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(En)jeux: l’enfant face au capitalisme

société

Lien publiée le 28 décembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://npa2009.org/arguments/societe/enjeux-lenfant-face-au-capitalisme

Le jeu est une activité essentielle au développement de l’enfant. Il en est à la fois un indice et une condition. Or la marchandisation du jeu dans les sociétés capitalistes avancées fragilise, voire bloque cette dimension d’autoréalisation chez les enfants.

Qu’est-ce donc que le jeu ?

Le jeu est une notion qui peut être complexe à définir en particulier d’un point de vue d’adultes (ce que nous, adultes, considérons comme des jeux ne correspondent pas à ceux des enfants). Reprenons pour être clair deux définitions. La première proposée par J. Huizinga dans Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu : « Le jeu est une action qui se déroule dans certaines limites, de lieu, de temps et de volonté, dans un ordre apparent, suivant des règles librement consenties, et hors de la sphère de l’utilité et de la nécessité matérielles. L’ambiance du jeu est celle du ravissement et de l’enthousiasme, qu’il s’agisse d’un jeu sacré, ou d’une simple fête, d’un mystère ou d’un divertissement. L’action s’accompagne de sentiments de transport et de tension et entraîne avec elle joie et détente .»
La seconde proposée par R. Caillois dans Les jeux et les hommes, le masque et le vertige : le jeu est « une activité :
1 - libre (…)
2 – séparée : circonscrite dans des limites d’espace et de temps précises et fixées à l’avance
3 – incertaine : dont le déroulement ne saurait être déterminé ni le résultat acquis préalablement, (…)
4 – improductive : ne créant ni biens ni richesse (…)
5 – réglée : soumise à des conventions (…)
6 – fictive : accompagnée d’une conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante ».

On voit bien à quel point la notion de jeu est alors intrinsèquement incompatible avec l’exploitation capitaliste. C’est donc non le jeu lui-même, mais ses moyens, ses outils, que le capitalisme va progressivement marchandiser. Ce faisant, il contribue à appauvrir les bienfaits de cette activité. Car le jeu a chez l’enfant des fonctions spécifiques que certains outils favorisent ou tarissent.

A quoi sert le jeu ?

Le jeu a principalement trois fonctions pour l’enfant : appréhender (le monde, les codes sociaux, la nature…), s’entraîner (par l’imitation et la répétition), et acquérir (des nouvelles capacités, développer son imagination, sa créativité, sa perception, son langage…).
Comme pour l’éducation scolaire, ces fonctions nécessitent que les jeux soient adaptés au stade de développement de l’enfant, non pas exactement dans ce qu’il maîtrise déjà ni dans ce qui serait trop difficile et décourageant, mais dans ce que Lev Vygotski a appelé la « zone proximale de développement ». C’est-à-dire juste un petit peu plus loin, mais dans des objectifs atteignables.

C’est aussi ce qu’a développé Maria Montessori, qui défendait une éducation basée sur l’auto-apprentissage (notamment par des objets autocorrectifs), qui laisse l’enfant se développer à son rythme.
Cette notion du rythme de l’enfant, essentielle à l’utilité d’un jouet, est complètement évacuée par l’industrie ludique. Les boîtes de jeux et jouets sont estampillées d’âge minimal et maximal (!), stigmatisant les développements différents et favorisant l’imposition à des enfants de jouets non adaptés à leur développement ou à leurs centres d’intérêts. En cause, le découpage du secteur par tranches d’âge qui permet d’assurer une consommation constante à mesure que l’enfant grandit.

Faut-il offrir des jouets ?

On le sait, tous les enfants du monde – ou presque – jouent. Et on sait aussi que tout peut être jouet : un caillou devient voiture, animal, ou joyau, un bâton se transforme en poupée, en arme ou en nourriture. Alors, faut-il offrir des jouets industriels ?
Bien évidemment, la réponse est à mesurer. Certains jouets, ou certains moyens de jouer, peuvent avoir des dimensions tout à fait épanouissantes. Tout le matériel de création plastique par exemple, si tant est qu’il échappe aux normes de genre qui le canaliserait trop. Certains accessoires de jeux physiques font consensus dans le monde, comme les balles, les ficelles et autres élastiques. Mais certains jeux très demandés sont à aborder avec du recul. Ainsi, prenons deux exemples : les jeux à collections et les licences.

Les jeux à collections sont les jeux qui supposent des paris, des compétitions, des échanges, et qui visent à l’accumulation, parfois sélective. Aujourd’hui, cela sera le cas des cartes Pokemon par exemple, mais cela a été depuis longtemps aussi les billes, les images, ou, pour celles et ceux qui s’en rappellent encore, les Pogs ! Fondés sur une dimension de classe (les éléments de base étant eux-mêmes hiérarchisés et coûteux), ils divisent les groupes des enfants, favorisent l’isolement des plus défavorisés, stimulent la compétition et l’avarice, tout comme le vol et les violences. La dimension créative et narrative est très faible dans ces jeux, qui se limitent en général à des jeux d’adresse ou de bataille. Pour les plus connus, ils sont l’objet de féroces campagnes de publicités, car ils peuvent constituer pendant quelques années une manne considérable pour les éditeurs. Ils sont d’ailleurs souvent liés à la question des licences.

Les licences sont des déclinaisons de jeux et jouets sur une marque déposée, très populaire auprès des enfants. à peu près n’importe quel jouet peut être estampillé des couleurs et du logo d’une licence (n’importe quel objet en réalité : on aura ainsi un vélo Reine des neiges ou une montre Star Wars…). Or la tentation est souvent grande d’offrir des jeux dits d’imagination (de type déguisements, poupées, Playmobil, Lego…) associés à des identités familières – d’autant que la demande est forte de la part des enfants eux/elles-mêmes. Mais c’est leur fournir un cadre narratif déjà restreint : la trame est déjà là, et même s’il sera toujours possible de broder autour, voire de braconner des fantaisies du type « spin-off » ou « fanfictions », l’histoire de départ est toujours déjà là comme point d’ancrage pour les enfants. Rien à voir donc avec du matériel « neutre » permettant de créer des identités de personnages et des histoires de bout en bout.

Quelques pistes pour laisser les enfants jouer

La date de Noël est souvent très chargée psychologiquement pour les parents qui le fêtent et sont soumis à une injonction consumériste forte : les enfants le ressentent. Couvrir des enfants de cadeaux a plus de sens pour les adultes que pour les enfants, qui sont incapables de s’intéresser à un nombre trop élevé de présents et que tant de sollicitations finissent le plus souvent par énerver. Les cadeaux ouverts dans la mauvaise humeur, en bas de la pile, seront à peine identifiés et le plus souvent laissés de côté par la suite. De plus, les adultes le savent bien, les fêtes comportent toute une signification sociale du don et du contre-don qui surchargent de sens le jouet qu’on offre à l’enfant – qui le sent bien.

D’autant qu’offrir trop de jouets à unE enfant, c’est prendre le risque de surcharger son aire ludique, l’espace dont il/elle a besoin pour choisir et étendre le jeu dont il/elle a besoin à un moment donné. Les enfants ont besoin de temps, de place, et de rangement pour pouvoir effectuer les bons choix – car c’est eux et elles qui ressentent le mieux leurs besoins en développement.
En tant qu’adultes, il peut être difficile de ne pas être dirigiste, de ne pas imposer la « bonne » façon de jouer avec tel ou tel jouet, difficile aussi d’accepter la transgression. Mais c’est précisément le meilleur cadeau que nous pouvons faire aux enfants.
Laissons-les jouer.

Chloé Moindreau