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Espagne : comment Mariano Rajoy pourrait rester à la Moncloa

Espagne international

Lien publiée le 30 décembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(La Tribune) En Espagne, après les élections du 20 décembre, la formation d'un gouvernement semble bloquée. Mais les disputes internes aux Socialistes et la situation catalane pourraient déboucher sur la formation d'une "grande coalition."

Dix jours après les élections générales espagnoles, la situation politique du royaume ibérique semble toujours aussi désespérément sans issue. Les quatre années de pouvoir de Mariano Rajoy ont en effet conduit à une décomposition du système politique. Les deux grands partis traditionnels qui se partageaient plus des trois quarts des votes n'ont obtenu qu'un peu plus de la moitié des suffrages exprimés cette fois : 28,72 % pour le PP du président sortant conservateur du gouvernement et 22,01 % pour les socialistes du PSOE. Parallèlement, deux nouvelles formations ont émergé, à gauche Podemos (20,66 %) et au centre-droit Ciudadanos (C's, 13,93 %), complexifiant encore un jeu politique qui doit aussi prendre en compte l'importance des partis autonomistes en Catalogne et au Pays basque.

De nouvelles élections « inévitables » ?

Au final, le Congrès des députés qui va s'ouvrir le 13 janvier prochain ne dispose d'aucune majorité évidente. Selon l'article 99-3 de la Constitution espagnole, le président du gouvernement doit obtenir dans les deux mois suivant l'ouverture des Cortès généraux, le parlement, l'appui du Congrès « à la majorité absolue de ses membres », puis à la « majorité simple. » Faute de quoi, le parlement sera dissout et il faudra procéder à « de nouvelles élections. » Le président de la Communauté valencienne, le socialiste Ximo Puig, a estimé ce mercredi 30 décembre dans El País que nouvelles élections semblaient « inévitables. »

L'impossible majorité du centre-droit

Pourquoi ? L'arithmétique est redoutable et atteindre 176 sièges - cette fameuse majorité absolue du Congrès - semble relever de la gageure. Mais obtenir une majorité relative ne sera pas plus simple. Le PP dispose d'un contingent de 128 députés. Mais l'alliance de centre-droit avec Ciudadanos que beaucoup d'observateurs internationaux attendaient avant le scrutin est minoritaire : le parti d'Albert Rivera ne dispose en effet que de 40 sièges, soit bien moins que ce que lui promettait les sondages. Avec 168 sièges, cette alliance ne dispose donc pas de la majorité absolue. Elle n'est pas, du reste, aussi évidente qu'on le croit, car il existe des barrières programmatiques et personnelles importantes entre les deux partis, Ciudadanos ne souhaitant pas renouveler Mariano Rajoy et voulant une lutte féroce contre une corruption qui a longtemps gangrené le PP.

Mais le centre-droit pourrait-elle compter sur une majorité relative ? C'est peu probable. La présence du PP mobilise la gauche, soit 161 sièges, et celle de Ciudadanos, très centraliste, mobilise les autonomistes et indépendantistes. Un rejet commun de la gauche et des indépendantistes catalans et basques (19 sièges en tout) ne permettrait pas à cette alliance d'obtenir le feu vert prévu par la constitution, même avec l'alliance des autonomistes centristes du Parti national basque (PNV) qui dispose de 6 sièges. Bref, cette option semble être une impasse.

Le pari de Podemos

A gauche, la constitution d'une alliance n'est pas davantage possible. Avec 90 sièges, le PSOE a subi une nouvelle défaite électorale lourde. En revanche, Podemos et ses alliés régionaux ont acquis 69 sièges. Ces deux partis sont avec 159 sièges - et même en ajoutant les deux sièges de la Gauche Unie - loin de la majorité absolue. La gauche ne dispose pas davantage de la majorité relative à elle seule puisqu'elle compte sept députés de moins que le centre-droit.  La seule chance de la gauche de gouverner est donc de le faire avec l'appui des nationalistes. Les deux formations indépendantistes catalanes ERC et DL comptent 17 sièges. Si la gauche s'alliait avec eux, on pourrait atteindre les fameux 176 sièges nécessaires.

Le leader de Podemos, Pablo Iglesias, l'a compris. Il a ainsi décidé la semaine dernière de faire de l'idée de référendums d'autodétermination régionaux une "ligne rouge" pour sa participation au gouvernement. Son calcul était alors triple. D'abord, cette idée permettait de renforcer les liens entre Podemos et ses alliés en Catalogne, en pays valencien et en Galice, qui sont favorables à ces référendums. Ensuite, elle permet de regrouper les indépendantistes catalans et basques autour d'une majorité PSOE-Podemos et de réaliser, comme au Portugal, l'expulsion de la droite du pouvoir. Enfin, Pablo Iglesias peut espérer que les unionistes dont il fait partie gagnent le référendum catalan comme en Ecosse en septembre 2014, ce qui renforcerait la position de Podemos en Catalogne au détriment de la gauche indépendantiste.

L'impossible alliance à gauche

Ce calcul a cependant échoué. Car le PSOE n'entend pas jouer le risque d'un référendum. La campagne socialiste a été très unioniste et le candidat du PSOE, Pedro Sánchez, est menacé au sein du parti par Susana Díaz, la présidente de l'Andalousie, très attachée au système institutionnel actuel qui est favorable à cette région. Le PSOE a donc posé comme condition de toute alliance le rejet de tout référendum d'autodétermination, tuant ainsi toute possibilité d'alliance à gauche. Logiquement, en début de semaine, Podemos a donc annoncé qu'il ne soutiendrait aucun gouvernement au Congrès, enterrant toute possibilité de scénario "à la portugaise" en Espagne.

Le rêve de Mariano Rajoy

La seule option restante est celle d'une grande alliance regroupant PP et PSOE, voire PSOE, PP et Ciudadanos. Ou bien une abstention du PSOE permettant la validation par le congrès d'un gouvernement minoritaire PP-Ciudadanos. Une large coalition dispose de la préférence de Mariano Rajoy qui, lors de sa conférence de presse du 29 décembre a indiqué qu'il souhaitait demeurer à la Moncloa, le Matignon espagnol, à la tête d'une majorité disposant « d'un appui large permettant de gouverner et de créer de la confiance en Espagne et à l'étranger. » Il a tracé les lignes du programme d'une telle alliance : la défense « de l'unité de l'Espagne, de l'égalité entre les Espagnols, de la place de l'Espagne dans l'UE, de la consolidation de la reprise économique et de la lutte contre le terrorisme. » Un programme basé sur le rejet de l'indépendantisme catalan et sur le maintien de sa politique économique, donc. Mais un point est certain : Mariano Rajoy veut rester à la présidence du gouvernement, car il revendique la « victoire » le 20 décembre.

Le « non » du PSOE à une grande coalition

Or, le PSOE ne semble pas encore prêt à sauter le pas pour devenir le partenaire minoritaire d'une grande coalition. Pedro Sánchez l'a indiqué dès la semaine dernière. « Le PSOE ne soutiendra pas le PP, car les Espagnols ont voté pour le changement », a-t-il martelé. Pour lui, le danger, c'est la « pasokisation » du PSOE, qui, dans une alliance avec le PP (et encore plus dans une alliance avec le PP et Ciudadanos) serait contraint d'accepter des mesures d'austérité (Bruxelles a fait savoir qu'elle attendait des coupes budgétaires pour 2016). Dès lors, le vote PSOE perdrait de son intérêt et l'hémorragie d'électeurs vers Podemos, déjà patent le 20 décembre, s'accélèrerait encore. Pour céder, Pedro Sánchez devrait obtenir un geste fort, comme le départ de Mariano Rajoy, ce qui est, on l'a vu, peu probable. Dès lors, il préfère encore de nouvelles élections pour attaquer Podemos sur la question de l'unité nationale et renforcer sa position. Voilà pourquoi Ximo Puig table sur un nouveau scrutin.

« Opération Susana »

A moins que Pedro Sánchez ne perde le soutien de son pari en interne. Depuis quelques jours, le PSOE est profondément déchiré. Les « barons » socialistes le contestent en raison de la défaite. Il est vrai qu'ils avaient été contraints de l'accepter comme candidat après une primaire, mais sa défaite du 20 décembre semble l'avoir disqualifié. Les caciques du parti demandent donc la convocation rapide d'un congrès pour destituer Pedro Sánchez. Il se joue là un jeu très serré qui pourrait être menée par Susana Díaz, selon le site politique « Voxpópuli » qui parle « d'opération Susana. »

La présidente andalouse aurait une unique priorité : couper l'élan de l'indépendantisme catalan. L'Andalousie est la région qui profite le plus de la répartition actuelle des moyens entre les régions espagnoles. En tant que région défavorisée, elle a tout à perdre d'une sécession de la Catalogne, une des régions les plus riches du royaume. Susana Díaz serait donc favorable à une alliance des forces unionistes, donc à une coalition PP-PSOE-Ciudadanos.

Une telle alliance serait nécessaire, quelle que soit l'évolution de la situation en Catalogne où l'on peine aussi à former un gouvernement. Si un gouvernement indépendantiste est constitué, une coalition unioniste à Madrid jouera la fermeté pour lui faire abandonner ses prétentions sécessionnistes par tous les moyens, politiques et économiques, possibles. Si la Catalogne, faute de gouvernement, retourne aux urnes en mars, un gouvernement unioniste pourrait être - dans l'esprit de Susana Díaz - un élément dissuasif pour les électeurs catalans.

Le facteur temps

Susana Díaz, représentante de la droite du PSOE, est alliée avec Ciudadanos à Séville. Elle n'a donc aucun problème à construire une « grande coalition. » Mais pour parvenir à ses fins, la présidente andalouse doit effacer l'obstacle Pedro Sánchez. Pour cela, il lui faut obtenir non seulement le soutien des délégués - ce dont elle est persuadée de pouvoir atteindre selon Vox Pópuli - mais convoquer ledit congrès socialiste au bon moment, autrement dit avant les deux mois qui sont permis par la constitution pour former un gouvernement. Pour Susana Díaz, il faut éviter tout vide de pouvoir à Madrid pour ne pas permettre aux indépendantistes catalans d'engager le processus de séparation. La droite du PSOE tente donc d'imposer un congrès avant mars quand Pedro Sánchez évoque avril ou mai. Une fois secrétaire générale du parti, Susana Díaz demandera aux députés socialistes de soutenir Mariano Rajoy à la tête d'un gouvernement PP-Ciudadanos ou, plus probablement de s'abstenir au deuxième tour. L'actuel hôte de la Moncloa resterait donc en place, dirigeant un gouvernement minoritaire mais reposant sur la sauvegarde de « l'unité nationale. »

Le facteur catalan

Si la formation d'un gouvernement en Espagne semble encore lointaine, deux éléments peuvent débloquer le processus : le débat interne au PSOE et la situation en Catalogne. Si, en effet, le 2 janvier, la gauche radicale indépendantiste, la CUP, finit par accepter de soutenir le gouvernement sécessionniste de Barcelone, la pression sera forte sur le PSOE pour répondre par la formation d'un gouvernement à Madrid. Et cela jouera sans doute en faveur de Susana Díaz. Mariano Rajoy peut donc jouer la montre pour espérer imposer sa solution d'une « grande coalition. » Reste à savoir si cette option règlera le problème espagnol ou l'aggravera. Car il s'en suivra une polarisation à grand risque entre Barcelone et Madrid.