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Grèce international

Lien publiée le 11 juillet 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Le gouvernement de la gauche "radicale" et "antilibérale" grecque du parti Syriza a finalement accepté ce vendredi 10 juillet l’essentiel des recommandations des créanciers (BCE, Union européenne, FMI) qu’il disait combattre et cela contre l’avis qu’une large majorité des électeurs avait exprimé cinq jours à peine plus tôt.
Une capitulation doublée, pour beaucoup, d’une trahison.

Au lendemain du référendum, lundi et mardi, tout semble continuer comme avant. Le bras de fer se poursuit, les créanciers répètent en boucle que le gouvernement grec doit faire encore des efforts, des concessions, des propositions acceptables pour eux, qu’aucun accord n’est possible sans cela et que la Grèce se dirige tout droit et à grande vitesse dans un « Grexit » catastrophique pour elle mais largement supportable par la zone euro. Seule divergence dans les déclarations des uns et des autres : la dette grecque qui « n’est pas un sujet » pour le camp des intransigeants (avec Merkel en tête) et qui ne doit pas être « taboue » pour les gouvernements jouant les moins durs (France, Italie).

Mais, en quelques jours, ce qui ressemblait à une épreuve de force entre le gouvernement grec et la Troïka s’apaise, les propos se font plus conciliants, plus mesurés. La conclusion se rapproche. Ce vendredi, le gouvernement de la “gauche radicale” grecque a capitulé et accepte la plupart des conditions imposées par le FMI et surtout par les instances gouvernantes de l’Europe en échange d’une nouvelle ligne de crédit. Le gouvernement de Syriza “anti-austérité” et “antilibéral”, qui a organisé un référendum dans lequel 61,3% des électeurs ont exprimé leur refus de nouvelles mesures d’austérité, s’assoit ouvertement sur le vote et sur son propre discours, retourne sa veste, rallie les partis politiques des précédents gouvernements (Nouvelle démocratie et Pasok) dans une Union sacrée et s’apprête à mettre en œuvre les pires mesures d’austérité de l’Europe “libérale” qu’il prétendait combattre.

Pour se remémorer les épisodes précédent, se reporter à Notes sur la conjoncture euro-grecque

Le faux-semblant du référendum

Evidemment, les promesses de Tsipras ne sont pas tenues : les banques sont restées fermées mardi matin et elles le resteront toute la semaine, il n’a pas eu d’accord dans les 48 heures et la Troïka n’a pas été ébranlée par la victoire écrasante du Non. Elle sait même qu’elle n’a pas à céder d’un pouce, que Tsipras est acculé, qu’il ne peut que reculer encore et encore jusqu’à accepter les conditions imposées. De son côté, la BCE – institution ‟neutre” et ‟indépendante” – durcit un peu plus les conditions du mécanisme ELA de prêts d’urgence aux banques grecques. Hypocrisie supplémentaire : elle dit ne pas vouloir prendre la responsabilité de faire plonger l’économie grecque et de faire sortir la Grèce de la zone euro, mais elle est en train de le faire à petit feu en installant une paralysie progressive de l’économie.

Le référendum n’avait pas pour fonction de « renforcer la position du gouvernement Tsipras » par rapport à la Troïka mais de gagner du temps, de ressouder un camp, et surtout d’en faire un plébiscite, une opération de légitimation du gouvernement par la population grecque. D’ailleurs, le 30 juin, après donc l’annonce du référendum mais avant qu’il ait lieu, et alors que les instances européennes mobilisaient d’abord contre le référendum puis pour le Oui, Tsipras envoyait un courrier à la Troïka annonçant de nouvelles concessions (sur l’année de mise en œuvre du départ à la retraite à 67 ans notamment). Encore un pas en arrière pour rien. Ou pour envoyer un signal.

Pourtant, ce fut un clair vote de refus de l’austérité. Et sociologiquement, un vote de classe quand on sait que le Non dépassait fréquemment les 75% dans les quartiers ouvriers tandis que le Oui atteignait des sommets (85% et plus) dans les quartiers huppés d’Athènes. En termes générationnels, ce fut aussi un vote « jeune » : 85% chez les 18-25 ans, 72% chez les 25-34 ans, couches démographiques chez qui le chômage dépasse les 50%. Le vote Non a été un vote de résistance, de refus et de défi tandis que le Oui a capitalisé le vote de la peur.

Au lendemain du référendum, les supporters de Syriza croyaient qu’à partir de maintenant, la balle était dans le camp de Merkel et du directoire européen. En moins d’une heure, ils ont dû déchanter et se rendre à l’évidence que ce n’était pas ça l’état du rapport de force : c’est la partie grecque qui est au pied du mur, c’est à elle de bouger, de faire de nouvelles propositions « concrètes et crédibles » ont martelé les représentants français, allemands, espagnols, ceux de la Commission européenne… sinon la Grèce sort de l’euro en moins d’une semaine. Et la partie grecque s’est exécutée immédiatement. Les services du ministère de l’économie sont sommés de produire des documents où figure une liste de « réformes » acceptables par la Troïka au plus tard le 9 juillet.

L’union sacrée pour annuler le référendum et faire passer la pilule au peuple grec

Pour complaire à la partie adverse, appelée désormais « partenaire », Tsipras a commencé dès le lundi matin par virer Varoufakis, jugé trop rugueux par les négociateurs de la Troïka.

Ensuite, et beaucoup plus significatif, il a convoqué une réunion de tous les partis politiques grecs (pro-Oui et pro-Non) pour qu’ils appuient ensemble les nouvelles concessions que le gouvernement va présenter à partir du mercredi 8 juillet. C’est donc le choix de l’union nationale qui a été fait et qui devait logiquement accepter les « nouvelles » propositions grecques c’est-à-dire celles exigées par la Troïka, les mêmes qui avaient été refusées la veille dans les urnes. Les partis favorables au Oui n’ont plus de raisons de refuser une telle union sacrée puisqu’elle s’appuie sur les exigences de la Troïka, les soutient et conduit à leur donner raison.

Une union nationale de l’austérité, derrière un parti officiellement ‟anti-austérité” ! Le ministre socialiste français Sapin qui s’y connait en profite pour faire la leçon à Tsipras en déclarant lors d’un point de presse mercredi 8 juillet que la victoire du ‟Non” donnait au gouvernement grec la force de faire preuve de courage et d’accepter un « compromis » avec la Troïka, « compromis » étant ici l’euphémisme du renoncement à tout ce qui fâche, à toute prétention de vouloir résister au directoire européen.

Le gouvernement Tsipras, qui ne cesse de « négocier » depuis le début avec la Troïka sans rien obtenir, s’accroche à la dernière réclamation qu’il lui reste en échange de l’acceptation des mesures d’austérité : la réduction du poids de la dette. Mais, dans le contexte du rapport de force tel qu’il existe aujourd’hui, le gouvernement de la « gauche radicale » devra se contenter d’un engagement tout symbolique à alléger le poids de la dette : en jouant sur sa « maturité », en réexaminant les taux d’intérêt…

Mardi 7 juillet dans la soirée, la réunion des chefs d’États européen a fixé un nouvel ultimatum : le gouvernement grec doit déposer par écrit des propositions « crédibles », avec un « calendrier précis des réformes » au plus tard le jeudi 9 juillet, qui seront acceptées ou rejetées lors d’un sommet le dimanche 12 juillet et permettant ou pas de débloquer un prêt à très court terme (2 ou 3 ans). De quoi tenir bien serrée la bride au gouvernement grec. Tsipras voulait que la question de l’allègement du poids de la dette soit liée à l’accord, qu’un accord sur le premier point anticipe et conditionne un accord sur le second. Mais il va devoir déchanter encore une fois car les créanciers refusent et font la lecture inverse : les concessions grecques pour un accord immédiat et de la mise en œuvre des mesures imposées par la Troïka sont la condition de pouvoir parler, plus tard, de la dette.

Lors d’un discours devant le parlement européen le 8 juillet, Tsipras en appelle bruyamment à un« compromis honorable » tout en promettant des « propositions concrètes de mesures crédibles et justes ». Le terme de « compromis » lorsque l’on perd la partie signifie généralement qu’il a fallu céder et rendre les armes.

Mercredi 8 juillet, les menaces de virer la Grèce de l’euro se faisaient moins virulentes. Différentes études économiques sortent simultanément dans les médias concluant toutes qu’un « Grexit » coûterait plus cher à l’UE que le maintien de la Grèce dans l’Eurozone. Pour des raisons géostratégiques et sécuritaires, Washington fait pression pour que la Grèce reste absolument dans la Zone euro/UE. D’autres voix s’élèvent contre le risque de dérive de la Grèce que représenterait une expulsion de l’Eurozone/UE face aux flux migratoires sans contrôle qui menacent de submerger l’Europe… Enfin, les promesses qui filtraient dès le mercredi 8 juillet dans la soirée d’une nouvelle baisse des exigences grecques tendaient à affaiblit la position des jusqu’au-boutistes de l’exclusion punitive.

La capitulation de Tsipras et de la gauche « radicale »

Vendredi 10 juillet, les mesures proposées par le gouvernement grec sont connues. Sur tous les points – hausse de la TVA à 23% pour la plupart des produits, fin de la décote de 30% sur la TVA appliquée dans les îles, départ à la retraite à 67 ans en 2022, fin de la possibilité de partir en préretraite, fin des aides aux agriculteurs (sur le prix du gasoil), réduction progressive de l’allocation EKAS pour les petites retraites jusqu’à sa suppression en 2019, augmentation, de la cotisation santé des retraités, blocage des retraites complémentaires, baisse des remboursements des médicaments et frais médicaux, évaluation des fonctionnaires au mérite, poursuite et amplification du programme de privatisations, ouverture de professions à la concurrence, etc. – avec l’objectif de dégager des excédents budgétaires primaires (hors service de la dette) de 1% du PIB en 2015, 2% en 2016, 3% en 2017 et 3,5% et 2018.

Ce sont exactement les mesures, à 2 ou 3 petits détails près, qui avaient été imposées par la Troïka le 26 juin et refusées par le peuple grec lors du référendum du 5 juillet, qui sont finalement acceptées. Ce qui était attendu se voit réalisé. Ces propositions du gouvernement de Syriza ont été d’ailleurs rédigées avec des envoyés du gouvernement français qui, en relation avec leurs collègues allemands, ont fait en sorte qu’elles soient acceptables par les créanciers. Pour les couches prolétaires, travailleurs, chômeurs, retraités, c’est au bas mot une attaque de 10% à 12% sur le niveau de survie, sans compter le travail obligatoire jusqu’à 67 ans, la dégradation des services de santé, etc. 

Dès ce vendredi 10 juillet, les réponses ne se sont pas faites attendre. Les bourses européennes ont toutes remonté, Hollande a salué un « programme crédible et sérieux », Renzi le juge positif, mais il est vrai que la partie allemande reste silencieuse.

Le point sur la dette à long terme y figure mais est rédigé de sorte à laisser ouverte la solution envisagée par Merkel ces derniers jours : non pas une « restructuration » telle qu’on l’entend classiquement – une élimination partielle – mais des mesures pour la rendre « soutenable » à partir de 2022 : un simple rééchelonnement sur une durée de remboursement plus longue. D’ailleurs, dans la novlangue des technocrates, il est question de « reprofilage » de la dette.

L’alignement du gouvernement grec sur les désidératas de la Troïka ne surprendra que les naïfs. Les 5 mois de négociations avec les créanciers de l’État grec n’ont été qu’une succession de reculs et d’acceptation des conditions imposées. Déjà, le contenu de la campagne électorale de Syriza basée sur le « programme de Thessalonique » de septembre 2014 différait largement des orientations adoptées lors du précédent congrès de l’organisation en 2013. Puis, dès l’‟accord-pont” du 25 février pour la prolongation du plan d’assistance en cours entre la Troïka et le gouvernement grec, ce dernier avait renoncé aux 3/4 des promesses de campagne : abandon de la politique des mémorandums, du relèvement du Smic à son niveau antérieur à 751 euros (il a été abaissé à 586 euros), du rétablissement d’un treizième mois pour les retraites inférieures à 700 euros, de la gratuité de la santé pour tous, de la gratuité de l’électricité pour 300 000 foyers les plus pauvres à qui le courant a été coupé, de la suppression de l’impôt « extraordinaire » sur la propriété (qui touche 80% des Grecs), de la restauration d’un seuil de non-imposition pour les revenus inférieurs à 12 000 euros, du refus des privatisations en cours et déjà effectuées, etc. Mais, dans le verbal, les dirigeants de Syriza sont fiers d’eux : la Troïka devient les « institutions », les mémorandums sont désormais des « accords » et les créanciers sont renommés « partenaires »… La belle affaire.

Syriza est en train de conclure une trajectoire politique qui, de reculs en renoncements, des promesses vides en mensonges en passant par une naïveté confondante, l’a converti en quelques mois d’une coalition politique proclamée anti-austérité et anti-libérale en une formation qui va se charger de procéder à un nouveau tour de vis budgétaire, de faire appliquer, comme les autres gouvernements qui l’ont précédé, les conditions de la Troïka, d’être ni plus ni moins que la caution de gauche ‟antilibérale” de la politique ‟libérale” européenne. Cela n’est pas nouveau, cela rappelle des souvenirs, notamment l’histoire assez récente du Parti des Travailleurs du Brésil, largement soutenu ici par l’extrême-gauche et les mouvements altermondialistes et qui en quelques années à peine est passé de la rhétorique de la rupture avec le capitalisme à la gestion de son développement et de son expansion.

Les soutiens français et internationaux à Syriza ont du souci à se faire. Certains prendront sans doute leurs distances tandis que d’autres vont devoir procéder à d’acrobatiques contorsions politiques. À moins que leur aveuglement et leur suivisme béat ne leur fasse prendre les vessies de la soumission de Syriza devant les exigences de la Troïka pour des lanternes de l’antilibéralisme et du refus de l’austérité. Ils peuvent toujours célébrer la victoire de la démocratie, la force de l’expression d’un peuple souverain, vanter la restauration de la dignité, se féliciter des résultats du référendum et se réjouir que la victoire du ‟Non” ne peut plus être ignorée par la Troïka et qu’elle devra en tenir compte… mais le résultat des courses ne résistera pas longtemps devant l’évidence des faits : une capitulation du gouvernement de Tsipras, une victoire posthume du Oui et de la Troïka. Ne doutons pas un seul instant qu’ils sauront trouver, dans la longue tradition de la gauche social-démocrate ou stalinienne, les formules qui savent transformer verbalement une chose en son contraire, un Non en Oui, les défaites en victoires, les reculs en avancées, les renoncements d’aujourd’hui en expression du réalisme et de la défense des intérêts à long terme du peuple et de la nation…

Ce n’est pas fini

En Grèce la pilule risque d’être amère pour ceux qui ne se contentent pas de bonnes paroles, qui verront leurs factures et dépenses courantes augmenter, leurs retraites baisser, leurs emplois menacés et supprimés... Comment les travailleurs des ports du Pirée et de Thessalonique accepteront les privatisations et la liquidation de leurs acquis ? Les travailleurs de l’éducation et de la santé – une des bases électorales de Syriza – vont-ils accepter la poursuite des programmes de démantèlement, de réductions des effectifs, de licenciement des précaires ? Qu’en sera-t-il de l’attentisme et de la relative trêve sociale qui prévaut dans le pays depuis l’arrivée de Syriza au gouvernement en janvier dernier ? Le vote pour le Non va-t-il s’autonomiser par rapport à l’instrumentalisation plébiscitaire qu’en a fait le gouvernement Syriza, et si oui, de quelle manière ? Quelles seront les possibilités de résister face à ce qui apparaîtra à beaucoup comme une trahison de haute volée et aux plus fatalistes comme un passage obligé, sans doute rassurés d’avoir échappé au pire ?

Les propositions du gouvernement grec doivent être approuvées par le Parlement d’Athènes ce vendredi puis par les gouvernements européens dimanche 12 juillet. Les députés de la gauche de Syriza qui refuseraient d’approuver ce plan seraient largement remplacés numériquement par ceux de l’opposition de droite. A la mi-journée, les députés de la formation centriste To Potami annoncent qu’ils approuvent les mesures. Un peu plus tard, le parti de droite Nouvelle Démocratie annonce la même position. Le Pasok devrait faire de même.

Des partisans du Non appellent à manifester ce soir à Athènes, place Syntagma, à l’heure où le Parlement sera réuni pour débattre et voter sur les propositions du gouvernement qui seront vraisemblablement largement approuvées.

D’autres manifs sont prévues samedi et dimanche, à l’appel notamment de groupes anarchistes.

Tout n’est pas entièrement réglé. Il faut des accords formels, des discussions vont encore avoir lieu, peut-être des ajustements, Merkel n’a encore rien dit. Mais de toute évidence, une direction a été prise.

Par ailleurs, 7 autres parlements européens devront aussi approuver le plan un fois qu’il sera approuvé par les chefs d’État de la zone euro : Allemagne, Finlande, Autriche, Estonie, Lettonie, Slovaquie et France.

Dans la soirée, entre 15 et 20 000 personnes se sont rassemblées devant le Parlement, place Syntagma pour protester contre les mesures adoptées par le gouvernement.

Les débats au Parlement sont retardés et devraient commencer vers minuit.

À suivre…

MP

Le 10 juillet 2015