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Dans l’horreur des fermes-usines

écologie

Lien publiée le 25 juin 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.humanite.fr/dans-lhorreur-des-fermes-usines-577456

Poulaillers de 25000 poulets ou maternité porcine de 1000 truies... autant d’avatars de la ferme-usine. alors que le 17 juin, 9 militants de la Confédération paysanne étaient jugés à amiens pour « vol et dégradation » lors d’actions syndicales contre la ferme des 1000 vaches, à abbeville dans la somme, comment ce modèle s’est-il imposé ? Qui est derrière ? reportage dans les Côtes-d’armor.

Trébrivan (CôTes-d’armor). Au café du bourg voisin, quasi désert, un éleveur de volailles ne semble même pas se souvenir de l’endroit précis où peut bien être la maternité porcine. « Ça a fait du bruit ! Mais c’est toujours pareil, c’était à cause des écolos. Ils ont des images de cartes postales de campagne dans la tête ... Mais il faut bien qu’on bosse, nous, les agriculteurs ! » L’ambiance est posée.
À Trébrivan, pas âme qui semble vivre. Le bar-épicerie a baissé le rideau, il y a un an. Sur une butte, à 700 mètres du village, la Société civile d’entreprise agricole (SCEA) Ker Anna, trois hangars ultramodernes, qui relèvent plutôt de l’usine à viande que de l’élevage.
À l’intérieur, il y a du monde : 883 truies, et on ne sait pas trop combien de porcelets ce jour-là.
Mais 23 000 naissent ici chaque année. La maternité compte en tout 3210 places.
Impossible de se balader dans les allées de la maternité, l’accès nous a été refusé. Mais un article de « Porc Magazine » (1) renseigne sur les « équipements high-tech».
« Un contrôle intégral de l’alimentation via des doseurs spécifiques pilotés par ordinateur.(...) Un dispositif de lavage d’air », qui limite l’odeur à l’extérieur. « Tout est pensé pour réduire l’importance d’une main-d’œuvre salariée » par une « mécanisation complète».
En bref, moins de travail, plus de capital ! Autour de cette méga-porcherie, qui tourne depuis 2011, difficile de faire parler les gens. M. le maire a commencé par dire : « Ah non, y en a marre ! C’est aux normes, ça crée des emplois pour la commune. » Après avoir retourné le sujet dans tous les sens – des fermes-usines à la crise du porc, en passant par la disparition des paysans –, il a fini par dire banco ! Joël Le Croisier est un ancien exploitant agricole, 30 vaches, 50 hectares. Il a voté Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux), est élu maire PS de la commune de 700 habitants depuis 1995. « On était 30 agriculteurs, il y a 10 ans. Aujourd’hui, dès qu’un part à la retraite, il vend ses terres à un autre, qui s’agrandit. Il n’y a plus que 3 producteurs. »

Mais « les porteurs de projet », nouvelle dénomination des paysans, font la tête quand on leur dit qui on est : « On s’est mis d’accord avec les associés, on ne parle plus aux journalistes. On a eu trop de problèmes. On fait le dos rond, on peut se retrouver sans autorisation », lâche Christian Prigent, maire DVD de Plougonver, à 25 km de là, porteur du projet avec trois autres porchers dont les élevages sont à 90, 65 et 50 km.
Pour comprendre, il faut se plonger dans les PV de procédure, les articles de la presse spécialisée. Il y a 9 ans, 4 éleveurs, qui ont entre 830 et 2 100 places à l’engraissement, ont voulu regrouper ici leurs truies pour faire naître les porcelets. « C’est la partie la plus exigeante en temps de travail. Ça leur permet de déléguer et, ainsi, de grossir leurs élevages. Trois salariés conduisent la maternité, mais comme ils en ont supprimé dans leur élevage, on ne peut pas parler de créations de postes », analyse Jean-Marc Thomas, éleveur laitier de la Confédération paysanne à Rostrenen, à 40 km.
Des maternités collectives comme celle-ci existent ailleurs en Bretagne, adhérentes à Porc Armor, le groupement du porc breton – 700 producteurs, 278 millions de chiffre d’affaires. À Trébrivan, il y a 85 mises bas tous les 15 jours. À 8 kg, les porcelets rejoignent les ateliers d’engraissement. Pour faire sortir 58 % de la production porcine française de la seule région Bretagne, il faut bien cela.
« Les producteurs sont abandonnés à leur sort, à force de dérégulation et brutalement mis en concurrence. Comme ils n’arrivent pas à rémunérer leur travail sur des fermes à taille humaine, ils sont en sursis dans le capitalisme du prix mondial, du seul jeu de l’offre et de la demande, leur discours est qu’ils n’ont alors pas d’autre issue que de se regrouper dans ces fermes-usines qui se justifient par la baisse des coûts de production », explique Xavier Compain, responsable agriculture du PCF ; 200 producteurs porcins seraient près de la faillite dans le département.

Repères. 
500 000. En 60 ans, le nombre des exploitations agricoles a été divisé par quatre, passant de 2 millions en 1955 à 500 000 environ en 2010. selon le recensement agricole de 2010, 200 exploitations disparaissent chaque semaine.
0,5 Suicide par jour. Un agriculteur se suicide tous les deux jours. Le taux d’endettement des exploitations a triplé en 25 ans.
29 %. Les agriculteurs sont de plus en plus salariés : de 10 % en 1988 à 29 % en 2010.
25 millions. La quantité de porcs produits en France en 2014. L’énergie « directe », c’est-à-dire celle consommée directement dans les bâtiments pour un porc, représente 2,2 % du « coût de production». cette part a augmenté de 12 % dans les 5 dernières années. 60 % est consacrée à l’alimentation des animaux.
13 c’est le nombre d’hectares pour une ferme moyenne en europe, contre 170 aux États-Unis.
6 710 Les élevages de porcs en Bretagne, – 8 % par rapport à 2010.
+ 40 % Les troupeaux laitiers ont grossi de 40 % entre 2000 et 2010.

7 tonnes d’ammoniac

Comment des éleveurs ont financé de tels investissements de près de 2 millions d’euros ? Dans la première version des statuts de la SCEA Ker Anna, chacun mettait entre 29 000 et 73 700 euros. Un autre actionnaire, la SARL Kerloann, y figurait aussi et apportait 50 000 euros. Elle aurait surtout servi de caution bancaire, pendant que les éleveurs, eux, s’endettaient. Parmi ces actionnaires, Porc Armor, Sanders, leader des aliments concentrés pour animaux, et aussi Abera (abattoirs). Ce sont des fi- liales de Sofiprotéol-Avril.
Selon ses statuts, la SARL Kerloann a pour but « la prise de participation dans toutes sociétés, liées directement ou indirectement au secteur de la production porcine ». Pourquoi ? Faire du business, leur refourguer des aliments, mais aussi intégrer totalement les filières (voir encadré cicontre). « Ça correspond au discours de Xavier Beulin, président de la FNSEA, pour lequel il faut sauver l’emploi dans la filière agricole complète. On fait du paysan un producteur de matières premières à bas coût pour alimenter l’agro-industrie », continue Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne.
Pourquoi venir à Trébrivan ? « Auparavant, il y avait un élevage de poules, et des droits à produire (des droits d’azote à polluer – NDLR) qui sont cessibles et qu’ils ont rachetés. C’est en fait une sorte de délocalisation de la pollution parce que, dans le nord des Côtesd’Armor, ils sont à saturation d’azote par hectare. Ils en profitent pour être plus compétitifs », détaille Joël Le Croisier.
La méga-maternité « produit » aussi 5 millions de litres de lisier, donc 7 tonnes d’ammoniac. Un symbole dans un département qui se bat chaque été contre les algues vertes. Le lisier est épandu sur 300 hectares de champs dans un rayon de 20 km. « L’épandage des déjections sur les cultures : c’est le seul lien de ces fermesusines avec la terre », commente Laurent Pinatel. Car ici, contrairement à d’autres fermes-usines, il n’y a pas de méthanisation.

Sofiprotéol, fer de lance de l’agro-industrie française
Le site Reporterre a mené l’enquête sur sofiprotéol, devenu avril en janvier dernier. c’est un des opérateurs les plus puissants de l’agro-industrie française : 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013. À sa tête, Xavier Beulin, pour qui « celui qui a deux hectares, trois chèvres et deux moutons n’est pas agriculteur », comme il le disait au « monde » en 2014. À l’origine groupement fondé en 1983 par les producteurs d’oléagineux (colza) et de protéagineux (pois), la holding est désormais dans tout l’univers agricole, des agrocarburants aux oGm, en passant par l’alimentation animale. son but : l’intégration totale de filières, en prenant la main progressivement sur l’ensemble de la chaîne de production. dans la filière porcine, il détient la nutrition (sunfeed), l’hygiène et la santé (tecnofirm), la génétique (adevia), des abattoirs (abera).

« L’odeur, on s’en fiche », préviennent pour leur part Sylvie Gourdon et Erwan Chotard, Parisiens d’origine bretonne revenus s’installer ici et qui ont constitué l’association Sous les vents, les pieds sur terre, avec une vingtaine d’habitants. Depuis 5 ans, ils planchent sur le sujet, alertent sur le risque de pollution hydrologique, dans une zone fragile constituée des bassins des rivières qui, lors des pluies, reçoivent les eaux de ruissellement provenant des épandages des déjections des élevages porcins.

DESTRUCTION ACCÉLÉRÉE

Par deux fois, les juges administratifs leur ont donné raison. Les anciens préfets des Côtes-d’Armor ont quand même autorisé la maternité. La dernière fois, c’était le 7 octobre 2014, à partir duquel court un délai d’un an pour contester. Voilà pourquoi les « porteurs de projet », veulent être discrets. En Bretagne, rarement ils rencontrent autant d’opposition. « On est en train d’accélérer la destruction du monde paysan. Pour produire quoi ? Du cochon plein d’antibiotiques, à cause de la concentration, sans doute standard en termes de règles sanitaires, mais sans goût », continue Sylvie Gourdon.

Pour Jean-Marc Thomas, « il y a surtout une responsabilité de l’État». Manuel Valls, devant un parterre de jeunes agriculteurs, proposait en septembre d’aller renégocier la directive nitrates à Bruxelles, la France ayant été condamnée pour son non-respect.
Pour l’instant, les éleveurs continuent ... « Ils n’ont pas le choix, il faut être rentable », argumente Joël Le Croisier. « Depuis les années 1960, on a tellement mis dans la tête des paysans qu’il fallait se concentrer pour être rentable... On est en train de sauver la production, mais pas les producteurs », continue Laurent Pinatel. Car ces éleveurs s’en sortiront-ils ? Avec ces taux d’endettement, la baisse du prix du porc, pas sûr. À Poiroux, en Vendée, le double de Trébrivan doit sortir de terre d’ici septembre 2016.
« Ils délocalisent la pollution », explique Christine Coquenlorge, représentante de Non à l’usine de cochons à Poiroux. Là encore, des éleveurs associés et des actionnaires : « Dans les premiers statuts, la SARL Kerloann apparaît ainsi que le groupe Sanders », révèlet-elle. Et c’est ainsi partout...

TAFTA, le Traité qui peut laminer les paysans Français. En matière d’agriculture, les droits de douanes sont encore élevés. Mais le traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) prévoit de les baisser de plus de 90%. L’agriculture française va se retrouver en concurrence avec des élevages américains, beaucoup plus concentrés. Une véritable agriculture capitaliste. Si l’on s’en tient au précédent de l’accord de libre-échange nord-américain, il pourrait entraîner la disparition des petites exploitations en accélérant le mouvement de concentration des exploitations. Pour faire « pousser » plus vite la viande, abandonnera-on les moins rentables ? Le traité signerait la fin du modèle agricole français, la dégradation de l’environnement et la désertification rurale dans les zones d’élevage de qualité. Aux États-Unis, les éleveurs de viande peuvent utiliser cinq types d’hormones naturelles et artificielles. Le porc est à la ractopamine (un activateur de croissance interdit dans l’UE), les poulets rincés au chlore, les OGM autorisés, sans mention sur l’étiquette.