratie se faisait trop insupportable — puis de capitulations qui préparaient de nouvelles explosions. Il ne nous est pas possible de suivre ici le comportement des différents représentants de l’Opposition. Mais les transfuges y furent nombreux, sans même parler de Zinoviev et de Kamenev qui étaient devenus des professionnels de la capitulation. Certes le visage de Trotsky se détache du groupe, car il n’était pas l’homme d’un abandon définitif. Mais sa responsabilité n’est que plus éclatante. Comment peut-il accabler les transfuges quand toute sa politique a tendu à nier toute « différence programmatique » avec les staliniens ? Cette politique peut se résumer dans la formule qu’il employait en 1927 : « ce qui nous sépare (de la bureaucratie) est incomparablement moindre que ce qui nous unit 24. » C’était une politique de suicide, puisque, malgré toutes ses déclarations pratiques, Trotsky, mille détails nous le prouvent, n’était pas dupe de la dégénérescence bureaucratique. Ses interventions dans les organismes supé¬rieurs du parti, les notes qu’il mentionne lui-même dans ses Mémoires ne laissent pas de doute à ce sujet. C’est d’une manière délibérée qu’il trompe l’opinion, au nom de fins supérieures, c’est-à-dire pour la sauvegarde de l’Etat soviétique dans le monde.
    Comment comprendre que Trotsky, tout en percevant la bureaucratie totale du parti et le caractère réactionnaire de la politique des dirigeants, continue à se sentir solidaire de ce parti et de ces dirigeants ? On ne peut répondre à cette question sans prendre du recul et sans situer Trotsky et le trotskysme dans un développement objectif. Car l’intéressant pour nous n’est pas de voir si Trotsky a bien ou mal agi dans telle situation donnée, mais d’expliquer son attitude. En ce sens, toute une partie de la critique de Souvarine nous paraît artificielle. Dans de nombreux passages, il reproche à Trotsky d’avoir mal mené la lutte, d’avoir provoqué la haine des dirigeants par des polémiques inopportunes, d’avoir rapproché Zinoviev et Kamenev de Staline au lieu de les dissocier de lui, en général de ne pas avoir su attendre que le bloc de ses ennemis s’effritât, de ne pas avoir su temporiser et manœuvrer comme le faisaient ses adversaires. Nous ne pouvons suivre Souvarine dans cette voie ; à supposer que Trotsky ait été souvent intransigeant et maladroit, malgré sa ligne générale de conciliation, ce n’est là qu’un aspect mineur de la question, et, de toute manière, il n’y a pas à lui reprocher de n’avoir pas su manœuvrer dans les sommets, mais au contraire d’avoir trop souvent limité son action aux sommets. Souvarine le sent bien, d’ailleurs, quand il fait porter sa critique, non plus sur la personnalité de Trotsky, mais sur le développement de ses positions.
    Faire la critique objective de Trotsky et de l’Opposition de gauche, c’est abandonner les critères de valeur pour un point de vue historique, concret. Trotsky semble adopter ce point de vue quand il s’efforce de tout ramener à une explication du type « c’était le reflux de la révolution ». En fait cette explication, sans être fausse, n’est pas satisfaisante, car elle est infiniment trop large. La conception du reflux révolutionnaire peut permettre de comprendre l’échec, mais non la déroute idéologique de l’opposition. Précisément parce que l’explication est trop large, Trotsky en invoque souvent une autre, trop étroite, cette fois : les machinations de Staline et des siens. En réalité nous ne pouvons comprendre la politique de Trotsky et des leaders révolutionnaires de grande valeur qui l’entouraient, après 1923, qu’en l’intégrant dans le développement antérieur du parti bolchevik.
    Car c’est bien le bolchevisme qui continuait à s’exprimer dans l’Opposition de gauche, et c’est de son impuissance à survivre comme idéologie et stratégie révolutionnaires qu’il faut arriver à rendre compte. Dans un passage de son Staline, Trotsky tente d’éluder le problème.
    « Stériles et absurdes, écrit-il, sont les travaux de Sisyphe de ceux qui essayent de réduire tous les développements d’une période à quelques prétendus traits fondamentaux du parti bolchevik… Le Parti bolcheviste s’assigna à lui-même le but de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière. Dans la mesure où ce parti accomplit cette tâche pour la première fois dans l’histoire et enrichit l’expérience humaine par cette conquête, il a rempli un prodigieux rôle historique. Seuls ceux qu’égare le goût de la discussion abstraite peuvent exiger d’un parti politique qu’il soumette et élimine les facteurs, beaucoup plus denses, de masses et de classes qui lui sont hostiles 25. » On ne peut qu’être d’accord sur le prodigieux rôle historique des bolcheviks. Par ailleurs la question est mal posée. Il ne s’agit pas évidemment d’exiger du parti une sorte de triomphe sur le cours de l’histoire, mais de comprendre comment le cours de l’histoire est exprimé par la structure et la vie du parti lui-même. Ce n’est pas parce que le parti bolchevik a réalisé la révolution d’Octobre que l’on doit le déifier et ne voir dans son échec postérieur qu’un accident. L’échec du parti bolchevik en 1923 doit être compris par la dynamique intérieure de ce parti. Nous ne cherchons nullement à minimiser le rôle des facteurs objectifs, mais à discerner sur la base de l’expérience bolchevique leur puissance permanente.
    Nous ne voulons pas revenir — assez d’ouvrages et d’études de toutes sortes l’ont mis en évidence — sur le caractère bien particulier de la Russie dans le monde capitaliste avant 1917, sur l’aspect arriéré de son économie et le manque de culture des masses. Si cette situation même, comme on l’a également souligné, fut favorable à la formation d’un parti révolutionnaire vigoureux, les contradictions sociales étant portées à leur paroxysme, il n’en est pas moins vrai, et l’on a généralement moins insisté sur cet aspect des choses, qu’elle eut des conséquences essentielles en ce qui concerne la structure et le fonctionnement du parti. Dans aucun pays sans doute le type du révolutionnaire professionnel ne fut réalisé comme en Russie ; les nécessités de l’illégalité, en face de l’autocratie tsariste, l’habitude de vivre sous l’oppression et dans une grande misère contribuèrent à créer le type du praticien de la révolution que fut par excellence le bolchevik. Mais il faut voir aussi que le révolutionnaire professionnel, par la logique même de sa situation, était amené à se détacher des masses, à n’entretenir avec l’avant-garde réelle des usines que des relations superficielles. La clandestinité contraignait le révolutionnaire à vivre dans de petits cercles relativement fermés. Ce climat était favorable à la centralisation, non à la démocratie. Trotsky, dans son Staline, écrit en ce sens : « Le penchant du bolchevisme pour la centralisation révéla dès le IIIe Congrès ses aspects négatifs. Des routines d’appareils s’étaient déjà formées dans l’illégalité. Un type de jeune bureaucrate révolutionnaire se précisait. La conspiration limitait étroitement, il est vrai, les formes de la démocratie (élection, contrôle, mandats). Mais il n’est pas niable que les membres des comités aient rétréci plus qu’il ne le fallait les limites de la démocratie intérieure et se soient montrés plus rigoureux envers les ouvriers révolutionnaires qu’envers eux-mêmes, préférant commander, même lorsqu’il eût été indiqué de prêter attentivement l’oreille aux masses. » Et Trotsky poursuit : « Kroupskaïa note que dans les comités bolchevistes, de même qu’au congrès, il n’y avait presque pas d’ouvriers. Les intellectuels l’emportaient :  » Le membre du comité, écrit Kroupskaïa, était d’ordinaire un homme plein d’assurance ; il voyait l’énorme influence que l’activité du comité avait sur les masses; en règle générale le comitard n’admettait aucune démocratie à l’intérieur du parti 26.  » » Certes, ce divorce entre certains révolutionnaires professionnels et les masses était moins marqué dans les grands moments révolutionnaires, mais les effets en étaient cependant très graves. On les voit se manifester à l’occasion de la révolution de 1905, quand les bolcheviks refusent de reconnaître les soviets que créent spontanément les ouvriers. « Le comité bolcheviste de Pétersbourg, rapporte Trotsky, s’étonna d’abord d’une innovation telle que la représentation des masses en lutte indépendamment des partis, et n’imagina rien de mieux que d’adresser un ultimatum au soviet : faire sien sur l’heure le programme social-démocrate ou se dissoudre 27. » On peut affirmer que, si les bolcheviks ne provoquèrent pas des catastrophes, ce fut grâce à Lénine, et à sa faculté exceptionnelle de discerner en toute situation la signification révolutionnaire. Mais la prééminence même de Lénine mérite réflexion ; on est frappé de voir comme les meilleurs leaders bolcheviks sont peu solides sans lui. Il y a une véritable faille entre Lénine et les autres dirigeants bolcheviks, et une faille aussi entre ces dirigeants et les militants moyens de l’Organisation. Mille preuves pourraient en être données, mais la plus connue, sans doute, est fournie par les événements de Février 1917 lorsque, Lénine étant en exil, Kamenev et Staline s’emparèrent en son absence de la direction du parti. Quand Lénine revint et présenta ses thèses d’Avril, il fut presque seul contre tout le parti, et ne trouva de soutien que chez les ouvriers bolcheviks de Viborg. C’est assez dire que la force du parti ne tenait qu’à un fil. Certes, les ouvriers bolcheviks étaient les meilleurs garants de sa puissance, mais ils ne pouvaient eux-mêmes diriger l’Organisation, et, parmi les cadres, personne d’autre que Lénine ne pouvait la diriger.
    Cette physionomie bien particulière du parti bolchevik, on la voit s’accentuer au lendemain de la révolution et pendant toute la période de la guerre civile. La guerre civile, en effet, jointe au chaos économique et au faible niveau de culture des masses russes, rendait nécessaire une concentration du pouvoir accentuée, une politique de plus en plus volontariste face à une situation de plus en plus difficile. Souvarine décrit parfaitement, dans ces conditions, l’évolution du Conseil des Commissaires du Peuple, qui devient vite la doublure du comité central bolchevik, et ne sert plus qu’à donner forme constitutionnelle à ses décisions. Il montre également que le comité central à son tour existait de moins en moins en tant que « collège » et que le véritable pouvoir se trouvait concentré entre les mains d’une oligarchie au sein du Politbureau. Dans toutes les institutions, dans les syndicats comme dans les soviets, il n’y avait qu’un pouvoir et qu’une politique, celle des bolcheviks, qui devenaient de plus en plus de simples fonctionnaires étrangers aux masses et aux ouvriers en particulier. La même logique amenait les bolcheviks à se débarrasser de toutes les oppositions. On ne sait que trop avec quelle exceptionnelle violence Lénine s’acharna à exterminer ses adversaires, qu’ils fussent socialistes révolution¬naires de gauche ou anarchistes. Voline donne sur ce point des renseignements saisissants. On y voit notamment les bolcheviks fabriquant des documents compromettants contre les anarchis¬tes pour leur mettre sur le dos des affaires criminelles auxquelles ils sont absolument étrangers. La terreur qui commence par exterminer tous les partis opposants, tous les groupes concurrents, et qui finit, au sein même du parti bolchevik, par l’interdiction des fractions, atteint son paroxysme avec la répression des ouvriers de Cronstadt, qui, autrefois considérés comme l’élite révolutionnaire, et combattant pour des revendications dont certaines sont confuses, mais la plupart démocratiques, sont traités comme des agents de la contre-révolution et implacablement écrasés.
    Tous les faits concordent : le parti qui, dès son origine et en raison de la situation objective, tendait vers une structure militaire et fonctionnait comme un organisme mal lié aux masses, a accusé considérablement ces traits dans la période post-révolutionnaire. On ne peut que suivre Souvarine quand il reprend à son compte la définition de Boukharine : « Le parti à part et au-dessus de tout 28. » En revanche il nous paraît que Souvarine oscille entre une critique de l’attitude des dirigeants (subjective) et une interprétation objective qui rattache cette évolution du bolchevisme à la situation donnée, économique et sociale, nationale et mondiale. Nous le répétons, la première critique n’a pas de sens pour nous. Il n’y a pas de jugement de valeur qui soit permis. La politique du parti bolchevik a été de 1917 à 1923 celle d’une organisation révolutionnaire luttant désespérément pour préserver jusqu’à l’éclatement de la révolution mondiale une victoire prolétarienne sans précédent dans l’histoire. Cette politique était essentiellement contradictoire, puisqu’elle était amenée à prendre un contenu antiprolétarien au nom des intérêts majeurs du prolétariat. Mais ses contradictions elles-mêmes étaient objectives, car elles exprimaient les contra¬dictions du prolétariat russe victorieux, et étouffé dans sa victoire par des facteurs négatifs à l’échelle nationale et internationale. La période post-révolutionnaire en Russie est le momenttragique du bolchevisme, déchiré entre ses fins et la nature des forces qu’il tente d’animer. Ce tragique culmine dans la répression des ouvriers de Cronstadt par Trotsky, qui est amené à les écraser et à forger des faux pour persuader le monde entier de leur culpabilité. Mais ce moment de la contradiction est, par essence, transitoire; le bolchevisme ne peut demeurer déchiré entre son comportement réel et ses principes ; quelles que soient les fins suprêmes qu’il vise, il ne peut survivre s’il se coupe de son contenu réel, — les masses prolétariennes qu’il représente. Il ne peut demeurer sans fondement social, comme pure volonté de forcer le cours de l’Histoire. Au sein même du parti, la contradiction s’exprime comme la différence entre la politique de Lénine et de Trotsky, qui coûte que coûte « gouvernent vers la révolution mondiale », et le corps même du parti qui tend à se cristalliser socialement et ébauche déjà la forme dl’une caste privilégiée.
    Ce n’est que dans cette perspective que l’on peut comprendre la défaite de Trotsky, sa liquidation en 1927, et surtout, ce qui est essentiel, son effondrement idéologique dès 1923. La lutte de Trotsky contre la bureaucratie manquait de base parce que celui-ci était objectivement un artisan de cette bureaucratie. Trotsky ne peut reprocher à Staline de faire une politique anti¬ouvrière et antidémocratique quand il a inauguré lui-même cette politique. II ne peut critiquer la répression exercée contre l’Opposition quand lui-même a participé à la répression du Groupe ouvrieret de la Vérité ouvrière.
    Il n’a plus la liberté de s’appuyer sur l’avant-garde des usines parce qu’il s’est coupé d’elle. Il n’a pas de plate-forme d’ensemble contre Staline parce qu’il s’est lui-même laissé enfermer dans la contradiction qui consiste à diriger le prolétariat en fonction de ses intérêts suprêmes à rencontre de ses intérêts immédiats. Le tournant de 23 paraît souvent difficile à comprendre. En fait, à cette époque, le caractère révolutionnaire du bolchevisme ne tient déjà plus qu’à un fil : la politique de Lénine et de Trotsky orientée vers la révolution mondiale. En l’absence de cette révolution, le fil doit se rompre. La contradiction trop forte doit s’abolir. Ainsi l’avènement de Staline représente-t-il l’éclatement de la contra¬diction et le surgissement d’un nouveau terme. Pour s’affirmer, le nouveau régime n’a pas besoin d’entrer en guerre contre toutes les valeurs précédentes. Elles se sont ruinées d’elles-mêmes et, perdant leur vrai contenu, sont déjà devenues en un sens des moyens de mystification ; ainsi Staline peut-il surgir sans que sa politique semble rompre d’emblée avec la politique bolcheviste. Ainsi la lutte qu’il mène contre Trotsky peut-elle apparaître comme une lutte de personnes. Et Trotsky lui-même peut-il affirmer qu’il s’agit d’une « conspiration sans principe, dirigée contre lui personnellement ». En fait il s’agit d’une rupture absolue avec le passé, comme l’avenir le montrera, mais apparemment, ce n’est qu’une transition insensible, une question de personnes. Trotsky, qui a voulu voir dans la seule existence du parti et la survivance formelle de la dictature du prolétariat comme une garantie historique pour la révolution mondiale, prolonge par l’attitude qu’il prend le moment de la contradiction dans le stalinisme, il veut croire que ce parti bureaucratisé, qui mène une politique contre-révolutionnaire, est un élément essentiel pour le prolétariat international. Tel est le sens des étranges déclarations que nous rapportions sur l’unité du parti et en général le sens de sa ligne de conciliation. Tel est le sens aussi de ses sursauts intermittents. Dans le même temps, il cache le Testament et accuse Staline d’abandonner la politique léniniste ; dans le même temps, il demande un « cours nou¬veau », une véritable démocratisation du parti, et déclare, en dépit de la bureaucratisation, que « le parti a toujours raison ». Il n’a plus la liberté d’agir en révolutionnaire parce qu’il participe d’un processus qui l’a conduit à tourner le dos aux masses. Il n’a pas la liberté d’agir en bureaucrate parce qu’il s’est toujours déterminé, quelle que fût sa tactique, en fonction de l’idéal révolutionnaire.
    Ses contradictions s’expriment peut-être de la manière la plus éclatante dans son hésitation quand il s’agit de dater le « Thermidor ». En 1923, il repousse toute analogie avec la réaction thermidorienne ; en 1926, il prévoit la possibilité d’un cours thermidorien ; en même temps il attaque violemment les gauchistes de Centralisme démocratique,selon qui Thermidor était déjà fait. En novembre 1927, à la suite d’une manifestation de rues où les partisans de l’Opposition sont molestés par les bandes staliniennes, il affirme qu’on vient de voir une répétition générale de Thermidor. En 27, avec les 121, il affirme n’avoir jamais pensé que le parti ou son C.C. fût thermidorien. En 28-29 il annonce à nouveau la menace thermidorienne ; puis en 30 proclame brusquement : « Chez nous, Thermidor a traîné en longueur. » Enfin, en 35, dans sa brochureEtat ouvrier, Thermidor et Bonapartisme il écrit : « Le Thermidor de la grande révolution russe n’est pas devant nous, mais déjà loin en arrière. Les thermidoriens peuvent célébrer le dixième anniversaire de leur victoire29. »
    ïl valait la peine d’examiner attentivement l’attitude de Trotsky à l’aube du stalinisme, car elle nous permet d’éclairer la politique (théorique) qu’il mena jusqu’à sa mort. Nous avons dit que Trotsky a représenté, de 23 à 27, les contradictions du bolchevisme. Nous devons maintenant ajouter qu’il ne s’est jamais dégagé de cette situation déchirée. Il a par la suite transporté dans le domaine de la théorie révolutionnaire la contradiction dans laquelle il s’était trouvé objectivement enfermé. Il a certes été obligé par les événements d’apercevoir le caractère contre-révolutionnaire du stalinisme, mais il n’a pas été capable de prendre une vue d’ensemble de la nouvelle société stalinienne et de la définir. Il a transféré sur des catégories économiques — la collectivisation, la planification — le fétichisme qu’il avait d’abord professé à l’égard de formes politi¬ques, — Parti, Soviets. Il déclare à la fois qu’ « à la différence du capitalisme, le socialisme ne s’édifie pas automatiquement, mais consciemment, (que) la marche vers le socialisme est inséparable du pouvoir étatique 30 », et que « la dictature du prolétariat a trouvé son expression défigurée mais incontestable dans la dictature de la bureaucratie 31 ». Il montre que la bureaucratie s’est trouvée une base économique et sociale autonome 32, mais il continue dans toutes ses œuvres à affirmer que la bureaucratie n’est pas un système d’exploitation, qu’elle est simplement une caste parasitaire. Il écrit de manière excellente : « Le Thermidor russe aurait certainement ouvert une nouvelle ère du règne de la bourgeoisie, si ce règne n’était devenu caduc dans le monde entier» indiquant par là que le mode d’exploitation fondé sur la propriété privée est dépassé par le cours de l’histoire, sans que pour autant le socialisme soit réalisé, et à l’inverse il dit et répète que le règne de la bureaucratie est purement transitoire et qu’il doit s’effondrer devant les deux seules possibilités historiques : capitalisme ou socialisme.

    Nous avons suffisamment insisté sur le sens de notre critique pour espérer éviter les malentendus. Le Stalinisme est pour nous un système d’exploitation, qu’il convient de comprendre, comme il convient de comprendre le capitalisme moderne, en vue de contribuer au mouvement ouvrier, seul susceptible de les renverser. Quand nous apprécions le bolchevisme, notamment dans sa phase de décadence, c’est en gardant avec lui un lien de participation, car sa force et sa crise sont celles de l’idéologie révolutionnaire.
    Par ailleurs les appréciations romantico-fatalistes, du genre : « l’échec du bolchevisme, le parti génial des surhommes, montre bien que la révolution est impossible », nous sont étrangères. Le bolchevisme est pour nous l’expression d’une époque. Il n’a pas échoué parce que le prolétariat est sans avenir, mais parce qu’il était une anticipation historique. Il a échoué parce que la révolution socialiste est dans son essence mondiale et que ses fondements — la concentration des forces productives, l’interpénétration des économies — étaient encore insuffisants à l’époque de la Première Guerre mondiale; il a échoué parce que la révolution socialiste est par essence prolétarienne et que ses conditions — la capacité de gestion du prolétariat — n’étaient pas mûres. Ce serait une autre tâche — qui déborde le cadre de cette étude — de montrer d’une part que les bases d’une telle révolution se sont élargies en même temps que s’étendait la « barbarie », d’autre part que cette révolution présenterait des traits — participation effective de l’avant-garde prolétarienne au pouvoir, importance des organes autonomes de la classe, rôle réduit du ou des partis — sensiblement différents de ceux qu’à revêtus la révolution russe.

    Notes

    1. Staline, Grasset, 1948, p. 95.
    2 p. 46
    3 p. 290
    4. Staline, Aperçu historique du bolchevisme, Plon éd.
    5. p. XIII.
    6. Ma Vie, p. 237, Rieder éd.
    7. L’ouvrage, il est vrai, est inachevé, mais Trotsky indique dans l’Introduction qu’il a volontairement donné une place secondaire à la période post-révolutionnaire.
    8. Ma Vie, p. 270, I.
    9. Staline, p. 555. Ici, comme dans la suite, les mots soulignés le sont par nous.
    10. P. 12.
    11. New International, nov. 1934 (traduit par nous).
    12. What happened and how, de Trotsky, cité par Political Correspondence ofthe Workers League for a revolutionary party, n° de mars 1947, p. 27. (Traduit par nous.)
    13. Ma Vie, p. 209.
    14. Ma Vie, p. 203.
    15. Staline, de Souvarine, p. 340.
    16. Staline, de Trotsky, p. 554.
    17. La Révolution trahie, p. 116.
    18. Staline, de Souvarine, p. 339.
    19. Octobre et la Révolution permanente, étude de Staline, oct. 1924.
    20. « Après le treizième Congrès, certains nouveaux problèmes concernant le domaine de l’industrie, des soviets ou de la politique internationale surgirent ou devinrent plus clairement définis. L’idée d’opposer une plate-forme quelconque à l’œuvre du comité central du Parti pour leur solution me fut absolument étrangère. Pour tous les camarades qui assistèrent aux réunions du Bureau politique, du Comité central, du Soviet du Travail et de la Défense, du Soviet Militaire Révolutionnaire, cette assertion se passe de preuves. » Cité par Political Correspondence, ibid. (Traduit par nous.)
    21. Texte de la lettre de Trotsky cité par The Bulletin ofthe Workers League for a Revolutionary Party, p. 30, n° sept-oct. 1947.
    22. Deux extraits cités par Political Correspondence sont significatifs à cet égard. Dans un discours adressé à des étudiants d’Extrême-Orient, Trotsky déclare : « Nous approuvons l’appui communiste au Kuomintang en Chine, où nous essayons de faire la révolution. » (Rapporté parInternational Press Correspondence, mai 1924.) Par ailleurs au Congrès des ouvriers du textile, Trotsky dit : « Le comité anglo-russe d’Unité des Syndicats est la plus haute expression de ce changement dans la situation européenne et particulièrement anglaise, qui s’opère sous nos yeux et qui conduit à la révolution européenne. » (Rapporté par la Pravda, janvier 1926.)
    23. Cité par The Bulletin…, n° de sept.-oct. 1947.
    24. Cité par Souvarine, p. 421.
    25. Staline, de Trotsky, p. 554.
    26. Id., p. 87,
    27. Id., p. 95.
    28. Staline, p: 300.
    29. Etat ouvrier, Thermidor et Bonapartisme, p. 25.
    30. Id., p. 20.
    31. On peut également rapprocher cette affirmation des dernières lignes du Staline qui la démentent absolument : « L’Etat, c’est moi, écrit Trotsky, est presque une formule libérale en comparaison avec les réalités du régime
    totalitaire de Staline. Louis XIV ne s’identifiait qu’avec l’Etat. Les papes de Rome s’identifient à la fois avec l’Etat et avec l’Eglise — mais seulement durant les époques du pouvoir temporel. L’Etat totalitaire va bien au-delà du césaropapisme, car il embrasse l’économie entière du pays. A la différence du Roi-Soleil, Staline peut dire à bon droit : « La société, c’est moi. » (C’est nous qui soulignons.)
    32. Par exemple dans le passage de son Staline où il écrit, évoquant la période de liquidation des koulaks : « Ainsi s’ouvrit la lutte irréconciliable pour le surplus de la production du travail national. Qui en disposerait dans le plus proche avenir — la nouvelle bourgeoisie ou la bureaucratie soviétique — cela devint la question dominante, car qui en disposera aura le pouvoir de l’Etat à sa disposition. » Staline, p. 546.
    33. Staline, p. 559.