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Grèce : y a-t-il un vrai désaccord entre Paris et Berlin ?

Grèce international

Lien publiée le 3 août 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-y-a-t-il-un-vrai-desaccord-entre-paris-et-berlin-496193.html

Dans un entretien au Handelsblatt, Michel Sapin estime que Wolfgang Schäuble "se trompe" sur le Grexit. Mais, en réalité, l'entente est parfaite entre Paris et Berlin. La stratégie française sur l'Europe est restée la même depuis 2011.

Dans une interview accordée au quotidien allemand des affaires Handelsblatt et publiée ce lundi 3 août, le ministre français des Finances, Michel Sapin, se plaît à insister sur sa divergence avec Wolfgang Schäuble, son homologue allemand.

Sur la proposition de ce dernier de proposer une sortie temporaire de la Grèce hors de la zone euro, le ministre français a des mots en apparence forts : « Nous avons eu sur ce point un clair désaccord », a-t-il affirmé avant de se montrer encore plus cinglant en martelant que, sur le Grexit, « Wolfgang Schäuble se trompe ».

Pas d'accord sans menace de Grexit

Ce message peut paraître dur, mais en réalité, il ne dénote aucun fossé sérieux entre Paris et Berlin.

En premier lieu parce que la France soutient sans aucune équivoque « l'accord » obtenu le 13 juillet, un accord qui vise surtout à faire payer au gouvernement grec sa longue résistance bien plus qu'à trouver un moyen de faire sortir la Grèce du marasme. Or, ce texte n'a pu être possible que parce que, le samedi, lors de l'Eurogroupe, Wolfgang Schäuble a émis la possibilité du Grexit. Alexis Tsipras, qui, le lundi précédent, avait refusé le plan de Yanis Varoufakis d'organiser une monnaie parallèle, a alors pris peur des conséquences de cette expulsion. Il a donc cherché à l'éviter par tous les moyens, y compris par la signature d'un accord qu'il juge lui-même mauvais. C'est donc bien le coup de poker de Wolfgang Schäuble qui a permis le maintien de la Grèce dans la zone euro. Derrière les grandes divergences de vision de la nature de la zone euro, il y a un élément tactique dont Michel Sapin salue les effets. Or, il y a là, pour le moins, de l'inconséquence à se réjouir des effets en blâmant les causes.

Le jeu d'Angela Merkel

C'est qu'en réalité, il n'y a guère de dissensions entre Paris et Berlin. Comme, du reste, dans la division entre Angela Merkel et Wolfgang Schäuble qui est savamment entretenue par de subtiles informations distillées par la presse allemande. La chancelière refuse de remettre en cause l'irréversibilité de l'euro. La monnaie unique est essentielle pour l'économie allemande et elle ne peut prendre le risque de la voir se déliter autour d'une nouvelle « zone mark » dont la monnaie serait fortement réévaluée. Sans compter les effets collatéraux financiers pour le budget allemand, mais aussi pour le système bancaire allemand.

Mais, dans la crise grecque, elle a laissé la main à Wolfgang Schäuble, partisan affichée de cette « zone mark » à dessein. Pour une raison simple : entre la Grèce et ses créanciers, le jeu consistait à savoir qui craignait le plus le Grexit. C'était la seule arme d'Athènes, ce qui, par ailleurs, justifie assez les préparations de Yanis Varoufakis qui ont assez étonnement fait scandale la semaine passée. En laissant la main à Wolfgang Schäuble et en laissant ce dernier distiller pendant des mois l'idée de la possibilité d'un Grexit (on se souvient de sa « crainte » du « Graccident » dès le mois de mars), Angela Merkel montrait que la seule force des Grecs était en réalité le désir de leurs créanciers. Elle réduisait ainsi à néant leur arme, en les laissant accroire qu'un Grexit était surtout dommageable pour la Grèce.

Le gouvernement grec est tombé dans ce piège : il a accepté la logique des créanciers sur un Grexit bénin pour la zone euro et catastrophique pour la Grèce. Alexis Tsipras a stoppé les projets de son ministre des Finances et a dû capituler. Mais, au final, Angela Merkel a surtout obtenu le maintien de l'intégrité de la zone euro, fût-ce avec la menace de sa dissolution. Autrement dit, Wolfgang Schäuble est un outil dans la stratégie de la chancelière. Outil encore utile aujourd'hui pour faire accroire aux Grecs qu'ils ne doivent pas oublier d'obéir, car le ministre allemand des Finances est toujours déterminé à les expulser...

Paris, bénéficiaire de la menace de Wolfgang Schäuble

La France et Michel Sapin sont simplement alignés sur la position d'Angela Merkel. Bercy et l'Elysée ne veulent pas non plus du Grexit et d'une « zone euro resserrée » qui mettrait davantage de pression sur la France. Mais la France souhaitait aussi stopper « l'expérience Syriza » qui risquait de remettre en cause les fondements des choix économiques du gouvernement Valls. Paris a donc profité tout autant que la chancelière de la menace agitée par Wolfgang Schäuble et de ses conséquences. Donc, s'il y a dissension théorique, il y a en réalité, dans les faits, un accord complet entre la France et l'Allemagne sur la gestion de la crise grecque. Du reste, Michel Sapin a laissé son « ami » Wolfgang Schäuble (qui, en passant, était aussi « l'ami » des précédents locataires de Bercy) agir. Il l'a laissé parler ouvertement de « Grexit » pendant des mois et jouer au méchant face à Athènes. Michel Sapin a été étonnamment passif à l'Eurogroupe, y compris lors de la séance du 27 juin, où Yanis Varoufakis a été symboliquement exclu des réunions, comme un prélude au Grexit. Paris n'a jamais essayé de briser la stratégie de Berlin durant les négociations. La France n'aurait pu le faire qu'en imposant une discussion au niveau politique, en ôtant les discussions des mains de l'Eurogroupe. Mais, à chaque rencontre au niveau politique, la France a suivi la position allemande : renvoyer à l'Eurogroupe le dossier. La France suivait donc la même stratégie que l'Allemagne.

Pourquoi la France suit l'Allemagne

On ne constate donc réellement aucun changement dans la politique européenne de la France. Elle se définit avant tout par une proximité avec l'Allemagne. La raison en est connue de tous : la France doit faire accepter par Berlin son statut de médiocre élève de la classe en termes de finances publiques. C'est l'épée de Damoclès qui menace en permanence Paris. Certes, c'est Bruxelles qui donne les bons et les mauvais points en ce domaine, comme les délais ou les punitions. Mais la Commission ne saurait s'opposer frontalement à Berlin qui, compte tenu de sa noria d'alliés dans et hors de la zone euro, fait la pluie et le beau temps au Conseil européen.

La crise grecque a, encore une fois, montré que Berlin était le centre de décision européen. Tous les pays qui s'étaient montrés désireux de l'expulsion de la Grèce de la zone euro le 11 juillet, comme les Etats baltes, la Slovaquie ou la Finlande, ont rapidement accepté l'accord une fois qu'Angela Merkel l'a eu approuvé. Bref, la France pense que sa proximité stratégique sur les questions européennes avec l'Allemagne lui offre une «protection». C'est la stratégie menée depuis 2011 et la fameuse entrevue de Deauville entre la Chancelière et Nicolas Sarkozy. Elle est toujours d'actualité et permet à l'Allemagne de disposer du soutien indéfectible de Paris dans ses objectifs. Michel Sapin ne s'y trompe pas qui, dans l'interview au Handelsblatt, insiste sur le fait que désormais « la France ne sera plus jamais vue comme un mauvais élève. »

Caution de « gauche »

L'opposition entre Michel Sapin et Wolfgang Schäuble est donc une opposition de forme. Quelle est alors sa fonction ? Celle d'envoyer plusieurs messages aux Français. Le premier, c'est que le gouvernement français est un contrepoids à l'Allemagne. En s'opposant à Wolfgang Schäuble, Michel Sapin apparaît comme une défense contre une Europe égoïste voulue par le ministre allemand. Mais il oublie de préciser qu'Angela Merkel a été celle qui a empêché les plans réels ou supposés de son ministre. Toujours est-il que ceci permet de donner au gouvernement français un vernis utile électoralement de « gauche » en défendant une supposée solidarité intra-européenne face à une « droite allemande » prétendument prête à détricoter la zone euro.

Préparer une nouvelle intégration de la zone euro

Au-delà, cette opposition permet de préparer les esprits à une nouvelle évolution de la zone euro. Dans son interview au Handelsblatt, Michel Sapin présentent les grandes lignes de cette nouvelle phase de l'intégration promise par François Hollande. Il s'agit d'un « gouvernement économique » avec un ministre des Finances et un budget de la zone euro. Un projet défendu depuis longtemps par... Wolfgang Schäuble. Mais Paris cherche à présenter ce projet comme une défense contre les projets de ce même Wolfgang Schäuble de « purifier » la zone euro. Au final, il s'agit surtout d'un plan de communication visant à faire accepter un nouveau pas dans l'intégration politique de la zone euro. Ce serait cette nouvelle intégration ou le chaos.

Evolutions cosmétiques

Mais ce plan de renforcement de la zone euro aurait-il pu éviter les différentes crises qui ont secoué le vieux continent depuis 2010 ? Rien n'est moins sûr. La crise grecque a montré combien l'union bancaire était inefficace face à une crise aiguë de fuite des capitaux et des dépôts à l'intérieur même de la zone euro. Un « parlement de la zone euro » aurait-il pu régler le choc des légitimités démocratiques entre Athènes et ses créanciers ? Sans doute pas. Enfin, un ministre des Finances et un budget ne sont utiles que dans la mesure où les moyens sont suffisants pour assurer la cohérence de l'union monétaire, via des transferts, ce qui peut notamment passer par une redistribution du poids de la dette.

Mais la France et l'Allemagne s'opposent à ce processus. Or, sans ces éléments, la logique de fonctionnement de la zone euro ne changera pas. Le seul mécanisme d'ajustement dans la monnaie unique restera la dévaluation interne, donc l'austérité. En réalité, donc, comme en 2011 et 2012 avec les directives « Two-Pack » et « Six-Pack », on risque surtout d'avoir un renforcement de la surveillance budgétaire et un affaiblissement de l'autonomie budgétaire des pays membres. Mais il n'y a pas là de changement réel de paradigme. On est assez loin d'un « saut quantique » que demandait Mario Draghi le 16 mars. Comme d'habitude, les gouvernements de la zone euro s'en tiennent à la gestion de l'urgence et à des évolutions cosmétiques. De ce point de vue, l'accord est parfait et devrait le rester entre Paris et Berlin.

Bonne stratégie pour Paris ?

Reste enfin à savoir si la stratégie française est la bonne. Là aussi, c'est loin d'être certain. L'accord du 13 juillet avec la Grèce prouve avec éclat que l'ajustement d'un pays dans la zone euro ne peut se faire que par une logique récessive. Et que plus un pays montrera une volonté d'échapper à ce destin, plus le coup de massue sera violent. Or, la France a indubitablement besoin d'ajuster davantage dans le cadre de la zone euro. Face aux gains de compétitivité prix des Espagnols ou des Italiens, présents sur les mêmes types de produits et sur les mêmes marchés que les Français, il faudra que la France abaisse encore ses coûts internes.

L'alignement stratégique sur l'Allemagne dans les questions européennes risque de ne pas suffire pour convaincre Berlin de modérer cet ajustement. Quiconque lit la presse conservatrice allemande sait qu'outre-Rhin, on proclame sans cesse le « besoin de réformes » de la France. Progressivement, la « protection » allemande risque de devenir de plus en plus chère. Du reste, si la zone euro est encore plus intégrée, la marge de manœuvre française pourrait encore plus réduite. Ce qui fait dire à Yanis Varoufakis, dans sa dernière interview à El Pais, que « la destination finale de la troïka est Paris. » Le souvenir du 13 juillet 2015 risque alors de résonner amèrement aux oreilles françaises.