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Un extrait de "1915 : le génocide arménien" de Hasan Cemal

Lien publiée le 3 septembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/lectures/lire-extrait-1915-g%C3%A9nocide-arm%C3%A9nien-hasan-cemal

Hasan Cemal, 1915 : le génocide arménien, Paris, Les Priairies ordinaires, 2015, 288 pages, 23 euros.

Le passé ne meurt jamais. D’ailleurs le passé n’est jamais vraiment passé.

Journal de bord. New York, avril 2011

J’arrive de Los Angeles. L’arrière-salle du café Fanelli, l’un de mes préférés, est quasiment vide encore. Le calme règne. Seules une ou deux tables sont occupées.

Je m’attable à ma place favorite, devant la rue. Les serveurs ont encore changé. New York est comme ça, tout change très rapidement. A Paris, je connais presque les serveurs des cafés de Saint-Germain-des-Prés de vue. On peut partir quarante ans et retrouver les mêmes visages à son retour. Du moins c’est l’impression que j’en ai, peut-être parce que j’apprécie de revoir des visages connus en retournant au même endroit des années plus tard.

Je me rappelle de certains éditoriaux écrits ici, tout particulièrement de deux papiers qui m’avaient particulièrement coûté et que je n’avais pu terminer qu’avec l’aide de quelques verres de whisky.

L’un d’entre eux était consacré à la mort de Handan Selçuk, l’autre à la mise en garde à vue, au petit matin, de son époux, Ilhan Selçuk, dans le cadre de l’affaire Ergenekon. Ilhan, le grand frère… Deux moments particulièrement pénibles. D’un côté, les souvenirs partagés, de l’autre la justice qui s’en mêle et ce qu’il faut écrire sans laisser parler les sentiments. Aucun mur entre les deux. Il ne fallait d’ailleurs pas que ce fût le cas.

Handan et Ilhan occupent tous deux une place à part dans ma vie. Difficile dans une courte chronique de rendre hommage à cela, tout en abordant franchement les divergences d’opinion apparues entre nous au fil des ans. La plume peut déraper à tout moment d’un côté ou de l’autre.

Ainsi va la vie. Le passé n’abandonne pas les gens aussi facilement. On continue de le porter en soi, aussi vrai qu’on ne peut pas se débarrasser de son cerveau. Assis au café Fanelli en train d’écrire mon édito, j’avais en tête l’image de Handan me saluant de loin ou agitant l’index en signe d’avertissement…

Hier soir, j’étais au club de jazz Blue Note avec mon épouse Ayşe. Michel Legrand jouait du piano et chantait de vieux airs nostalgiques. Je songeais aux trois jours passés à New York la semaine dernière, tout particulièrement à ces quelques heures passées à l’Association des Arméniens d’Istanbul sous le regard de Hrant Dink. Garabet Efendi devait donner son propre nom à la salle mais a préféré la baptiser en l’honneur de Hrant....

Garabet. Sa vie est un vrai roman ! Pas seulement la sienne, bien sûr. J’ai vu à quel point ces Arméniens d’Anatolie, rassemblés après de longues années d’errance gardaient, enfouis au plus profond d’eux-mêmes, la douleur de l’exil. Les années passant, on apprend à donner le change. En contant leurs malheurs, Garabet et les autres gardaient bonne figure. Mais on sentait qu’une nostalgie profonde de l’Anatolie et d’Istanbul ne les quittait pas.

Pourquoi Ilhan a-t-il caché que sa mère était arménienne ? Cette question me hante. Handan m’avait dit, pourtant, à quel point Ilhan chérissait sa mère et combien sa mort l’avait affecté, bien qu’il s’efforçât de n’en rien laisser paraître.

« Le passé ne meurt jamais. D’ailleurs le passé n’est jamais vraiment passé » disait le grand homme de lettres arménien William Saroyan, originaire de Bitlis. Apparemment, lui aussi trimballait son passé avec lui. Peut-être doit-il à ce passé douloureux de n’avoir cessé d’écrire et de créer sa vie durant.

Il est impossible de faire fi du passé. On ne fuit pas le passé. Personne n’oublie ses racines, ni ses souffrances. Je sais qu’il peut être une malédiction et que nombreux sont ceux qui considèrent qu’il vaut mieux tirer une croix dessus, mais je ne suis pas de ceux-là.

Vous vous enterrez le passé. Parfois même, l’histoire officielle vous prête main-forte. Vous pouvez manipuler les faits, déformer la vérité, maquiller les événements avec la bénédiction de l’État. Vous pouvez vous fabriquer une histoire ad hoc et mettre en place des institutions spécialement chargées de perpétuer ce mensonge. Mais tout ceci est vain. La vérité finit toujours par émerger. Et 1915 est l’une de ces vérités douloureuses.

Au café Fanelli, les clients commencent à affluer. C’est l’heure de la pause-déjeuner. Le mieux est encore de filer et de revenir demain, au petit matin, se nicher au même endroit.

« New York, perforation dans l’écorce terrestre par où la Folie jaillit en fleuves tumultueux ! »

Journal de bord. New York, avril 2011

Je me hâte en direction du café Fanelli. Je ne suis pas en avance… Le téléphone sonne. Je ne sais pas qui est au bout du fil mais le ton est extrêmement courtois. L’homme se présente : il est ambassadeur, en poste dans une capitale européenne. Apparemment l’un de mes éditoriaux de Los Angeles lui a déplu. Il s’exprime bien. Sa langue est irréprochable et il connaît bien son sujet.

Mon interlocuteur est intarissable sur la question arménienne, un peu à la manière de Şükrü Elekdağ1. Il me rappelle également Onur Öymen par certains aspects. Il m’assène ses opinions enrobées dans de belles phrases diplomatiques tout en faisant étalage de ses connaissances. On dirait un mélange entre l’école Elekdağ et l’école Öymen. Il a beau user d’un langage extrêmement diplomatique, je sais fort bien où il veut en venir : « Hasan Cemal, tu te fais manipuler, crétin que tu es. »

Je l’écoute tout en poursuivant ma route vers le quartier de Soho. La rue est bondée, je bouscule les gens sur mon passage. C’est mon côté malotru qui ressurgit. J’ai envie de lui raccrocher à la figure. Cette musique qu’il me joue, je la connais par cœur.

C’est à force de passer ce même vieux disque rayé que la Turquie a fini par s’isoler du reste du monde sur la question de la déportation des Arméniens.

Je le lui dis. Et la litanie de reprendre.

« Monsieur, c’est nous qui n’avons pas su faire le nécessaire jusqu’à aujourd’hui ! »

J’ai perdu le compte du nombre de fois où l’on m’a servi ce genre de propos. La Turquie n’a pas su expliquer ses positions au reste du monde et ce n’est pas demain qu’elle y arrivera, tout simplement parce que ce pays a caché de larges pans de son histoire sous le tapis, à commencer par 1915. Ce pays est passé maître dans l’art de duper ses propres citoyens. En conséquence de quoi nous sommes frustrés et amèrement déçus par les réactions du reste du monde.

Bien sûr Kurdes et Arméniens ne sont pas les seules victimes de l’histoire, les Turcs aussi ont eu leur lot de tragédies. Mais cela n’autorise pas à mettre les victimes en concurrence ni à minimiser nos propres torts, tout particulièrement au sujet de la déportation des Arméniens. Faire cela, c’est se faire complice des meurtriers.

Je ne dis rien de tout cela à mon interlocuteur qui est un jeune diplomate à en juger par sa voix. Si je devais lui conseiller quelque chose, ce serait de se détourner un instant de l’histoire officielle pour se pencher sur de vrais livres d’histoire. C’est le seul moyen que nous avons de résoudre l’équation turque.

On ne pourra comprendre l’ampleur des problèmes dont nous avons hérité depuis la proclamation de la République, de la question kurde au meurtre de Hrant Dink en refusant de comprendre le rôle joué par le Comité Union et Progrès dans la déportation des Arméniens et de voir les parentés idéologiques entre l’idéologie jeune-turque et la République. Alors que j’écoute d’une oreille notre jeune ambassadeur, les paroles de cet intellectuel kurde de Hakkâri retentissent dans l’autre.

« Cela fait des années que les Kurdes tentent de prouver qu’ils vivent sur ces terres et les Arméniens qu’ils y ont été massacrés. »

Je suis enfin arrivé au café Fanelli. C’est l’heure du repas, il y a encore plus de monde aujourd’hui qu’hier. Ma place au bord de la fenêtre, à côté de la plante verte, est libre. Si seulement la table n’était pas recouverte d’une nappe en lino à pois rouges...

Parfois réjouissant, parfois attristant. Ça vaut aussi pour New York.

Cela fait des années que je ne suis pas passé au PJ Clarke’s, au coin de la 3eavenue et de la 55e rue. Le bar irlandais est un bâtiment de plain-pied en briques rouges, coincé entre les gratte-ciel. Il n’a pas changé. Ses garçons à l’ample bedaine, derrière les longs comptoirs en bois, n’ont pas changé non plus. Quelques hommes sont assis en tête à tête avec leur bière, absorbés par la retransmission d’un match de basket à la télévision. Le restaurant dans l’arrière-salle arbore toujours ses nappes rouges à pois blancs.

Peut-on imaginer le Clarke’s sans Nat King Cole ou Frank Sinatra ? Le vent glacial de New York s’engouffre à l’intérieur à chaque entrée de client. C’était pareil avant, simplement je ne faisais pas attention. Aujourd’hui, je garde mon manteau sur moi.

PJ Clarke’s. Voilà ce que j’appelle un bar. Je me rappelle de mon collègue Tanju Akerson décrivant les pubs irlandais dans ses chroniques new-yorkaises, chaque dimanche dans Cumhuriyet. Avec sa plume littéraire et son sens de l’observation, il arrivait parfaitement à restituer leur côté bohème et nostalgique.

Je bifurque dans la 55e rue en sortant du Clarke’s. Derrière, c’est le Michael’s Pub. À l’époque, Woody Allen y jouait de la clarinette tous les lundis soir. Je l’ai vu jouer une fois, il y a des années de cela. Il était presque impossible de trouver une place.

Ma préférence va malgré tout au piano-bar Arthur’s Tavern dans West Village. Malheureusement, Mabel Godwin et Al Bundy ne sont plus là. Ce couple de jazzmen afro-américains jouait du piano et chantait de leurs voix cassées tous les soirs après minuit. Mon collègue et ami Ufuk Güldemir manque aussi à l’appel. J’ai passé ici une nuit mémorable avec lui, il y a près de vingt-cinq ans.

Comme les années passent...

Le Marie’s Crisis, juste à côté, a conservé son allure d’antan. Les artistes de l’Off-Broadway continuent de se presser autour du piano pour chanter sans prêter attention au reste du monde. On passe les chansons des comédies musicales Cabaret et Oklahoma, sans oublier, évidemment, « New York, New York ». L’atmosphère est gaie et triste tout à la fois.

Impossible de ne pas faire un tour au Chelsea Hotel, dans la 23e rue. J’y ai passé deux nuits, il y a des années. J’avais eu l’impression que là-bas, le temps s’accélérait, j’ignore pourquoi. Tout un tas d’artistes se sont mis à fréquenter l’hôtel dans les années 20 et 30. Ceux qui étaient fauchés laissaient une toile ou une sculpture en guise de paiement. Il paraît que le propriétaire de l’hôtel possède une impressionnante collection, tout comme celui du Kronenhalle de Zurich ou de La Colombe d’Or à Saint-Paul-de-Vence. Les peintures affichées au mur du restaurant sont effectivement dignes d’une galerie d’art.

Arthur Miller a passé six ans au Chelsea Hotel. Des artistes comme Marc Twain, Eugene O’Neill, Tennessee Williams, Bob Dylan, Leonard Cohen, Allen Ginsberg y ont également séjourné. Le poète gallois Dylan Thomas est mort là-bas d’une overdose de whisky. Des plaques dédicacées fixées à l’entrée rappellent le séjour de telle ou telle célébrité. L’hôtel Chelsea est vraiment un endroit à part.

Il n’y a pas de service de chambre. Eau, café, je me rappelle que j’avais dû tout acheter moi-même à l’épicerie d’à côté. Le bar est au sous-sol, sur un côté du bâtiment. C’est le genre de bar où des jeunes femmes nombril à l’air servent de l’alcool. Une nuit, mon ami le peintre Ömer Uluç m’avait entretenu des peintres qui étaient morts pour avoir abusé de l’alcool.

Devant l’hôtel, il y a un homme de haute taille. Il porte bottines en cuir noir à boucles dorées, jean et gilet. Sa barbe et ses cheveux sont tout blancs et il marche plié en deux. Que fait-il au Chelsea Hotel ? Cherche-t-il à se rappeler sa jeunesse ?

Impossible de vivre en permanence dans le regret. Je trouve effrayant ceux qui ne voient l’avenir qu’à travers le passé. Nous avons abordé le sujet cette nuit-là avec Ömer Uluç, qui est décédé désormais.

Dans le bar, les Beatles chantent « Can’t buy me love ». J’ai rapporté mes premiers vinyles des Beatles d’Angleterre, au cours de l’été 62. Mes souvenirs ressurgissent tandis que Paul McCartney chante :

« There were bells on a hill/But I never heard them ringing/No, I never heard them at all/Till there was you/There were birds in the sky/But I never saw them winging/No, I never saw them at all/Till there was you »

Cela me réchauffe le cœur.

J’ai un creux. Le mieux à cette heure de la nuit est le Carnegie Deli, qui doit être à l’angle de la 57e rue et de la 7e avenue, si je me rappelle bien. Son pastrami et son cheesecake aux mûres servis avec des portions gargantuesques n’ont pas changé d’un pouce. La photo de Woody Allen est toujours là. Le restaurant a droit à une scène dans un de ses films où il rend hommage à Bach.

Je me suis toujours senti chez moi à Manhattan.

« Je ne me suis jamais senti étranger à Manhattan, disait pareillement l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa. Après quelques jours ici, j’ai le sentiment d’être resté trop longtemps, d’avoir fait trop de choses et d’avoir vécu plus d’enthousiasme et de fatigue que je n’aurais pu en vivre dans aucune autre ville du monde. À New York, j’ai toujours eu l’impression de me trouver au centre du monde, dans une Babylone moderne, une sorte de recueil de Borges où toutes les langues, toutes les religions, toutes les cultures de la planète sont représentées. »

De cette New York pleine de bruits et de tumultes qui ne dort jamais, le grand poète arabe Adonis disait qu’elle était « perforation dans l’écorce terrestre par où la Folie jaillit en fleuves tumultueux »...

Laissons les plaies d’argent. Mais agissez lorsqu’il est question de vie. Hrant Dink a hérité d’un carré de terre en Anatolie. C’est sa tombe.

Journal de bord. 15 septembre 2011

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Hrant. Il aurait eu 57 ans. Si les ténèbres de l’État profond ne l’avaient pas arraché à nous, il serait probablement en train de siroter un verre de raki en compagnie de ses petits-enfants, du reste de sa famille et de ses amis.

Le samedi 19 septembre une nouvelle audience a lieu dans le procès de ses assassins. Nous avons perdu le compte de ces audiences qui ne permettent pas à l’affaire d’avancer d’un pouce. Un jour comme celui-là, avec des amis de Hrant, nous avons écrit une lettre ouverte à l’adresse du Premier ministre Erdoğan :

Monsieur le Premier ministre,
On a tué notre ami Hrant Dink. Voilà cinq ans que nous réclamons que justice soit faite. En pure perte. Nous n’avons cessé d’envoyer réclamation sur réclamation à l’État. Celui-ci a pris parti en faveur des meurtriers. La police s’est affichée avec l’un d’entre eux, drapeau en main et sourire triomphant, pour la photo de famille.
Cette meute dont vous refusez d’admettre l’existence a travaillé main dans la main à exciter l’opinion publique et abattre froidement et traîtreusement Hrant, avant de prendre la fuite et se terrer.
Nous accusons,
Votre adjoint [Cemil Çiçek] qui a donné sa parole d’honneur que justice serait faite et les officiels qui ont livré Hrant Dink à la vindicte populaire. Vous avez nommé les uns aux fonctions qu’ils occupent et l’autre à la présidence de l’Assemblée nationale.
Le préfet ayant ouvertement menacé Hrant Dink, qui vous doit son poste.

Le chef de la police qui a manqué à son devoir de protection et que vous avez promu au rang de préfet.
Le gamin de 17 ans inconnu de tous qui, grâce à vous, s’est fait un nom en assassinant Hrant Dink. 
Seule la justice rachètera le sang versé.
Nous accusons,
Votre ministre de l’Intérieur [Muammer Güler] qui a refusé qu’on touche à ses hommes lorsque nous avons donné des noms.
Votre ministre des Affaires étrangères [Ahmet Davutoğlu] qui, dans sa défense auprès de la Cour européenne des Droits de l’homme, a assimilé aux nazis l’enfant de ce pays.
Vos forces de maintien de l’ordre qui, au passage de Rakel Dink, ont chanté des dithyrambes en l’honneur des assassins et le palais de justice de Beşiktaş qui leur a répondu en chœur.
Les gendarmes ayant escorté vos meurtriers au tribunal qui ont placardé un poster « la Turquie, tu l’aimes ou tu la quittes » sur les murs de la prison.
Monsieur le Premier ministre,
Quel est ce grand secret qui empêche d’élucider ce meurtre ? 
À l’occasion de la rétrocession d’une part infime des biens volés aux minorités, vous avez juré, en référence au dernier éditorial de Hrant, que plus aucun citoyen ne vivrait avec la peur au ventre. Sachez pourtant que notre peur grandit chaque jour.
Monsieur le Premier ministre,
Laissons les plaies d’argent. Mais agissez lorsqu’il est question de vie et de mort. Hrant Dink a hérité d’un carré de terre en Anatolie. C’est sa tombe.
Les enregistrements vidéo ont été effacés, mais pour notre part, nous avons compté cinq hommes dans le guet-apens tendu à Hrant le 19 janvier 2007.
Qui sont-ils, Monsieur le Premier ministre ?
Nous voulons connaître les assassins, nous voulons savoir ce qui a été dit mais aussi ce qui a été tu, au nom de la justice et pour que la vérité triomphe. Nous conservons le droit à la justice et à la vérité dans ce pays fatigué de la guerre qui n’a d’autre choix que d’honorer ses dettes.
Nos questions sont restées sans réponse !
Les centaines de milliers de citoyens qui ont crié le nom de Hrant Dink, sentinelle de la justice, ne désarmeront pas. Nous continuerons à laisser parler nos consciences aussi longtemps que nous n’aurons pas obtenu réponse à nos questions.
Pour Hrant ! Pour que justice soit faite2 !

La Cour européenne des Droits de l’homme : l’article 301 est contraire à la démocratie !

Journal de bord. 28 octobre 2011

La Cour européenne des Droits de l’homme a déclaré que l’article 301 était contraire à la démocratie et violait l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’homme.

Ce dernier stipule que : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Cette décision est sans précédent. Elle intervient en l’absence de tout jugement préalable, c’est-à-dire sans que les voies de recours internes ne soient épuisées comme c’est en général le cas3.

L’affaire débute en 2007 lorsque Taner Akçam décide de se porter devant la juridiction européenne après avoir reçu des menaces de morts et fait l’objet d’une plainte pour insulte à l’identité turque en raison d’un article paru dans l’hebdomadaire Agos. Deux points évoqués dans la décision retiennent notre attention. Premièrement, il est fait mention du « risque considérable » de poursuites légales pour ceux qui expriment des opinions non conformes aux vues officielles sur la question arménienne. Deuxièmement, la Cour a considéré que l’article 301 constituait encore une menace pour la liberté d’expression. Comment va réagir le gouvernement Erdoğan qui pensait s’être tiré d’affaire en « améliorant » l’article 3014 ? Au moment où j’écris ces lignes, la question reste encore posée5.

  • 1.Haut diplomate et homme politique turc CHP, ambassadeur aux États-Unis de 79 à89 et adversaire déclaré des thèses arméniennes sur le génocide [NdT].
  • 2.Lettre ouverte publiée le 14 septembre 2011 par Hasan Cemal dans Milliyet, Ali Bayramoğlu dans Yeni Şafak, Ümit Alan dans Bir Gün et Levent Yılmaz dans Taraf.
  • 3.La saisine de la CEDH exige normalement que les voies de recours en droit interne aient été épuisées, c’est-à-dire que le jugement dénoncé ait été porté et confirmé en appel par la Haute Cour de justice dans le cas de la Turquie [NdT].
  • 4.En 2008, le gouvernement turc a fait voter un texte pour réviser l’article 301. Il n’est plus question d’outrage à l’identité turque (Türklük) mais au peuple turc (Türk milleti) [NdT].
  • 5.L’article n’a toujours pas été supprimé mais aucune condamnation au titre de l’article 301 n’avait eu lieu jusqu’à ce que l’avocate et militante des Droits de l’homme Eren Keskin soit condamnée le 22 janvier 2015 à dix mois de prison ferme pour des propos tenus dix ans auparavant en référence à l’assassinat d’un enfant kurde de douze ans par des policiers turcs à Mardin. « L’État fait preuve d’une barbarie telle qu’on a massacré un enfant de douze ans. La Turquie doit rendre des comptes là-dessus. L’histoire de ce pays est sordide ». La condamnation a été portée devant la Haute Cour de justice [NdT].