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Racisme et antisémitisme : malaise au JDD après un étrange sondage

Lien publiée le 2 février 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Libération) Une enquête de l'Ipsos publiée par l’hebdomadaire a déclenché une polémique. En cause : la formulation très contestable de certaines questions.

Petit manuel de crispation identitaire en trois étapes. Prenez la une duJournal du dimanche daté du 31 janvier, titrée ainsi : «L’enquête qui inquiète : antisémitisme et peur de l’islam au cœur d’une étude Ipsos». Ajoutez quelques tableaux sur les préjugés, les juifs, les musulmans. Mélangez le tout, et vous aurez les ingrédients pour une baston sur les réseaux sociaux, incarnée par ce hashtag «SondeCommeLeJDD».

L’enquête, publiée par l’hebdomadaire, a été commandée à l’Ipsos par la Fondation du judaïsme français, une organisation reconnue d’utilité publique créée en 1974. La méthodologie est inhabituelle : elle se fonde sur trois panels (grand public, personnes se déclarant juives et musulmanes), interrogés entre juillet 2014 et juin 2015. L’objectif, au départ, était de mettre en évidence la perception des juifs et des autres minorités par la population française dans son ensemble. Autre souhait :«Montrer le degré d’angoisse des juifs de France», comme l’explique Brice Teinturier, le directeur général délégué d’Ipsos.

Au fur et à mesure, le champ d’investigation de l’institut s’élargit, pour s’intéresser également à la population «musulmane». Au risque d’alimenter les clichés et un fort sentiment de stigmatisation. Un écueil dont était d’ailleurs tout à fait conscient Ariel Goldmann, le président de la Fondation du judaïsme français. Interrogé par le JDD, il se défendait :«Cette étude n’est ni accusatrice, ni généraliste […]. Elle est destinée à tous ceux qui veulent combattre les préjugés.» A voir…

Qu’en dit Ipsos ?

Brice Teinturier, le directeur général délégué, balaie tout risque de«stigmatisation». Au contraire, il estime que cette étude est «très importante pour faire ressortir les fantasmes» des Français, leurs«mécanismes d’ouverture et de fermeture» aux autres. «Il faut mesurer les choses pour les combattre et les comprendre», poursuit-il, regrettant la «focalisation» des médias sur «une question» parmi soixante autres.

Cette question, c’est celle qui interroge les sondés sur les «problèmes (comportements agressifs, insultes, agressions)» qu’ils ont«personnellement rencontré» avec différents groupes au cours de l’année. Les catégories, proposées par Ipsos, sont les suivantes : personnes d’origine maghrébine, Roms, de confession musulmane, d’origine africaine, de confession catholique, de confession juive, d’origine asiatique. Les réponses positives vont, dans l’ordre, de 29% (pour les Maghrébins) à 2% (pour les Asiatiques).

Outre son flou autour de la notion de «problèmes», la question fait fi des altercations qui auraient pu avoir lieu avec un individu, mais sans que son origine soit forcément en cause. Quid, par exemple, d’insultes échangées avec un chauffeur de taxi «d’origine maghrébine» ? Est-il d’abord chauffeur de taxi ou d’abord Maghrébin ? Teinturier assume :«On pointe des perceptions, pas forcément un phénomène objectif. Cela dit des choses sur ce que ressentent les Français.»

La question provoque également le malaise en raison de l’absence d’une catégorie pour les personnes «blanches». Pour l’Ipsos, il semble que la «confession catholique» suffise à les représenter. Ce qui suscite plusieurs interrogations. Comment «repérer» un individu catholique ? Un Noir ne peut-il être catholique ? Enfin, le sondé qui rencontrerait des «problèmes» avec une personne blanche, sans signe visible de religiosité, n’aurait pas la possibilité d’en rendre compte. Pour Teinturier, encore une fois, c’est voulu : «Il s’agit de mettre en évidence les tensions à l’égard des minorités.»

A ses yeux, il n’y a dans le travail de son institut aucune volonté de grossir le trait des tensions communautaires. Pourtant, la présentation de certains chiffres laisse songeur. Ainsi de cette page titrée «Chez les musulmans, un rejet fort de l’homosexualité, de l’athéisme et de l’exogamie». Si 74% des musulmans interrogés disent qu’ils réagiraient«mal» en cas de mariage d’un de leurs enfants avec une personne de même sexe, la proportion n’est pas aussi forte pour une union avec un ou une athée (48 et 46% de réactions négatives). On pourrait même noter que 71% des musulmans réagiraient bien si leur fils épousait une catholique. Une tolérance que ne partage pas l’ensemble de la population française : 56% des personnes interrogées auraient une réaction négative si leur fille épousait un musulman.

«Il n’y a pas que du rejet dans cette étude», précise Brice Teinturier, qui veut croire qu’une partie des réactions négatives exprimées ce week-end viennent en réalité d’un «sentiment respectable» «C’est l’idée selon laquelle mesurer les réactions de rejet renforcerait les tensions dans la société.»

Comment a-t-on réagi au sein de l’hebdomadaire ?

Le lundi au JDD, ce n’est pas repos, mais presque : le début de la semaine débute le mardi à 11 heures avec la conférence de rédaction. Alors le Web fait tourner, seul, la boutique. Difficile de prendre la température après la parution du sondage. On note que certains collègues, gênés, l’ont remarqué avant la parution. Un journaliste en colère : «Certains ont commencé à tiquer vendredi. Mais j’ai l’impression que les chefs du print [l’édition papier, ndlr] n’ont pas réellement pris conscience du problème.» Puis : «On n’a eu aucune nouvelles d’eux depuis la publication. Et comme ils ne bossent pas dimanche et lundi, on verra mardi ce qu’ils en disent à la conférence de rédaction.»

Un autre confirme et ajoute : «Ce n’est pas surprenant de la part de la direction, elle décide seule sans consulter l’équipe et n’admet jamais ses erreurs. Et le comble, on n’a pas de société des rédacteurs pour nous couvrir, elle est en réorganisation.»

De son côté, la direction assume. Patrice Trapier, directeur adjoint de la rédaction, argumente : «C’est un sujet très sensible et on n’aurait jamais publié cette enquête sans la garantie de l’Ipsos, un institut sérieux, et la caution des chercheurs. On n’avait aucune arrière-pensée, on voulait montrer les préjugés.» Il ajoute : «En interne, ça a discuté, mais tout a été fait très en transparence. Certains résultats de l’étude ne font pas plaisir, mais c’est surtout la communauté journalistique qui a réagi sur Twitter. Pour moi, il n’y a pas eu d’erreur du JDD.»