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A Athènes, la querelle des inquiets et des enthousiastes face au référendum
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Juchés sur de hauts tabourets à la terrasse du café Apolonio, samedi 27 juin dans un quartier élégant d’Athènes, trois hommes discutent. Ils sont comme chez eux dans ce lieu où ils se retrouvent quatre ou cinq fois par semaine, pour boire un café frappé et parler de la vie, souvent de politique, avant de repartir chacun à son travail, dans son propre univers. Car en dehors de ces rendez-vous, ces trois hommes, dont le style de vie et les moyens sont manifestement différents, ne se fréquentent pas. « On est comme ça nous les Grecs. On adore parler politique en plein air. Comme à l’agora de l’Antiquité », lance l’un d’eux.
Fotis P. a la soixantaine, une chaîne en or autour du cou, une chemise Lacoste rose, un pantalon blanc accordé à ses mocassins souples et sa crinière soignée. Il tire, l’air blasé, sur un énorme cigare. Il posséde un magazine de mode et un petit quotidien. Ilias L., 50 ans, affiche un air joyeux, juvénile, dans son polo bleu ciel et son jean foncé. Il est fonctionnaire à la région et gagne, dit-il très simplement, 600 euros par mois. Stefanos M., 40 ans, barbe et cheveux finement taillés et lunettes de soleil à la mode, est lui procureur, passionné par le droit, et garde un air un tantinet suffisant.
Lire aussi : Référendum en Grèce : Tsipras appelle à voter « non », la crainte d’un « Grexit » s’accentue
« Fotis : Cela m’a stupéfié ! J’attendais des élections générales, mais certainement pas un référendum. Quelle absurdité ! Si on vote non, on se coupe de l’Europe. Et si c’est oui, comment Tsipras fera-t-il pour appliquer un plan auquel il ne croit pas ? On nage en plein délire !
Ilias : Délire ? C’est au contraire du pragmatisme. Et Tsipras a raison. C’est au peuple, et à lui seul, de prendre ses responsabilités et de décider pour son avenir. On allait dans le mur ! Les propositions de la troïka signaient la mort de la Grèce. Celles de notre gouvernement étaient elles-mêmes dangereuses. Il faut quitter l’euro. D’urgence !
Fotis : Tu es fou ! Quitter l’euro condamne la Grèce.
Stefanos : Moi je suis choqué. En janvier on a élu un type pour qu’il prenne des décisions. Et voilà qu’il se décharge ? Il veut rester premier ministre, mais il nous file la responsabilité de décider à sa place, après cinq mois de négociations lamentables qui ont mis l’économie par terre ?… Ce type est un lâche.
Ilias : C’est tout le contraire ! Tsipras est le grand leader qui va réveiller toute l’Europe.
Stefanos : Je ne suis même pas sûr qu’il ait bien analysé la question constitutionnelle que pose son référendum-coup d’éclat. Car notre Constitution n’autorise pas son usage pour des décisions financières.
Ilias : Oh ça va ! Il y a eu des tas de choses anticonstitutionnelles depuis cinq ans et personne ne moufte. Nos politiques sont à plat ventre devant Merkel et Schäuble.
Lire aussi : Crise grecque : l’Eurogroupe passe au « plan B »
Fotis : Trop facile d’accuser toujours le reste de l’Europe. Les vrais coupables, ce sont les Grecs. Ça fait des années qu’ils choisissent des hommes politiques désastreux.
Ilias : Mais c’est l’Europe qui nous écrase ! Et la France me déçoit. J’espérais vraiment plus de solidarité de sa part. C’est le seul pays dans les années 80 à avoir soutenu l’entrée de la Grèce en Europe pour des raisons culturelles. Elle se fout bien de la culture aujourd’hui.
Fotis : C’était une autre époque. La France d’aujourd’hui a ses propres problèmes de dette et de chômage.
Illias : Eh bien si c’est chacun pour soi, ne parlons plus d’union ! Cela me dégoûte que l’économie prime sur tout.
Stefanos : Cette Europe-là n’est pas idéale, mais on devrait quand même parvenir à un accord. Il faut des concessions et pas cette réaction immature d’un premier ministre qui cherche la gloire du martyr. On donne encore l’image du mauvais payeur qui espère échapper à ses dettes.
Fotis : Pitoyable ! Je t’assure Ilias, ce référendum est une catastrophe qui va nous diviser. On continuera à boire un café ensemble, mais il ne faudra pas attendre longtemps pour que tu me traites de collabo et que je te traite de rouge !
Ilias : Arrête ! La Grèce a changé. On a une vraie maturité pour décider de notre sort.
Stefanos : Maturité ? Tu plaisantes ? Ça ne peut pas s’appliquer à Tsipras et son tour de passe-passe. Et je trouve affolant que 51 % de la population d’un pays puisse imposer son avis aux autres 49 % sur un sujet aussi grave. Quand on engage l’avenir de plusieurs générations, il faudrait une majorité de 80 %. »
Fotis, l’homme au cigare, triturant toujours son téléphone, navigue sur Facebook. Les réseaux sociaux grecs se sont en effet enflammés, ils explosent de commentaires, d’invectives, de tracts et de caricatures. Les mots « humiliation »et « dignité » reviennent le plus souvent. Et celui de « colère ».
« Fotis : Je viens de voir qu’un mouvement s’organisait pour inciter les gens à ne pas voter au référendum. Car s’il y a moins de 40 % de votants, le scrutin ne sera pas valable.
Ilias : Un boycott ? Mais ce serait honteux ! C’est un sursaut qu’il faut ! Notre premier ministre a réveillé les Grecs qui en avaient besoin.
Fotis : J’ai plutôt l’impression qu’il fait un chantage aux créanciers européens. Si ça marche et qu’ils reculent, je trouverais ça minable.
Stefanos : Quand je pense qu’en 2011, Tsipras critiquait le référendum proposé par Papandreou sur le même sujet en parlant de jeu dangereux et de faillite…
Lire aussi : A l’automne 2011, Georges Papandréou, déjà, choisissait la voie référendaire
Ilias : La situation d’aujourd’hui n’a rien à voir ! On est mûrs je vous dis !
Fotis : C’est ça, cette maturité qui nous pousse au chaos… Ce n’est pas croyable cette propension qu’ont les Grecs à s’accrocher à leurs fantasmes en refusant la réalité. Moi je voterai oui à ce référendum. Sans le moindre doute.
Illias : Et moi je voterai non. Il me reste à convaincre ma mère de 85 ans qui s’obstine à croire en l’Europe. Ça m’énerve. Et toi, Stefanos ?
Stefanos : Le secret du vote est protégé, non ?
Illias : Tu me fais rire ! Les Grecs ne sont jamais d’accord. Trois personnes, quinze opinions ! »
Avant de les quitter, on leur demande s’ils ont couru retirer de l’argent à la banque. Illias brandit tout de suite un ticket issu d’un distributeur de billets : « Voyez ! Sur mon salaire de 600 euros, je viens d’en retirer 180. Cela me suffit pour plusieurs jours. Pas de panique ! » Stefanos, qui n’a pas dit pas le montant de son salaire, avoue être allé prendre 600 euros, « le maximum autorisé ». Quant à Fotis, il pousse un soupir fataliste en écrasant son cigare : « Je n’ai pas bougé. Avoir quelques billets dans la poche ne changerait rien sur le fond. Si on retourne à la drachme, on est tout simplement foutu. » Ilias lève alors les yeux au ciel et éclate de rire : « Allons ! Pour vivre en Grèce, pas besoin de beaucoup d’argent. On boit un café à une terrasse pour 1,30 euro. Puis l’on monte dans un tram avec 30 centimes et l’on peut passer gratuitement la journée à la plage. Alors… »