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    Sapir et les "fronts de libération nationale contre l’euro"

    Sapir

    Lien publiée le 30 août 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Sapir a franchi une ligne rouge en évoquant la possibilité d'un front anti-euro qui comprendrait le FN. Déjà partisan d'une alliance avec les souverainistes de droite comme Dupont-Aignan (il a popularisé - comme Varoufakis d'ailleurs - un appel de Fassina qui prône des "fronts de libération nationale" contre l'euro), il a fait un pas supplémentaire. Il a néanmoins indiqué depuis que ce front avec le FN ne pourrait se faire que "à terme" et à "certaines conditions" qui n'étaient pas remplies aujourd'hui. Il n'en demeure pas moins que cette position est l'expression d'une dérive politique très grave contre laquelle il faut argumenter.

    Nous recommandons le billet remarquable de Lordon suite à cette prise de position de Sapir : http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=14441 ; Lordon argumente contre toute forme d'alliance, non seulement avec le FN, mais aussi avec les souverainistes de droite. C'est le meilleur service à rendre à la gauche et à la droite pro-euro (mais aussi au parti de gauche européen - PCF en France) qui se frottent le main de voir des hommes de gauche se fourvoyer, ce qui leur permet d'associer toute critique de l'euro à l'extrême-droite. 

    On pourra lire pour information un billet de Sapir où il répond à ses critiques : https://russeurope.hypotheses.org/4247

    On pourra lire ci-dessous un article de Mediapart qui fait une synthèse de cette polémique.

    ______________________________

    (Mediapart) En appelant, « à terme », les partisans d’une sortie de l’euro à se poser la question d’une alliance avec le FN, l’économiste Jacques Sapir a déclenché une levée de boucliers au sein de la gauche de la gauche. L'occasion pour celle-ci d'une clarification.

    Le 21 août, Jacques Sapir, directeur de recherche à l’EHESS passe le Rubicon. L’économiste, identifié de longue date à la gauche radicale et à l’opposition envers l’euro, écrit sur son blog (dans la version longue d’une interview accordée au site Figaro Vox) que dans la lutte contre l’euro, il lui paraît évident que la gauche doit se rapprocher des souverainistes, et surtout considérer une alliance avec le Front national. Quelques mots qui cristallisent les tensions et les désaccords stratégiques qui couvent au sein de la gauche de la gauche depuis des mois : sortir ou non de l’euro ? subvertir de l’intérieur la logique de l’Union européenne ? Avec quelles alliances ?

    Dans son texte, Sapir reprend à son compte l’appel de Stefano Fassina, ancien député italien, vice-ministre de l'économie en 2013 du gouvernement Letta. Ce membre de l’aile gauche du parti démocrate a quitté sa formation en raison de ses désaccords avec Matteo Renzi et appelle dans son texte à la création de « fronts de libération nationaux » visant à démanteler la monnaie unique européenne, après l’échec du gouvernement grec de Syriza à réorienter l’Union européenne. L’appel a été repris sur son blog par l’ex-ministre des finances grec Yanis Varoufakis, qui se déclare toutefois opposé à une « désintégration contrôlée de la zone euro ».

    Et Sapir de commenter : « À partir du moment où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. (…) La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. À terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. »

    Car pour l’économiste, l’heure est à l’union sacrée, quels que soient les partenaires : « Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres. (…) Il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès. »

    Cette position, Jacques Sapir l’a maintenue dans plusieurs médias. Par exemple sur France Inter jeudi 27 août, même s’il prend un peu de distance rhétorique quant à une alliance possible avec le FN : « J’ai dit à terme, et c’est une possibilité, et pas une probabilité, parce que nous ne savons pas quelles seront les évolutions que pourra connaître ce parti, ou un parti qui pourrait en être issu. »

    Cette prudence nouvelle dans les termes, qu’il développe aussi lors de son passage ce vendredi sur le site Arrêt sur images, s’explique par la levée de boucliers que son interview a déclenchée. Sous des plumes peu connues pour leur tendresse pour l’extrême gauche, bien sûr. Ainsi, le directeur de Libération Laurent Joffrin estimait dès le 23 août que « les masques tombent »« Une alliance des extrêmes ? C’est la logique arithmétique et politique de la posture anti-euro », écrit Joffrin.

    Mais les coups viennent aussi des partisans d’une sortie de l’euro au sein même de la gauche de la gauche. Parmi les économistes de ce camp, la position de Sapir est depuis longtemps compliquée. Il ne cache pas son attrait pour le souverainisme, et l’un de ses proches, l’économiste Philippe Murer, est conseiller économique du Front national depuis plus d’un an (une décision qu'il qualifie d’« erreur »). Mais d’autres ne se retrouvent aucunement dans cette tentation du rapprochement. Parmi eux, l’économiste Frédéric Lordon, qui sera justement invité le 3 septembre dans le prochain « live » de Mediapart pour débattre de ces questions, ne pardonne pas l’appel à s’unir avec la droite et l’extrême droite. Sur son blog, il déplore que « quelqu’un comme Jacques Sapir, qui connaît bien l’histoire, ait à ce point perdu tout sens de l’histoire » et affirme que « la période est à coup sûr historique, et l’histoire nous jugera ».

    Pour Lordon, c’est « le mono-idéisme » de Sapir qui l’égare : « Puisque la Cause, c’est la sortie de l’euro, et que rien d’autre n’existe vraiment. On envisagera donc l’âme claire de faire cause commune avec un parti raciste parce que "raciste" est une qualité qui n’est pas perçue, et qui ne compte pas, du point de vue de la Cause. » L’économiste Cédric Durand, partisan déclaré d’une sortie de l’euro « de gauche » (voir ici et  son analyse sur le « Grexit », et lire ici le compte-rendu de l’ouvrage qu’il a dirigé sur la question), est sur la même ligne, alors même qu’il a contribué en 2013 à une étude signée par Sapir et Murer sur les « scenarii de dissolution de l’euro », pour la fondation Res Publica.

    Sapir se déclare finalement contre la préférence nationale

    La prise de distance est tout aussi nette du côté du Front de gauche. Dans Le MondeÉric Coquerel, coordinateur national du Parti de gauche, dénonce une « aberration », alors que l’économiste star du parti, Jacques Généreux, estime que « Jacques Sapir est victime de sa fixation sur le seul problème de l’euro »Sur le plateau d'Arrêt sur images, Coquerel est très incisif face à Sapir, lui reprochant de « faire marquer un point » au FN, « dans un contexte où Marine Le Pen peut gagner » et de faire croire que le FN se résume à la sortie de l'euro.

    Il est vrai que dans le camp de Jean-Luc Mélenchon, les déclarations de Sapir pourraient poser un problème de brouillage, puisque le parti compte faire monter en puissance, notamment à l’occasion de son université d’été ce week-end, l’idée d’un « plan B ». C’est-à-dire la sortie de la zone euro si les tentatives d’infléchir sa politique économique échouent, avec des arguments qui rejoignent en partie ceux de Sapir, mais sans aucune référence aux souverainistes ou au FN. Mélenchon et Coquerel appellent désormais à l’organisation d’un « sommet internationaliste du plan B » pour la fin de l’année, qui « réunirait toutes les forces de l’autre gauche de l’UE acceptant de travailler et de réfléchir concrètement à ce scénario ».

    Dans une interview à La Dépêche le 27 août, Mélenchon appelle de ses vœux « des solutions internationalistes qui rapprochent les peuples ». Il relaie aussi sur son blog un appel en ce sens signé Oscar Lafontaine, le fondateur du partie allemand Die Linke. Dans le même temps, il se revendique tout de même d’un « nouvel indépendantisme français » et répond sans détour au Journal du dimanche le 23 août : « S’il faut choisir entre l’indépendance de la France et l’euro, je choisis l’indépendance. S’il faut choisir entre l’euro et la souveraineté nationale, je choisis la souveraineté nationale. »

    Sans modifier sa ligne sur le fond, Jacques Sapir semble comprendre que ses mots lui ferment bien des portes dans son propre camp, et qu’il lui faut nuancer ses déclarations. Il y a quelques jours, il estimait encore que la préférence nationale voulue par le FN n’était pas vraiment un problème, puisqu’« il y a déjà toute une série de professions qui sont interdites aux non-Français ». Dans son dernier billet de blog, daté du 27 août, il change franchement de position. Même s’il martèle qu’« on ne fait pas un front avec ses "amis" ou ses semblables politiques », il condamne pour la première fois franchement la préférence nationale, d’un point de vue légal mais aussi économique : « L’idée de préférence nationale, hors le domaine des professions particulières (liées aux fonctions régaliennes de l’État qui incluent la sécurité, la justice et l’éducation), est en réalité inconstitutionnelle si on regarde le préambule de la Constitution. Il en va de même pour les droits que l’on appelle "sociaux" et qui sont la contrepartie de contributions des salariés et des employeurs. (…) Toute segmentation du marché du travail sous la forme de l’application de la "préférence nationale" conduirait à des pressions inflationnistes importantes qui pourraient compromettre les effets positifs attendus de la sortie de l’Euro. C’est l’une des raisons pour lesquelles la participation du Front National à ce "front" n’est pas aujourd’hui envisageable, alors que celle du mouvement politique de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France, l’est pleinement. »

    Dans ces débats qui secouent la gauche, n’oublions pas la parole de Yanis Varoufakis, qui fut quelques mois durant au cœur de la tempête. Dimanche 23 août, invité à Frangy-en-Bresse par Arnaud Montebourg, l’économiste grec est longuement revenu sur la question de la souveraineté et des résurgences nationalistes (le discours entièrement traduit est à retrouver sur le blog de Monica M.). Son analyse est on ne peut plus claire :

    « Je tiens à différer de ceux qui ont imputé la crise de l'Europe "à l'Allemagne" et "aux Allemands". Je me suis toujours opposé à cela pour deux raisons. Tout d'abord, "les Allemands" ça n'existe pas. Pas plus que "les" Grecs. Ou "les" Français. (…) En 1929, un accident à Wall Street a commencé le processus qui a démantelé la monnaie commune de l'époque – le Gold Standard. En 2008, un autre accident à Wall Street a commencé le processus de fragmentation de la zone euro. À ces deux occasions, les Français se retournèrent contre les Allemands, les Allemands contre les Français, avant que les Français ne se retournent contre les Français, les Grecs contre les Grecs et les Allemands contre les Allemands. À ces deux occasions, dans les années 1930 et maintenant, les seuls bénéficiaires ont été les bigots, les nationalistes, les xénophobes, les misanthropes. L'œuf du serpent n'a pas mis longtemps à éclore dans de telles circonstances.
    (…)
    Donc, jamais plus de stéréotypes sur les Grecs, les Allemands, les Français, tout le monde. Tendons la main à tous ceux qui veulent refaire de l'Europe un royaume démocratique de prospérité partagée. Chers amis, la diversité et la différence n'ont jamais été le problème de l'Europe. Notre continent a commencé à se réunir avec de nombreuses langues et des cultures différentes, mais il est en train de finir divisé par une monnaie commune. Pourquoi ? Parce que nous laissons nos dirigeants faire quelque chose qui ne peut pas être fait : dépolitiser l'argent, pour faire de Bruxelles, de l'Eurogroupe, de la BCE, des zones franches apolitiques. Quand la politique et l'argent sont dépolitisés ce qui se passe, c'est que la démocratie meurt. »