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Affaire Kerviel: une magistrate dénonce à son tour une enquête manipulée

Lien publiée le 17 janvier 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

EXCLUSIF Enregistrée à son insu, Chantal de Leiris, vice-procureure au parquet de Paris, déclare que l’enquête sur Kerviel a été « manipulée » par la Société Générale…

​Lire ici: 

http://www.20minutes.fr/societe/1767131-20160117-enregistrement-clandestin-pourrait-faire-basculer-affaire-kervielsociete-generale

EXCLUSIF Ancienne commandante de la Brigade financière, Nathalie Le Roy explique à « 20 Minutes » pourquoi elle rend public un enregistrement clandestin qui pourrait remettre en cause l’affaire Kerviel…

Lire ici:

http://www.20minutes.fr/societe/1767163-20160117-nathalie-roy-seule-pretendre-enquete-kerviel-manipulee

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(Mediapart) « La Société générale savait, savait. C’est évident, évident. » Après la commandante de police Nathalie Le Roy, la magistrate Chantal de Leiris, alors en poste à la section financière du parquet de Paris, confirme dans un enregistrement fait à son insu les dysfonctionnements dans l’affaire Kerviel-Société générale.

Après la commandante de police, la magistrate. Une deuxième enquêtrice dénonce à son tour les dysfonctionnements au sein de la justice dans le dossier Kerviel-Société générale. Dans un témoignage enregistré à son insu, la magistrate Chantal de Leiris, travaillant à la section financière du parquet de Paris et chargée à ce titre du dossier en 2008 et 2012, vient confirmer la déposition faite par la commandante de police Nathalie Le Roy devant le juge d’instruction Roger Le Loire. « La Société générale savait, savait. C’est évident, évident », insiste-t-elle à plusieurs reprises, réfutant ainsi la thèse développée par la banque, qui se présente comme la victime du trader fou Jérôme Kerviel.

Occupant aujourd’hui la fonction de vice-procureur du tribunal de grande instance de Paris, la magistrate avait alors la fonction de substitut du procureur. Elle parle dans son récit d’une enquête menée « à charge », sans expertise sur le montant du préjudice, faite dans une très grande proximité avec les avocats de la Société générale.

Ce récit vient confirmer « les pressions, des ordres venus d’au-dessus, de la hiérarchie » pour classer sans suite, refuser même d’instruire, les plaintes déposées de Jérôme Kerviel, pour ne surtout pas rouvrir le dossier, comme plusieurs témoins l’ont déjà relaté (voir ici). Après le classement sans suite par le parquet, deux plaintes pour escroquerie au jugement et faux et usage de faux ont été déposées à nouveau devant le doyen des juges d’instruction, Roger Le Loire, qui instruit désormais le dossier.

Un épais silence avait vite recouvert la déposition de la commandante de police Nathalie Le Roy, faite devant le juge Le Loire sur les dysfonctionnements de l’enquête dans l’affaire Kerviel et révélée par Mediapart en mai. Depuis, tout a été entrepris pour disqualifier son témoignage, la discréditer personnellement, enterrer au plus vite ses révélations, afin d’éviter une révision du procès, dont la demande doit être plaidée lundi 18 janvier. Un rapport de la brigade financière, révélé par Le Nouvel Obs en octobre, a démenti fermement les propos de la commandante et concluait à l’absence de tout dysfonctionnement et de tout fait nouveau susceptible de relancer le dossier.

Mais que diront-ils après le témoignage de la magistrate Chantal de Leiris ? Le parquet, interrogé avant publication, se refuse pour l'instant à réagir. « À ce stade, il est impossible de faire le moindre commentaire, compte tenu que nous ignorons la teneur de l'enregistrement. Nous relevons quand même le caratère parfaitement déloyal du procédé, qui consiste à enregistrer une personne à son insu. Nous rappelons qu'une instruction judiciaire est en cours sous la conduite du juge Roger Le Loire », nous a indiqué la porte-parole du parquet.

De son côté, Me Jean Veil, un des avocats de la Société générale, s’est refusé lui aussi à tout commentaire, « faute d’éléments suffisants sur ce témoignage » pour étayer sa réponse.

Ce témoignage détonant de plus de 40 minutes — que Mediapart a écouté dans son intégralité mais seuls quelques extraits sont ici reproduits — a été enregistré à l’insu de Chantal de Leiris par Nathalie Le Roy (voir en “boîte noire” de cet article). Très choquée par le traitement de paria que lui a réservé sa hiérarchie après sa déposition, la commandante de police a décidé de comprendre ce qui lui arrivait. Elle s’est notamment rapprochée de la magistrate du parquet, qui, à plusieurs reprises, lui avait laissé entendre son étonnement et ses doutes sur la façon dont avait été conduit le dossier Kerviel-Société générale. Une première rencontre entre les deux femmes a eu lieu en juin dernier dans un café. Une seconde s’est tenue en septembre au cours de laquelle la magistrate a confirmé tous ses propos.

La commandante de police souhaitait surtout comprendre les raisons pour lesquelles on cherchait à la décrédibiliser. Qui était à la manœuvre. Elle enregistre pour se protéger, au cas où. Mais de façon étonnante, sans que Nathalie Le Roy ne sollicite ses réponses, la magistrate va beaucoup plus loin, s'épanche et lui raconte les grands et les petits secrets de l’instruction, les coulisses du parquet, la proximité entre certains avocats et le ministère public dans le dossier.

Pendant longtemps, Nathalie Le Roy a choisi de garder secret cet enregistrement, tout en l’envoyant à l’avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi, pour se protéger. Mais après la diffusion, le 14 janvier, de l'émission Complément d’enquête (France 2) sur l’affaire Kerviel, elle s’est décidée à le révéler publiquement. « Quand j’ai entendu, lors de l’émission, la façon dont les responsables de la Société générale décrédibilisaient mon témoignage et tous les autres témoins, je me suis dit que cela n’allait pas s’arrêter là, qu’ils continueraient l’entreprise de déstabilisation à mon encontre. Ma hiérarchie, qui pendant 23 ans appréciait mon travail, pose le discrédit sur mon travail, mon enquête, ma personne depuis ma déposition. L’enquête n’avance pas. Je suis toute seule », explique-t-elle. 

L'avocat de Kerviel, Me David Koubbi, assume lui aussi cette publication. « Auprès de qui puis-je dénoncer les dysfonctionnements dans ce dossier, si ce n’est dans la presse ? Auprès du parquet ? Mais ce récit confirme ce que nous soupçonnions depuis longtemps, qu’il existe de graves dysfonctionnements au sein du ministère public. Même à l’Élysée, il m’avait été conseillé en 2014 [au moment de l’emprisonnement de Jérôme Kerviel à son retour d’Italie, ndlr], que si les dysfonctionnements que je dénonçais étaient réels, de le faire savoir par la presse. Je suis le conseil... »

Lors du rendez-vous entre les deux enquêtrices en juin, la magistrate confirme d’emblée à la commandante de police que la hiérarchie s’est concertée pour discréditer sa déposition devant le juge d’instruction. Dès le lundi suivant la publication de Mediapart (l’article paraît le dimanche 17 mai), MM. L. et C., deux responsables de la brigade financière, sont dans les locaux du parquet. Tous se retrouvent pour mettre au point la riposte, d’après son récit. L’entreprise de démolition du témoignage commence. La magistrate rapporte la ligne de défense adoptée alors par les responsables pour se dédouaner face à la hiérarchie : « De toute façon, depuis son AVC, elle a des trous de mémoire », expliquent les responsables de la brigade financière. « J’étais scandalisée », poursuit Chantal de Leiris. Interrogé sur la réalité de cette réunion, et pour savoir si de telles rencontres étaient dans les usages, le parquet n'a pas répondu. « Je suis incapable de vous répondre », a indiqué la porte-parole du parquet.

Ces explications ont été répétées par sa hiérarchie, le parquet et même par les avocats de la Société générale, dans tout l’appareil d’État jusqu’au sommet, et à qui voulait l’entendre au-dehors. Tout a été mis en œuvre pour enterrer cette déposition si gênante. Dans le même temps, la commandante de police, aujourd’hui en détachement, se voyait interdire de revenir dans les locaux de la brigade financière, de source policière. Puis elle a commencé à recevoir des coups de téléphone anonymes de menace sur son portable et à son domicile, la prévenant : « Vous allez avoir des ennuis. »

C’est sans doute la façon dont l’administration, placée sous le contrôle de l’exécutif faut-il le rappeler, imagine de mettre en œuvre la protection des lanceurs d’alerte, maintes fois promise par le gouvernement. À la suite de ses révélations, plusieurs parlementaires avaient pourtant insisté auprès du gouvernement pour que la commandante de police obtienne toutes les garanties de protection d’un « témoin majeur ».

« Vous étiez entièrement manipulée par la Société générale »

Mais la magistrate poursuit et donne de plus en plus de détails. Elle lui confirme les doutes qu’avait pu avoir Nathalie Le Roy dans son enquête. « J’ai eu le sentiment d’avoir été instrumentalisée par la Société générale », avait confié l’enquêtrice de la brigade financière au juge Roger Le Loire.« C’est vrai ce que vous dites dans la première affaire qui avait éclaté, c’est que vous étiez entièrement manipulée par la Société générale », lui signifie la magistrate. Des observateurs avaient rapporté au parquet que la commandante de police, alors ignorante des affaires boursières et bancaires, ne savait pas où aller, où chercher. Le ministère public est donc prévenu dès le début de l’enquête que l’enquêtrice ne maîtrise pas les techniques financières, que la Société générale tire toutes les ficelles de l’enquête, et il ne s’en émeut pas.

« Mais de toute façon, dans cette affaire, il y avait des choses en effet qui ne sont pas normales. Quand vous en parlez, tous les gens qui sont un peu dans la finance, ils rigolent, sachant très bien que la Société générale savait. (…) La Société générale savait, savait, c’est évident, évident  (…) Et alors, c’est vrai que sur le montant du préjudice, les quatre milliards et quelques [4,9 milliards d’euros, ndlr], y a aucune expertise, y a rien », poursuit Chantal de Leiris.

Si la magistrate a eu des doutes au cours de la première enquête en 2008 sur l'unique culpabilité de Jérôme Kerviel dans ce dossier, elle semble en avoir eu encore plus en 2012, à la suite du dépôt de deux plaintes par l’avocat du trader pour « escroquerie au jugement » et pour « faux et usage de faux ». Lors de l’instruction de ces plaintes par le parquet, de nouveaux faits, de nouveaux témoignages apparaissent. La magistrate découvre que les scellés, constitués dès le début de l’enquête, n’ont jamais été ouverts lors de l’instruction ou pendant les procès. Des témoins parlent de destruction de messages internes, demandée par des responsables de la banque. Une expertise souligne les curieux blancs — près de trois heures ont disparu — qui existent sur les bandes censées avoir enregistré l’ensemble des conversations entre Jérôme Kerviel et sa hiérarchie lors du week-end de janvier où tout fut découvert. Face à ces découvertes, l’ouverture d’une nouvelle enquête, des expertises nouvelles auraient dû être demandées.

Mais le parquet semble ne rien vouloir entendre. Chantal de Leiris raconte avec de nombreux détails la vie alors au parquet, avec des récits parfois très sombres, graves même — qui ne sont pas évoqués ici car ils ne concernent pas directement l’affaire Kerviel-Société générale. Elle décrit des responsables « sous la coupe des avocats de la Société générale ». Des avocats qui semblent avoir entrée libre au sein du ministère public, pour prendre connaissance de ce dossier, parmi d’autres, pour se tenir au courant des moindres évolutions, pour avancer leurs arguments auprès du ministère public. 

Elle revient sur l’enquête de 2012. « C’était surtout Michel Maes [alors chef de la section financière du parquet, vice-procureur du TGI de Paris, ndlr], sans arrêt il me disait : “Tu ne vas pas mettre en porte-à-faux, en défaut la Société générale. Ça a été jugé, t’as pas à y revenir. C’est eux qui ont voulu à tout prix sabrer et faire revenir [terminer l’enquête et faire revenir le dossier au parquet, ndlr]” », raconte-t-elle à la commandante de police, qui conduisait alors l’enquête à la brigade financière et qui, elle aussi, avait commencé à avoir de sérieux doutes en rouvrant le dossier. « On vous a demandé d’être à charge, pas à décharge », lui aurait recommandé Michel Maes. 

Dans une note blanche destinée à ses supérieurs, faisant le point sur les plaintes et les différents points découverts lors de la nouvelle enquête et les auditions, Chantal de Leiris soulignait par exemple les différences entre les deux expertises sur les bandes d’enregistrement, l’une faite par la défense de Jérôme Kerviel, l’autre pour le compte de la Société générale, ou les avis différents sur la possible destruction de mails au sein de la banque. Ce qui normalement aurait dû conduire le parquet à mandater ses propres experts pour faire la lumière sur ces divers points.

Mais les deux plaintes seront prestement classées sans suite par le parquet. Chantal de Leiris revient sur cet ordre de classement, donné par sa hiérarchie, qu’elle a suivi mais qu’elle n’a toujours pas accepté. « C’est vrai, moi, j’ai toujours obéi. Il fallait faire un non-lieu ab initio [classement sans suite, ndlr]. Moi, j’ai dit “oui” sans arrêt. Mais ils savent bien que je n’étais pas favorable à tout ça », explique-t-elle à l’enquêtrice à plusieurs reprises.

Quels arguments vont-ils avancer cette fois pour disqualifier ce récit ? Bien sûr, les mis en cause vont longuement dénoncer le procédé « déloyal » de l’enregistrement caché, pour mieux en occulter le fond. Il convient pourtant de s'interroger sur les raisons qui poussent à utiliser de tels procédés. Ce dossier est marqué par de tels dysfonctionnements depuis le départ, qu'il amène à des pratiques illégales, face à un appareil judiciaire qui refuse d'entendre le moindre argument qui ne conforte pas sa thèse. 

  • Est-ce loyal de n'ouvrir aucun scellé pendant l'enquête et après ?
  • Est-ce loyal de refuser toutes les expertises sur les pertes de la Société générale, alors que l'État lui a consenti 2 milliards d'euros de crédit d'impôt, aussitôt reversés aux actionnaires ?
  • Est-ce loyal de refuser d'entendre les témoins ? 
  • Est-ce loyal d'accepter à la barre du tribunal qu'un témoin dise qu'il ne peut parler sous peine d'avoir à rendre de l'argent ? 
  • Est-ce loyal de décrédibiliser la commandante de police, de ruiner sa carrière, de la menacer parce qu'elle a osé faire part de ses doutes et de ses interrogations devant un juge d'instruction ? 

Et sur les propos de la parquetière, que diront-ils ? Que la magistrate est elle aussi malade, qu'elle a des trous de mémoire, qu’elle ne connaît pas le dossier ou qu’elle a tenu ces propos par empathie avec la commandante de police mais ne pensait pas ce qu’elle disait ? Mais tout cela ne suffit pas à faire oublier son récit de l’intérieur de la machine judiciaire et le sentiment d’être en présence dans ce dossier d’une de ces collusions à la française, marquées par le renoncement de la justice devant les puissances d’argent.