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Allemagne : pourquoi Angela Merkel est-elle si généreuse envers les réfugiés ?

Lien publiée le 9 septembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/allemagne-pourquoi-angela-merkel-est-elle-si-genereuse-envers-les-refugies-503128.html

Le gouvernement fédéral allemand met 6 milliards d'euros sur la table pour l'accueil des réfugiés. La chancelière a plusieurs raisons de se montrer généreuse.

La générosité allemande à l'égard des réfugiés ne se dément pas. A l'issue d'une réunion de crise entre les trois partis de la coalition (CDU conservatrice, CSU bavaroise et SPD social-démocrate), le gouvernement fédéral a annoncé qu'il mettait, pour l'année 2016, 3 milliards d'euros à la disposition des Länder pour gérer l'arrivée massive des réfugiés du Moyen-Orient, s'accordant lui-même directement 3 milliards d'euros.

Des sommes importantes

Un plan de 6 milliards d'euros n'est pas anodin dans la mesure où il représente près de 60 % des dépenses supplémentaires prévues initialement dans le budget fédéral de 2016. Cette crise migratoire a donc cette première vertu de contraindre l'Allemagne à dépenser plus. C'est une bonne nouvelle pour l'ensemble de l'Europe, même si les sommes mises sur la table n'auront sans doute pas un impact macro-économique de grande ampleur. Reste cependant que, dans un pays où l'Etat investit trop peu, de l'aveu même de la fédération patronale, la BDI, ces dépenses supplémentaires sont sans doute un signe positif.

La construction de 150.000 hébergements permettant de passer l'hiver est ainsi prévu par l'Etat fédéral. A cela s'ajoute près de 300.000 logements qui seront construits par les communes. Ces dernières bénéficieront d'un financement privilégié par la banque publique KfW, banque dont le refinancement est garanti par l'Etat fédéral. Bref, l'Allemagne redécouvre décidément l'importance de l'investissement public.

La réaction de l'opinion publique

Angela Merkel prouve, en tout cas, une nouvelle fois, qu'elle est prête à mettre le prix de l'accueil des réfugiés. Pourquoi une telle générosité ? D'abord, parce que c'est une attente de l'opinion allemande. Cette dernière s'est réveillée bien avant la fameuse photo de l'enfant mort sur une plage turque. Car l'été outre-Rhin a été marqué par une série d'attaques contre les centres de demandeurs d'asile, principalement dans l'ex-RDA et plus précisément en Saxe. Ces attaques ont été décisives dans la réaction de la population allemande qui est naturellement fort sensible à ce type de comportements.

Stratégie d'Angela Merkel

Angela Merkel, comme à son habitude, a suivi ce mouvement spontané de sa population. C'est, chez elle, une stratégie courante. En 2011, elle avait ainsi réagi à l'explosion de Fukushima en engageant une sortie rapide de son pays du nucléaire, faisant ainsi oublier qu'en octobre 2010, elle avait fait adopter une loi pour prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires. Dans le cas des réfugiés, l'attitude d'Angela Merkel a donc été la même. Et l'on a pu alors voir soudain la presse allemande la plus conservatrice, celle qui se laissait aller volontiers à la xénophobie, appeler au soutien aux réfugiés. Le mouvement d'opinion s'est amplifié et Angela Merkel s'est montrée parfaitement en phase avec lui.

Opportunité européenne

Pour Angela Merkel, cette politique était aussi une opportunité en termes de politique européenne. D'abord, en prenant le contre-pied de la plupart des dirigeants européens, elle apparaissait comme le défenseur des réfugiés sur le Vieux continent. Les photos de la chancelière brandie par les réfugiés l'ont prouvé. Ceci lui permettait, une nouvelle fois, de donner le ton en Europe. Dans sa foulée, d'autres dirigeants se sont lancés dans des démonstrations d'ouverture aux réfugiés, le plus caricatural étant sans doute le Premier ministre finlandais qui a annoncé accueillir chez lui des réfugiés. Angela Merkel a donc pris l'initiative, ce qui va lui donner, dans les négociations européennes à venir, un avantage certain.

Redorer l'image du pays

Par ailleurs, l'occasion était trop belle pour la chancelière de redorer le blason de son pays. L'Allemagne apparaît désormais comme un modèle d'ouverture, de générosité et de solidarité. C'est un changement total d'image par rapport à l'image d'égoïsme et de dureté qu'elle avait pu acquérir dans la crise grecque. C'est aussi l'occasion pour Angela Merkel de faire oublier l'indifférence complète qui a prévalu - et qui prévaut encore largement - concernant la gestion de la crise migratoire par les deux principaux pays frontaliers, l'Italie et la Grèce. C'est aussi une manière de faire oublier que l'Allemagne ne participe pas aux actions militaires sur le terrain et a toujours refusé d'y participer. Au final, il ne restera que cette image de l'accueil enthousiaste des réfugiés à Munich, tranchant singulièrement avec les violences hongroises, les hésitations françaises et l'hostilité britannique. Lundi 7 septembre, Angela Merkel a affirmé que « ceux qui ont aidé ont transmis une image de l'Allemagne dont nous pouvons être fiers. » Là encore, l'Allemagne, en gagnant la bataille de la communication, est en position de force pour imposer sa solution dans les mois qui viennent. Du reste, ce changement d'image peut également jouer de tout son poids dans d'autres négociations, notamment celle de la réforme de la zone euro.

Considérations économiques

A ces considérations politiques s'est ajouté, évidemment un élément économique. La situation démographique allemande est alarmante et le pays a besoin d'habitants. On voit que la reprise de la consommation allemande, si elle est réelle, demeure faible au regard de la situation de l'emploi et des augmentations de salaires consenties. L'Allemagne a clairement besoin d'un apport massif de population jeune et prompte à consommer. Ces 800.000 migrants sont donc une bénédiction pour l'économie allemande. D'autant que 46 % des employeurs allemands ont des difficultés à recruter.

Dans le plan décidé dimanche soir, le gouvernement fédéral a donc décidé de faciliter l'accès des migrants au marché du travail. Le délai au-delà duquel ils pourront faire de l'intérim a été avancé de quatre à trois mois. Les équipes des agences pour l'emploi seront renforcés pour proposer des emplois ou des formations aux migrants. Mais il n'est pas certain que cette question soit centrale dans la décision d'Angela Merkel d'ouvrir les frontières allemandes. En effet, la majorité des migrants ne pourront pas immédiatement combler les manques de main d'œuvre qui existent aujourd'hui et qui concernent majoritairement de la main d'œuvre qualifiée (plus de la moitié des raisons de la difficulté d'embauche selon une étude de Manpower). En revanche, Angela Merkel est, depuis longtemps, favorable à une politique d'immigration plus active pour préparer l'avenir, car la crise démographique commencera réellement en 2025. Cette crise pourrait permettre de favoriser une plus grande ouverture qui deviendra nécessaire.

Numéro d'équilibriste avec la droite

Mais il convient de ne pas oublier l'ambiguïté de la situation d'Angela Merkel. Fondamentalement, depuis 2005, la chancelière mène une politique d'équilibriste en recentrant la CDU, son parti, tout en maintenant dans son giron l'aile la plus conservatrice de la droite allemande. Toute la politique européenne de l'Allemagne traduit ce jeu subtil qui a été, un temps, exacerbé par l'émergence d'Alternative für Deutschland (AfD), parti ouvertement eurosceptique. Ce numéro se poursuit. D'un côté, la chancelière a pu, en prenant le train de l'opinion, désamorcer une critique virulente de la droite, au risque pour cette dernière de se retrouver confondue avec les violences nationalistes. AfD, qui, en juin, a durci son discours sur l'immigration, sera sans doute la première victime de la situation actuelle. Depuis fin août, le parti est donné à 3 % des intentions de vote, contre 5 % avant l'été.

Les gages données à la droite bavaroise

Mais Angela Merkel ne doit pas, pour autant, s'aliéner cette droite. Or, la CSU bavaroise a commencé à faire preuve de mauvaise humeur. Son président, aussi ministre-président de la Bavière, Horst Seehofer, aurait ainsi, dimanche, demandé à Angela Merkel de « faire cesser le flux » des réfugiés. Angela Merkel a donc donné des gages à sa droite dans le plan fédéral pour les réfugiés. Ainsi, le statut de « pays sûr » a été accordé à la Macédoine, l'Albanie et le Kosovo, permettant de refuser toutes les demandes d'asile des ressortissants de ces pays et d'expulser tous ceux qui l'ont obtenu jusqu'à présent. Pour la CSU, il y a en effet le risque que des migrants économiques des Balkans ne viennent se mêler au flux des réfugiés moyen-orientaux.

Par ailleurs, les réfugiés n'auront pas, comme jusqu'à présent, droit à de l'argent liquide, mais à des aides en nature. Là aussi, c'est une réponse aux critiques populistes de la CSU. Enfin, la durée de suspension des mesures d'expulsion en cas de rejet des demandes d'asile a été raccourcie de six à trois mois. Bref, Angela Merkel tente de maintenir la colère de la CSU qui, elle, est attisée par le fait que la Bavière est en première ligne. Et, déjà, l'on peut voir une certaine ambiguïté : les scènes d'accueil à Munich ne traduisent sans doute pas entièrement le sentiment de toute la Bavière, haut lieu conservateur du pays.

La nécessité de la solution européenne

Angela Merkel, qui avait prévenu que l'ouverture des frontières était « une mesure temporaire », doit donc trouver rapidement une solution européenne à la crise. On comprend qu'elle ait plaidé tout au long de la semaine dernière pour « une répartition européenne » des migrants. En réalité, il n'est pas certain que la chancelière puisse, une fois l'enthousiasme des premiers jours retombé et les critiques de sa droite relancées, maintenir sa politique actuelle d'ouverture. Il lui faut donc rapidement utiliser sa position de force acquise ces derniers jours pour imposer des « quotas » à l'ensemble des pays membres de l'UE. Paradoxalement, les principaux obstacles à cette politique devraient être les pays d'Europe centrale, traditionnellement les principaux alliés de Berlin, comme on l'a vu encore dernièrement dans la crise grecque.