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La France, malade d’antitsiganisme?

Lien publiée le 18 février 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20160217.OBS4859/la-france-malade-d-antitsiganisme.html?xtor=RSS-13

Le commissaire européen des droits de l'Homme a dénoncé un "climat d'antitsiganisme qui existe de longue date en France". De quoi parle-t-il ?

Dans une lettre adressée au ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, le 26 janvier 2016, le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe dénonce les expulsions de familles de Roms sans solution de relogement, ainsi qu'un "climat d'antitsiganisme qui existe de longue date en France". Pour illustrer son propos, Nils Muiznieks donne des exemples piochés dans l'actualité récente :

  • proposition de création d'une navette spécialepour les Roms, formulée par un syndicat de chauffeurs de bus de Montpellier ;
  • délogement d'une famille Rom sous les insultesde riverains à Saint-Martin-d'Hères ; 
  • actes de vandalisme subis par le cirque Romanès lors de son séjour dans le XVIe arrondissement de Paris.

Ce n'est pas la première fois que la France est épinglée sur ce sujet. Mais qu'est-ce qu'exactement "l'antitsiganisme" ? Et quelles sont ses caractéristiques en France ?

Qu'est-ce que "l'antitsiganisme" ?

C'est en octobre 2005 que le mot "antitsiganisme" est entériné au niveau international à la faveur des "Conférences internationales sur les Roms, Sintés et gens du voyage de l'Union européenne". En anglais, il est souvent traduit par "anti-Gypsyism". On peut également trouver les mot de "romaphobie" et de "tsiganophobie", qui veulent dire la même chose. Pour le Conseil de l'Europe qui adopte ce vocable, il s'agit d'une "forme spécifique de racisme, une idéologie basée sur la supériorité raciale, une forme de déshumanisation et de racisme institutionnel alimenté par une discrimination historique", et dont les spécificités sont : 

  • des préjugés persistants aussi bien sur le plan historique que géographique ;
  • un racisme systématique ;
  • de fréquents actes violents. 

Ce racisme englobe ce que la communauté européenne a décidé d'appeler les Roms (avant c'était les Tsiganes). Le Conseil de l'Europe les divise en trois grandes familles : les Roms, les Sintés (ou Manouches), les Kalés (ou Gitans). 

En France, les Tsiganes désignent toujours les Roms, les Gitans et les Manouche. Grégoire Cousin, attaché de recherche à la Maison des sciences de l'Homme de Paris, auprès du projet Migr Rom, explique :

L'antitsiganisme est un racisme qui est assez proche de l'antisémitisme au sens où c'est un racisme envers soi-même."

"C'est un des seuls racismes européens qui concerne des Européens, des gens avec qui nous vivons depuis plus de 1.000 ans, alors que la plupart des racismes concernent les personnes qui ont un rapport avec les anciens empires coloniaux."

L'antitsiganisme concerne certes des publics différents, selon leur pays d'origine, mais qui ont en commun d'être rejetés par la société majoritaire. Les Tsiganes sont les "autres", par rapport à "nous", résume Leonardo Piasere, anthropologue à l'EHESS. Ainsi en Italie, ils sont vus comme un bloc unique, étiquetés dans les documents officiels comme "nomades", et considérés à part des Italiens et des étrangers.

Roms et gens du voyage

En France, une distinction est opérée entre les Roms, migrants de nationalité étrangère et les gens du voyage de nationalité française avec un statut administratif bien défini.

Les Roms correspondent à une immigration classique, paysanne ou ouvrière, majoritairement roumaine mais aussi bulgare, polonaise et tchécoslovaque, essentiellement rurale. Et non nomade. Henriette Asséo, historienne à l'EHESS, spécialiste du peuple tzigane en Europe, les caractérise ainsi :

Cette population a été stigmatisée car elle n'a pas pu accéder aux formes normales de l'immigration en terme d'accès à l'emploi et de scolarisation. Cela s'est traduit par la création de bidonvilles bien visibles."

Les gens du voyage, eux, sont une "exception française", selon Henriette Asséo. Quelles que soient leurs caractéristiques anthropologiques, ce sont des Français qui exercent un métier itinérant et qui n'ont pas les mêmes droits que les autres citoyens. La loi de 1912, modifiée en 1963, puis légèrement en 2012, régit les droits des gens du voyage, longtemps appelés "nomades". Ce n'est qu'en 2012, qu'a été supprimée l'obligation de détenir un carnet anthropométrique, où était consignés le profil physique de la personne et tous ses déplacements.

Reste que les gens du voyage doivent encore être munis d'un livret de circulation qu'ils doivent faire valider tous les ans. Autrement dit, ce sont des citoyens soumis à une législation d'exception. Et ce, même quand des familles ne voyagent plus. Grégoire Cousin :

Ce système a enfermé les gens du voyage dans la mobilité, tant est si bien que l'antitsiganisme français est en fait devenu un 'antinomadisme'."

Pour Henriette Asséo, on ne peut pas et on ne devrait pas associer les deux types de population :

Ce jeu qui consiste à confondre les deux est une opération d''ethnicisation' qui crée une catégorie artificielle, qui n'existe pas."

Elle regrette : "Ce groupe devient le bouc-émissaire absolu, il n'y a aucun rapport de force : les Etats dont ils sont les ressortissants historiques font semblant de les considérer comme n'appartenant pas à leur communauté, et ne les défendent pas. Leurs pays d'accueil font semblant de ne pas les considérer comme des migrants normaux. Et l'Europe fait semblant de considérer qu'il s'agit d'une ethnie particulière".

Y a-t-il un "antistiganisme  français" ?

Dans ce contexte, où en est l'antitsiganisme en France ? Selon Henriette Asséo, les discours sur les Roms ce sont radicalisés à partir des années 2010 et sont depuis "sans cesse réactivés, par tous les partis politiques sans exception, et par toutes les municipalités" : 

C'est le plus petit dénominateur commun lorsque vous essayez de composer avec les clientélismes locaux. Dans la région parisienne en particulier."

Dans son dernier rapport d'activité, publié en 2015, la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'Homme) constate que la population Rom, bien que numériquement faible (entre 15.000 et 20.000 de personnes), est le groupe qui concentre "les préjugés et la haine les plus féroces, les plus tenaces et les plus assumés en France" :

Les populations roms, nouvelles figures du bouc émissaire, sont l'objet de nombreux préjugés qui s'expriment en toute impunité dans l'espace public."

Ainsi, 86% des personnes interrogées jugent que les Roms migrants sont pour la plupart nomades, et ils sont 81% à considérer qu'ils exploitent très souvent leurs enfants. Huit personnes sur dix affirment qu'ils vivent essentiellement de vols et de trafics et qu'ils ne veulent pas s'intégrer en France.

Selon les études effectuées par la CNCDH, les deux groupes qui restent majoritairement perçues comme à part dans la société sont les Roms (82%) et les gens du voyage (80%). En baisse cependant par rapport à 2013.

Lors de son précédent rapport, certaines caractéristiques, malheureusement connues, de ce racisme avaient été mis en avant : 

  • les Roms sont assimilés à de "petits" voleurs, à des mendiants, et à des clochards qui exploiteraient les enfants ;
  • les camps de Roms engendrerait une hausse de la délinquance et de la criminalité dans les communes qui les accueillent ;
  • les Roms profiteraient de la générosité du gouvernement français (aides sociales), et s'enrichiraient dans leur pays d'origine grâce aux aides au retour.

Au total, il est ainsi paradoxalement reproché aux Roms d'être "hors système", tout en "profitant du système".  

L'organisme fait également le constat que certaines dispositions adoptées lors de la circulaire interministérielle du 26 août 2012, qui devait prévoir un accompagnement social dans chaque campement de roms, n'a pas été suivie tout le temps.

La situation des personnes vivant dans des bidonvilles s'est encore détériorée, dans un lien symétrique avec les forts préjugés dont celles-ci font l'objet."

Et selon Grégoire Cousin, l'antitsiganisme à l'égard des Roms déteint sur les gens du voyage...

On assiste a une fusion des différentes formes de rejet. Il n'est pas rare d'entendre des gens dire qu'ils rejettent les gens du voyage pour qui ils n'avaient pas exprimé davantage d'animosité, tout simplement parce qu'ils pensent qu'il y a trop de Roms en région parisienne. Alors qu'il n'y a aucun rapport entre les deux situations. Au fond, on dit 'les Gitans c'est tous les mêmes'".