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Témoignage : à la Cinémathèque, j’étais juste un robot

Lien publiée le 9 février 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Salaire de misère, toilettes bouchées, tyrannie: à la Cinémathèque, j'étais juste un robot

Par Gaëlle M.

Étudiante en Art

Pendant quatre ans, Gaëlle a été hôtesse dans des musées parisiens et plus particulièrement pour la Cinémathèque française. Payée au lance-pierre, multipliant les CDD de quelques jours, l'étudiante en art ne pensait pas qu'un tel mépris était possible. Après la diffusion d'une lettre ouverte d'une ancienne employée de l'institution, elle a choisi de témoigner elle aussi.

Avec l'exposition Tim Burton en 2012, nous étions davantage surveillés. (PMG/SIPA)

En 2009, j'ai commencé mes études de cinéma, puis j’ai intégré l’École nationale supérieure des beaux-arts de Bourges.

Dans le même temps, il me fallait financer mes études. J'ai donc cherché en toute logique du travail dans les institutions culturelles qui me semblaient "proches" de mes études.


J'ai travaillé quatre ans pour la société City One, une boîte de prestation pour agent d’accueil au sein de structures culturelles, d’entreprises prestataires ou d’événementiel.

J'ai longtemps cru que mon expérience était assez classique. Maintenant, avec du recul je regrette de ne pas avoir agi sur le moment, mais je suis heureuse aujourd’hui, grâce à la lettre ouverte d'une collègue, d’avoir la possibilité de parler, pour que d’autres étudiants ou simple salariés qui auront à faire à ces sociétés puissent travailler dans des meilleures conditions.

Des CDD à la journée et des pauses courtes

Entre mes 19 ans et mes 23 ans, j’ai été hôtesse d’accueil et de caisse pour une entreprise et trois musées différents : l’Institut du monde arabe – à l’époque où sa sous-traitance était encore gérée par City One –, le Musée de la Poste et la Cinémathèque française.

Concernant les musées, je n’ai eu que des CDD courts, c'est-à-dire des week-ends ou des journées uniquement. Si je travaillais le samedi et dimanche, j’avais un contrat CDD pour deux jours et si je ne travaillais qu’un des deux jours, j’avais un contrat pour la journée. Le planning nous était envoyé la semaine précédente, après avoir envoyé mes disponibilités à la chargée d’exploitation.

Mes horaires n’étaient jamais les mêmes. Je pouvais faire 6 heures d’affilées sans pause ou de 14h30 à 22h avec 2h30 de pause pour 5H15 travaillés ou encore 8 heures avec 30 minutes de pause. 

Le salaire était au Smic – soit à l’époque 9,22 euros brut l’heure de travail – avec normalement la prime de précarité. Pas grand-chose en somme.

3,45 euros pour manger à côté de WC bouché


J’ai donc fait mes premiers pas avec City One dans le monde du travail. Un monde dans lequel j’ai découvert que les relations et les valeurs humaines n’étaient pas importantes.

Le premier poste que j’ai occupé pour eux fut en entreprise. J’avais 19 ans et ma chef d’équipe me harcelait moralement. J’avais le droit à des remarques humiliantes devant mes autres collègues. Je me suis plainte à l’agence. Les humiliations sont devenues encore plus insoutenables.

Finalement, ma chef a été transférée à un poste au sein de l’agence City One et je n’ai plus jamais eu de nouvelle. Un monde où le travail se faisait au minimum, voire en dessous des législations légales.


Pas de tickets-restaurants, pas de cantine, mais un panier repas. 3,45 euros sur ma fiche de salaire par journée travaillée – et cela, quand il n’y avait pas d’oubli – pour déjeuner dans les musées du 12e, 15e et 5e arrondissement, c'est peu.


À la Cinémathèque française, une salle de repos nous était réservée, au sous-sol du bâtiment, sans fenêtre, avec un frigidaire et un micro-onde pas entretenus. En face, les toilettes du personnel constamment bouchées. Alors, si la chance d’avoir une pause-déjeuner de plus de 30 minutes me permettait de prendre mon temps pour manger, il valait mieux qu’il fasse beau pour que je puisse m’installer dans le parc de Bercy.

Avec l'exposition Tim Burton, nous avons été surveillés de près


L’exposition Tim Burton, premier grand succès pour la Cinémathèque, a eu l’effet de révéler le pire de nos supérieurs internes. La pression est montée d’un cran, la Cinémathèque n’ayant pas l’habitude de gérer une foule considérable. Il y avait parfois jusqu'à 4 heures d’attente pour avoir accès à l’exposition.

Nous étions désormais surveillés de beaucoup plus près. Les grandes sommes d’argent désormais dans nos caisses y étaient pour quelque chose. Les chargés de billetteries, employés de la Cinémathèque, restaient derrière nous en caisse, en accueil ou même en aiguillage. Il fallait s’assurer que nous ne parlions pas entre nous et que notre cadence soit bonne en vue de la foule présente.

Il ne fallait faire aucune erreur de caisse sous menace de voir nos contrats s’arrêter net ou d’être relayé à l’accueil du musée de la Cinémathèque, ce qui voulait dire jusqu'à 5 heures d’affilées dans une pièce pratiquement plongée dans le noir.

Certains contractuels n’ont pas supporté la pression et la fatigue et ont abandonné. La menace d’une punition planait au-dessous de nos têtes, à chaque instant.

Au dernier jour de l’exposition, nous n’avons eu aucun remerciement de la Cinémathèque ni aucune prime comme promis par City One

"On verra à la rentrée."

Des remarques racistes et beaucoup de mépris


En travaillant un an tous les week-ends au sein de la Cinémathèque, j’ai eu l’occasion de saluer Alain Cavalier ou encore Nanni Moretti qui venaient pour présenter une séance, une rétrospective. Jamais je n’ai eu l’occasion de serrer la main de Monsieur Toubiana. 


Le mépris était clair, nous devions être là pour faire notre boulot, mal payés, dans des conditions bancales et le tout en souriant.


Sans parler des remarques racistes de certains de nos supérieurs :

"L’équipe de Kubrick piquait dans la caisse, comme c’était beaucoup d’Arabes..."

Il n’était pas rare également de voir mes collègues féminines pleurer, et cela à cause du harcèlement d’un supérieur masculin. Je n’en étais pas victime.


Notre supérieure chargée de la billetterie – lui aussi embauché par la Cinémathèque – assumait le mépris qu’elle éprouvait pour chacun d’entre nous. Jamais elle ne jugeait nécessaire de nous dire "bonjour". Jamais elle ne nous a félicités. Si quelque chose n’allait pas elle ne prenait pas la peine de venir nous voir, mais appelait nos chefs.

Il ne fallait surtout pas nous parler, puisque nous n’étions de toute manière pas des êtres humains

Et puis, le "petit Mussolini" est arrivé


En septembre 2012, on nous a présenté notre nouvelle chargée d’exploitation. D'elle-même, elle s'est qualifiée de "petit Mussolini".

À partir de là, le semblant de confiance que nous pouvions avoir avec l’ancienne chargée d’exploitation s'est rompu. Cette année-là, je ne pouvais travailler que pour les vacances scolaires à cause de mes études. Mais notre nouvelle chargée d’exploitation n’en a pas tenu pas rigueur. J'ai été obligée de supplier pour travailler quelques jours pendants les vacances de Noël et au printemps 2013.

On m'avait promis que je travaillerais en 35h durant l'été, mais pas forcément pour la Cinémathèque, j’ai accepté. Mais à ma grande surprise, en juin, on m'a proposé un contrat de 4 heures par jour au sein du Musée de la Poste.

Je ne pouvais pas faire plus d’heures puisque ma collègue de l’après-midi faisait 4 heures également, ce qui a permis à l’agence de ne pas avoir à payer le panier repas. C’était une économie pour eux. 

Je devais être un robot et me taire


Après cette dernière expérience qui m'a confirmé que l’humain n’était pas considéré du tout, qu’il fallait juste être un robot pour assurer l’accueil de n’importe quel lieu culturel, j’ai arrêté de travailler pour City One et pour des musées en sous-traitance.


Tout au long de mes expériences, j’ai rencontré d’innombrables personnes en procès au Prud’homme avec l’agence, et je crois que sur internet les témoignages de manquent pas.

Je sais maintenant que les sociétés en sous-traitante doivent faire un maximum d’économies pour garder leur clients (musées, entreprises, etc.) et ce au détriment des conditions de travail et des valeurs humaines.

Je croyais que c'était "normal"

Je finance mes études depuis mes 19 ans. Je ne pouvais pas me permettre de perdre mon travail sous peine de ne pas pouvoir payer mon loyer.

Mon père m’avait souvent rabâché que le monde du travail n’était jamais dans l’intérêt de l’employé. Je n’ai pas porté plainte parce que c’était ma première expérience professionnelle et avant d’arriver dans un autre musée – qui lui n’est pas en sous-traitance–, je pensais que ces conditions étaient "normales". 

Mais non, définitivement, elles ne l'étaient pas.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1479585-salaire-de-misere-toilettes-bouchees-tyrannie-a-la-cinematheque-j-etais-juste-un-robot.html?xtor=RSS-25