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Sapir - Une Banque Centrale pour Novorossiya ?

économie international Ukraine

Lien publiée le 16 septembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://russeurope.hypotheses.org/4296

La question de l’autonomie, voire de l’indépendance monétaire, des régions insurgées de l’Est de l’Ukraine se pose depuis le début de l’année 2015. Les accords de Minsk-2 prévoyaient la fin du blocus économique et monétaire mis en œuvre par le gouvernement de Kiev. La non-application d’une large part de ces accords[1], et en particulier des volets politiques et économiques de ces derniers relance, bien entendu, la question du statut monétaire de ces régions. Mais, il est évident que cette question a des répercussions qui vont au-delà de simples arrangements monétaires. La question de la souveraineté, à travers la question de la souveraineté monétaire, des régions insurgées est directement posée.

La situation monétaire dans les régions insurgées

Les régions insurgées sont soumises depuis la fin 2014 à un véritable blocus monétaire de la part du gouvernement de Kiev. Celui-ci qui prend la forme de la rupture des relations entre la Banque Centrale d’Ukraine et les banques locales, la rupture des relations entre les banques commerciales et leurs agences locales, enfin dans la suspension de pratiquement tous les paiements sociaux de la part du gouvernement ukrainien aux populations qui se trouvent dans ces régions (assurances maladie, chômage et vieillesse). Cette suspension des paiements sociaux signifie que le gouvernement de Kievne considère plus les habitants des zones insurgées comme relevant de sa juridiction. C’est un acte dont la portée juridique implicite pourrait être particulièrement important quand il s’agira de discuter du statut de ces régions. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé l’Allemagne et la France d’exiger de Kiev qu’il reprenne ses versements dans le cadre des accords de Minsk-2. Il semble bien qu’il ne l’ait pas fait. Rappelons ici que de 1993 à 1999, alors que la Tchétchénie avait de facto fait sécession, Moscou avait bien continué à payer l’ensemble des pensions et indemnités.

Pourtant, jusqu’en février 2015, la monnaie circulant dans ces régions était globalement restée la monnaie ukrainienne (la Hryvnia) même si la possibilité d’effectuer certains paiements en roubles russes existait. La circulation monétaire était alimentée par la vente de charbon au gouvernement de Kiev. En fait, au moment même où des combats sanglants avaient lieu, le commerce du charbon, et d’autres matières premières ainsi que de produits semi-finis, continuait. C’est l’une des caractéristiques de cette guerre civile qui ne dit pas son nom que le commerce entre camps ennemis se soit maintenu durant le conflit. Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où Kiev avait dramatiquement besoin du charbon du Donbass, en particulier pour les centrales électriques, et où les insurgés du Donbass accueillaient toute ressource monétaire disponible. Mais, ces ventes ont été interrompues quand les forces de Kiev (probablement une des unités irrégulières constituées à partir de militants d’extrême droite) ont fait sauter la ligne de chemin de fer reliant le Donbass au reste de l’Ukraine. Dès lors, les insurgés n’ont eu d’autre solution que de vendre à des entreprises russes le charbon et les produits sidérurgiques qui étaient leurs principales ressources. À partir de ce moment, la circulation en Hryvniadevient progressivement problématique. Si la question de la circulation de la monnaie scripturale (les comptes bancaires et d’épargne) peut continuer à se faire en Hryvnia, la monnaie fiduciaire dépend des stocks existant sur place, et ces stocks ne sont plus alimentés.

Par ailleurs, la dépréciation de la Hryvnia face au rouble russe est importante. Ce phénomène est encouragé par les autorités insurgés qui accroissent les prix en Hryvniapar rapport aux prix en roubles afin de récolter, par le biais des magasins d’alimentation en particulier le plus de billets en Hryvnia possible. Mais, cette politique qui vise à permettre aux autorités de disposer d’un volume de monnaie fiduciaire en Hryvnia aboutit dans les faits au remplacement de cette devise par le rouble russe dans les échanges courants. Le fait qu’une partie des pensions aient été prises en charge par la Russie (visiblement depuis le mois de novembre 2014) accélère encore le remplacement de la monnaie ukrainienne par la monnaie russe.

Une Banque Centrale pour quoi faire ?

Les autorités de Donetsk avaient créé une banque, qu’ils appellent une Banque Centrale,dès le mois d’octobre 2014[2]. Cette banque avait pour fonction de gérer l’embryon de Trésor Public de la « République Populaire de Donetsk » (DNR), mais aussi de gérer les flux de transferts venant de la Russie (via une banque fonctionnant en Ossétie du Sud), et enfin de gérer le commerce avec le reste de l’Ukraine. Le paiement des pensions à la population des zones insurgées est considéré, par la Russie, comme relevant de « l’aide humanitaire ». Diverses sources estiment ces paiements entre 33 et 38 millions de dollars tous les mois. Il existe d’ailleurs un accord-cadre au sein des pays « successoraux » de l’ex-URSS pour la prise en charge des indemnités vieillesse et maladie par un pays (le plus souvent mais pas uniquement la Russie) au profit de ressortissants d’un autre pays. Il n’est pas impossible que cet accord puisse être invoqué dans ce cas particulier.

Cette « Banque Centrale » combine pour l’instant les fonctions de Trésor Public, de caisse de compensation (tant pour le commerce à l’intérieur des zones insurgées qu’entre ces zones et la Russie) mais elle commence aussi à fonctionner comme une banque normale (émettant des cartes de crédit) mais aussi comme une caisse d’émission. Pour l’instant, elle utilise toujours les Hrynia qui ont été accumulées via les écarts de prix entre le rouble russe et la Hrynia. Mais, à terme, se pose la question soit de l’intégration des zones insurgées dans l’espace monétaire russe, soit de la constitution d’une monnaie propre à ces zones.

Il est évident que, pour des raisons politiques, les responsables des zones insurgées favorisent la seconde option. Ils souhaiteraient, de cette manière, entériner la séparation complète avec l’Ukraine. Depuis le mois de décembre 2014 de multiples déclarations ont été faites en ce sens, mais elles n’ont jamais abouti, du moins jusqu’à maintenant. Il est tout aussi évident que la logique économique voudrait que ces zones insurgées basculent vers le rouble. Quelle que soit sa faiblesse actuelle, le rouble est une monnaie incommensurablement plus solide que la monnaie ukrainienne. De plus, l’alimentation en roubles, qu’il s’agisse de la monnaie scripturale ou de la monnaie fiduciaire, est bien plus constant et régulier. Il faut ici ajouter que l’usage de la monnaie d’un autre pays comme moyen « légal » de paiement n’implique nul rattachement de droit de ces régions. Le Franc français fut utilisé dans la Sarre lors de l’occupation par les forces Franco-Belgo-Italiennes de la Ruhr en 1924, et il fut à nouveau utilisé dans la zone d’occupation française en 1946 et 1947. Si des projets d’annexion ont pu exister en ce qui concerne la Sarre en 1924, il n’en fut pas de même sur la zone occupée en 1946 et 1947.

Dans la mesure où la position de la Russie a toujours été de considérer que ces zones insurgées étaient ukrainiennes, même si elle soutient l’idée d’une large autonomie dans le cadre d’une « fédéralisation » de l’Ukraine, la question de la Banque Centrale pourrait bien être un point d’achoppement entre les insurgés et les dirigeants russes. Ces derniers tiennent un discours de raison, mais ce discours n’est probablement plus audible par la population des zones insurgées qui a été soumise à la violence sanguinaire du pouvoir de Kiev. Il semble aujourd’hui difficile de faire accepter à cette population l’idée d’un retour, même dans un futur lointain, vers l’Ukraine.

Mais, les insurgés, quant à eux, vont comprendre aussi que la création d’une souveraineté monétaire, sur une petite population, est quelque chose de complexe et délicat. La question de la Banque Centrale apparaît alors comme au centre de plusieurs conflits, entre logique politique et logique économique, entre indépendance et fédéralisation, mais aussi entre Donetsk et Moscou.

[1] « Ukraine : Paris et Berlin doivent “faire pression” » in Le Figaro, 19 août 2015,http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/08/19/97001-20150819FILWWW00190-ukraine-paris-et-berlin-doivent-faire-pression.php

[2] http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-09-15/the-central-bank-with-no-currency-no-interest-rates-but-atms