[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

    Newsletter

    Ailleurs sur le Web [RSS]

    Lire plus...

    Twitter

    Sapir: "Varoufakis a prouvé qu’une autre politique est possible"

    Lien publiée le 20 août 2015

    Tweeter Facebook

    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.lepoint.fr/politique/sapir-varoufakis-a-prouve-qu-une-autre-politique-est-possible-20-08-2015-1957886_20.php#xtor=RSS-221

    L'économiste qui prédit l'effondrement de l'euro décrypte la participation de l'ex-ministre des Finances grec à la Fête de la rose de Montebourg.

    Jacques Sapir, économiste et directeur d'études à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales), a vivement critiqué l'accord du 13 juillet signé entre les 19 dirigeants de la zone euro et le gouvernement grec permettant à la Grèce de rester dans l'euro au prix de réformes draconiennes. Selon lui s'annonce « une crise terminale de l'euro ». Pour Le Point.fr, l'auteur du blog RusseEurope décrypte l'intérêt suscité dans la gauche française par l'ex-ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, qui démissionna de son poste le 6 juillet et désormais célébré pour avoir résisté au « diktat » des créanciers de la Grèce.

    Le Point.fr : En quoi, selon vous, Yanis Varoufakis peut-il être un exemple pour la gauche en France ?

    Jacques Sapir : Yanis Varoufakis est incontestablement devenu une figure marquante pour la gauche critique de l'Euro. Il représente le cas d'un économiste qui a été nettement pro-européen, mais qui est aujourd'hui critique quant à la gouvernance de l'Union européenne, mais aussi quant au comportement des dirigeants européens. Il est aussi un économiste qui s'est prononcé en faveur de l'euro, pour des raisons essentiellement théoriques, mais qui aujourd'hui envisage calmement la possibilité d'une sortie de son pays de la zone euro. Il est évident que son expérience de ministre, et de négociateur, a changé sa vision de l'euro.

    Il fut un ministre des Finances charismatique, qui n'a pas hésité à dire certaines vérités dans le cadre compassé des réunions européennes. Enfin, c'est un bon économiste, et ceci, quelles que soient les divergences que l'on peut avoir sur un certain nombre de points théoriques. C'est un spécialiste de théorie des jeux, un domaine qui a beaucoup passionné les économistes [1]. C'est donc quelqu'un de reconnu par ses pairs, que ces derniers soient des économistes du courant orthodoxe ou appartenant à des courants hétérodoxes. Son livre, Le Minotaure planétaire, a eu un succès mérité [2]. De plus, il n'a pas hésité à concevoir un plan alternatif crédible pour la Grèce, un plan qui aurait évité à ce pays la capitulation honteuse à laquelle il a été contraint ainsi que le désastre d'un nouveau mémorandum, quand bien des gens soutiennent encore l'idée « qu'il n'y a pas d'alternative ». Il l'a fait avec une bonne connaissance des technologies de l'information, ce qui attire l'attention des moins de quarante ans.

    Il est donc évident que Yanis Varoufakis cumule les caractéristiques qui devraient en faire un exemple pour une certaine gauche. En effet, il est clair que rien dans sa personnalité ne peut attirer les socialistes officiels, des gens comme Moscovici, Sapin ou Hollande, bref les socialistes de gouvernement. Bien au contraire, Yanis Varoufakis est l'exemple même que, contrairement à ce qu'ils prétendent, il y a des alternatives et que l'austérité n'est pas inéluctable. Il est la preuve vivante de leurs compromissions, de leur lâcheté et de leurs trahisons, quand une autre voie était possible. C'est pourquoi il doit être haï par ces gens. Mais il va certainement attirer une partie des frondeurs du PS, en tous les cas ceux qui n'ont pas accepté le diktat du 13 juillet, ainsi que les partisans d'Arnaud Montebourg, et bien entendu les membres de la gauche radicale. Varoufakis est la preuve vivante qu'une autre politique est possible dans l'Union européenne, même si on peut penser qu'il n'a pas porté totalement, et dans toutes ses conséquences, ce projet. En tous les cas, il l'a porté loin, et ce n'est pas de sa faute si ce projet n'a pu aboutir.

    Peut-on envisager l'émergence d'un grand mouvement européen avec Varoufakis à sa tête ?

    Il est encore trop tôt pour le dire. Néanmoins, il est clair qu'il peut certainement devenir le héraut d'une gauche anti-euro sensible à sa trajectoire. Car il vient de l'intérieur du « système », mais en même temps il en fait la critique et il se déclare prêt à rompre avec lui plutôt que d'accepter ce qu'il faut bien appeler une capitulation, ce à quoi Tsipras a finalement dû consentir. Ce point est très important.

    D'ailleurs, le fait qu'il ait hébergé sur son blog l'appel de Stefano Fassina à un front des mouvements de libération anti-euro est très symbolique. Car Fassina, lui aussi, vient de l'intérieur du « système ». Il fut vice-ministre des Finances du gouvernement Letta en Italie. C'est un membre influent du parti de centre-gauche, le Parti démocrate, auquel appartient l'actuel Premier-ministre, Matteo Renzi. Or, aujourd'hui, il est devenu l'un des plus virulents opposants à l'euro en Italie et son appel n'est rien de moins que l'un des plus virulents brûlots qui ait été écrit contre l'euro. Varoufakis et Fassina sont donc représentatifs de cette fracture qui s'est produite au sein du « système », de ce que l'un de mes amis italiens, le professeur Bagnai, appelle le PUDE ou Parti unique de l'euro. Leur trajectoire vers des positions anti-euro pèse d'autant plus qu'ils ont été antérieurement des partisans de l'euro. On pourrait en dire de même d'ailleurs avec Oskar Lafontaine, qui en tant que dirigeant du SPD fut l'un des pères fondateurs de l'euro, et qui a, en 2013, viré sa cuti devenant un opposant résolu à la monnaie unique. Ce fait est désormais très important. De plus en plus le camp des économistes et des politiciens anti-euro, ou à tout le moins très euro-critiques, est rejoint par des personnes qui étaient il y a peu encore des partisans de l'euro mais que la réalité a rattrapées et qui ont compris qu'il n'y a pas d'avenir possible en Europe tant que l'on gardera cette monnaie.

    Enfin, il y a un dernier point qui peut faire symboliquement de Varoufakis un héraut d'une large coalition anti-euro. Il a été attaqué très violemment, non seulement dans la sphère politique grecque, où certains aimeraient lui faire un procès pour haute trahison, mais aussi dans les milieux européistes de Bruxelles et d'ailleurs. Il a d'ailleurs répondu vertement à ces critiques que ce soit sur son blog ou par voie de presse. Concentrant la haine des europhiles et des partisans de l'euro, il attire spontanément la sympathie de ceux qui luttent contre l'euro.

    De quoi le phénomène Varoufakis est-il le nom ?

    Je ne suis pas Alain Badiou et je ne me lancerai pas dans la réduction d'un mouvement social à un homme ou à un phénomène. Mais je reconnais qu'il y a, dans les gestes politiques et dans les attitudes de Yanis Varoufakis, énormément de symboles, que ces derniers soient présents volontairement ou non. Varoufakis incarne à merveille une gauche compétente (il fut un professeur d'économie estimé et reconnu) mais qui n'abandonne rien de sa dimension critique. Il est un produit des classes dirigeantes (même si son père fut emprisonné durant la guerre civile grecque pour ses sympathies communistes) mais qui n'applique pas les codes de son milieu. Il suffit pour le comprendre de le voir arriver à moto au ministère des Finances quand il était ministre. On peut aussi parler de ses goûts vestimentaires, qui tranchent, pour le moins, avec les stricts complets sombres de banquiers qu'affectionnent justement ces politiciens qui se prennent pour des banquiers sans en avoir les compétences, ou dans sa manière de parler à ces figures sinistres des différents cénacles européens. Il est clair que Varoufakis a fait passer un vent de liberté dans les couloirs des immeubles de la Commission européenne. C'est aussi cela qui lui est férocement reproché.

    Enfin, Varoufakis, tout comme le héros romantique du XIXe siècle, est abandonné - voire trahi - par son chef (Tsipras), et contraint à la démission. Il choisit d'ailleurs cette démission plutôt que de s'incliner, ce qui en fait immédiatement un symbole de l'immense mouvement qui porta le « non » au référendum grec du 5 juillet. Il est clair que pour nous, en France, ce comportement a touché une corde sensible. Varoufakis, en un sens, c'est le général de Gaulle nommé au gouvernement en juin 1940 sur la foi de son œuvre écrite et des batailles qu'il avait menées, et qui, devant la capitulation de ce gouvernement, cherche à porter le flambeau de l'espoir. Il y a une dimension incontestablement romantique dans le personnage que s'est construit, volontairement ou non, Varoufakis.

    Cette dimension romantique, que renforce son attitude cavalière – et il faut prendre ici ce terme dans son sens premier –, met en mouvement des mécanismes symboliques très profonds et en même temps très anciens. Varoufakis, c'est le Lancelot d'un Arthur (Tsipras) qui aurait failli. C'est Achille s'opposant à Agamemnon (Tsipras) et qu'Ulysse viendra un jour chercher sous sa tente. Mais il n'est pas qu'un combattant d'exception. Il allie le courage – car certains responsables européens sont allés jusqu'à des menaces physiques à peine voilées – à la compétence dans son domaine. Il est donc légitime pour reprendre l'épée qui est tombée des mains de Tsipras. La politique est toujours une affaire de symboles. Le nombre de représentations symboliques que concentre la personnalité de Varoufakis est impressionnant. Cela peut lui donner une place privilégiée dans les mois à venir dans la politique européenne.

    Il reste à savoir s'il sait qu'il est devenu un personnage symbolique et s'il pourra être à la hauteur des symboles qu'aujourd'hui il incarne. Car, et c'est là la contradiction qu'il devra affronter et résoudre, lui, l'homme qui a toujours voulu se situer du côté du comportement rationnel, héritage de ses travaux sur la théorie des jeux [3], va devoir admettre qu'il est devenu un acteur dans un jeu qui n'obéit plus à la rationalité mais où les symboles et l'idéologie tiennent une place majeure. En même temps, en politique, l'analyse fait aussi appel au calcul rationnel. Il devra, s'il ne veut se perdre, tenir les deux pôles de cette contradiction.

    Selon vous, la sortie de la Grèce de la zone euro est-elle inéluctable malgré l'accord de juillet ?

    Il est évident que l'accord auquel la Grèce et les autres pays de l'Eurozone vont aboutir ne règle rien et qu'il est déjà condamné avant même d'avoir vu le jour. La situation de la Grèce s'est terriblement détériorée en juillet et début août, du fait des mesures qui ont été prises contre la Grèce par la Banque centrale européenne. On parle de 86 ou 89 milliards d'euros pour cet accord. Mais, aujourd'hui, il est clair qu'il en faudrait entre 110 et 120. De même, il est évident qu'il faudrait très vite procéder à l'annulation d'une partie de la dette grecque. Même le FMI le dit depuis le début du mois de juillet. Pourtant, nous savons que l'Allemagne s'y refuse. Dans ces conditions, il est tout aussi évident que l'accord qui devrait être conclu d'ici le 20 août ne réglera rien et qu'il sera dépassé et rendu caduc par les événements. Par ailleurs, la situation économique de la Grèce continue de se détériorer. En fait, seule une sortie de la zone euro, accompagnée d'une dévaluation de 20 % à 25 %, serait susceptible de rétablir la compétitivité de la Grèce. Cette sortie cependant ne sera pas le « Grexit » dont rêve Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances. Ce sera le signe tangible que l'euro n'est pas irréversible, et tous les acteurs des marchés financiers en tireront les conséquences.

    Pourtant, il n'est pas dit que la Grèce sorte de l'Euro. Il n'est en effet pas impossible que ce soit l'euro qui en réalité s'effondre dans les mois à venir. Il faut savoir que la crise de la zone euro ne se limite pas à la Grèce. J'ai toujours dit que le véritable problème de la zone euro était l'Italie et l'on pourrait y ajouter la France. Car, si l'Italie (ou la France) quitte la zone euro, celle-ci n'existe plus. Et c'est pourquoi c'est une menace bien différente de la crise grecque ou portugaise, ou même espagnole. Or, la situation s'aggrave en Italie, où les résultats économiques de juin ont été marqués par une chute de plus de 1 % de la production industrielle. Dans ces conditions, je ne sais pas si la Grèce sera contrainte, d'une manière ou d'une autre, de quitter la zone euro, ou si cette dernière implosera de fait avant que la Grèce ne soit contrainte à la quitter. Mais, ce dont je suis convaincu, c'est que les événements que nous avons connus en juin et en juillet ne sont que des hors-d'œuvre. La véritable crise de la zone euro, la crise terminale de l'Euro, est encore devant nous.

    [1] Varoufakis Y., Game Theory: Critical Concepts in the Social Sciences, Routledge, Londres-New York, 2001.

    [2] Varoufakis Y., Le Minotaure planétaire : l'ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, Éditions du Cercle (Enquêtes & Perspectives), 2014. Edition original en anglais The Global Minotaur, Londres, Zed Book, 2011.

    [3] Varoufakis Y., Rational Conflict, Oxford-New York, Blackwell Publishers, 1991