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Philippe Poutou : « Rejeter la loi et préparer la lutte »

Khomri NPA

Lien publiée le 27 février 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.revue-ballast.fr/philippe-poutou/

Fronde massive contre le projet de loi El Khomri visant le Code du travail : les initiatives spontanées se multiplient sur Internet et une rencontre à la Bourse du Travail de Paris, à laquelle nous avons assisté mardi dernier, a appelé à imaginer de nouvelles convergences. Neuf organisations syndicales et étudiantes ont fait savoir, le lendemain, qu'il convenait de réviser le texte proposé. Une extrême modération qui scandalise Philippe Poutou, ouvrier à l'usine First-Ford de Blanquefort, en Gironde, et candidat NPA à la présidentielle de 2012. Il nous en parle. 


Un premier mot, à chaud, suite au communiqué de l'intersyndicale ?

Comme plein de militants, je peux dire que je suis déçu et mécontent, mais pas surpris. C'est en dessous de tout. Mais sans étonnement car les directions syndicales nous ont montré, depuis un bon moment, qu'elles n'étaient plus capables d'organiser la riposte. Ce sont des discussions, des appels à « négocier » le projet de loi. Nous, on pense qu'il faut le dénoncer, le rejeter d'un bloc et préparer la lutte. Ce n'est pas du tout l'optique qu'elles prennent.

Quand vous appelez, via Internet, à « mettre la pression », ça ressemblerait à quoi ?

On est beaucoup à ne pas savoir, justement : c'est une des premières difficultés. On est nombreux à vouloir en découdre, mais comment faire ? Nos outils – les syndicats et les partis – n'ont pas l'envie ou les moyens. Par en bas, la colère gronde, des choses existent et commencent à se monter, mais comment s'organiser ? Une initiative appelle à une grande mobilisation le 9 mars. C'est un bon bout, pour débuter : il faut bousculer la routine et le ronron des syndicats. Ce qui nous manque le plus, c'est la confiance en nous-mêmes. Retrouvons le dynamisme. Ces démarches parallèles peuvent être le commencement d'un processus très intéressant, mais il faudrait pouvoir miser sur les deux en même temps : les structures et la base. Les syndicats, suite à leur communiqué, ont bien vu que c'était beaucoup trop faiblard – ils se font secouer, déjà. Les pousser à prendre une posture plus offensive, ce serait bien, mais ça resterait une posture : pour faire réellement bouger les lignes, ça passera par la prise en main de nos propres luttes. Si, à l'heure qu'il est, nous en sommes incapables, ça peut pourtant aller vite : c'est le processus dont je vous parlais. Des actions ici et là, une vraie bataille du « tous ensemble » contre le gouvernement.

Autour de vous, à l'usine, quelle est la température ?

Les collègues pensent, de manière très large, que les syndicats ne sont pas à la hauteur. Mais la différence, c'est que beaucoup d'entre eux – même parmi les militants – n'y croient plus. Ils sont dégoûtés, conscients, mais se sentent démunis.

Une rencontre s'est tenue à la Bourse du Travail de Paris mardi 23 février. Des tas de propositions ont été émises, discutées, avancées – parmi lesquelles l'occupation de places, des blocages, voire, même, la grève générale. Mais François Ruffin, l'un des organisateurs, pense qu'il n'est pas possible de décréter, d'un claquement de doigts, un tel mot d'ordre. Vous en pensez quoi ?

Évidemment, l'idée d'une grève générale entre dans nos perspectives ! Mais personne ne peut la décréter. Il faudrait mobiliser largement la population pour pouvoir bloquer l'économie. La grève concerne ceux qui bossent, d'abord, et doit être liée avec des blocages de zones industrielles et de places. Ce n'est possible que si la population et les salariés convergent. Et se disent prêts à aller à l'affrontement, c'est-à-dire à employer des méthodes qui dépassent largement les manifestations routinières et les petites grèves habituelles. Mais on doit clairement en discuter. Poser la grève générale comme un objectif à atteindre. Être des millions à agir ensemble. Sur ce point, Ruffin a entièrement raison : le mouvement ouvrier doit converger avec le mouvement écolo. Sans oublier la situation des migrants. On mène tous la même lutte, au fond : contre le patronat, contre le libéralisme, contre la soif de profits des multinationales, contre les divisions internes de notre camp. Mais les préjugés sont dans pas mal de têtes. Reste à batailler dur... Les syndicats ne jouent pas leur rôle à ce niveau : ils n'appellent pas, par exemple, à se joindre aux militants de Notre-Dame-des-Landes ; ils ne font pas assez de liens. Tous les combats doivent être menés en même temps. L'efficacité, c'est se rejoindre.

Bourse du Travail, 23 février 2016, Xavier Mathieu et François Ruffin (© Stéphane Burlot)

Vous avez porté la voix du NPA à la présidentielle. Ces partis traditionnels suffisent-ils ? Ou doit-on regarder vers des formes nouvelles, plus larges ?

On va devoir inventer. La résistance dans les rues permettra ce genre de débouchés. Podemos est le résultat des Indignés. Ce qui nous manque en France. Les partis de gauche ont capoté (ne parlons pas du PS). Voyez le Front de gauche... Trouvons un outil et un cadre large capables de rassembler : au NPA, c'était notre ambition, mais on a échoué.

Clémentine Autain déclarait, il y a quelques jours, que le FN donne l'impression, malheureusement, qu'il est le seul parti à assurer la « défense de la dignité populaire », alors que c'est depuis toujours la mission des socialismes. Comment inverser la vapeur ?

Les contestataires retrouveront du crédit auprès de la population quand ils reprendront confiance en eux. Les gauches ont beaucoup trop vasouillé et l'espoir a disparu. Il n'y a pas de miracle : la seule issue, c'est la lutte collective. Le FN vit de la haine des autres et du fait que les gens en veulent davantage aux chômeurs et aux immigrés qu'au patronat. C'est à nous de leur faire comprendre quels sont les véritables adversaires, de leur faire entendre que la voie FN est une impasse – et qu'elle sera terrible. Le combat de classe va de pair avec la lutte contre le racisme. On croise, au travail, des collègues qui, sans aller jusqu'à dire qu'ils votent pour Marine Le Pen, expriment très ouvertement leurs préjugés contre les immigrés. Y compris au sein des militants de la CGT... On discute ensemble. On essaie de leur dire pourquoi ils se trompent. Les discussions peuvent être très animées ! Il y a de la bêtise raciste, mais s'il y a un réveil social, on peut parfaitement imaginer que les gens basculent du côté des idées progressistes – et très rapidement ! C'est l'absence de perspectives sociales qui conduit les gens déçus et démoralisés à se réfugier dans la contestation d'extrême droite. Ça peut évoluer. Le racisme n'est pas ancré une fois pour toutes.

Vous avez récemment dit qu'on n'est, malgré tout, peut-être pas si éloigné que ça de ce réveil. Qu'on pourrait « faire peur » aux possédants. Quel optimisme !

Parfois, on ne l'a franchement pas ! (rires) La nullité gouvernementale et la bêtise du patronat, leur arrogance, leur violence... Les gens vont finir par voir qu'ils vont trop loin, et là... La saloperie du système n'a pas réussi à convaincre tout le monde. On compte là-dessus.

Mais le caractère très technique de la réforme du travail n'est-il pas un frein, pour susciter l'empathie, la colère, la mise en mouvement ?

On a déjà joué la carte de la pédagogie plus d'une fois – les lois Rebsamen, Macron... Expliquer, décrypter, décortiquer, le problème ne se joue plus là. Le MEDEF est satisfait de la loi El Khomri, c'est une attaque assez profonde comme ça. C'est un rouleau compresseur, un bulldozer qui s'attaque à nous. On doit répondre, plutôt que de comprendre en quoi l'autre nous combat : chacun a déjà saisi de quelle façon les patrons veulent tout nous prendre. Même l'électeur FN.

Vous évoquez beaucoup « la gauche ». Mélenchon part sur une nouvelle stratégie, face au ras-le-bol général de la population contre « la droite et la gauche » : cliver plus largement, c'est-à-dire le peuple contre l'oligarchie. Ça vous inspire quoi ?

La société penche vers la droite donc Mélenchon recentre son discours. Ça m'a frappé, samedi dernier, lorsqu'il était sur le plateau de Laurent Ruquier. Les idées anticapitalistes de gauche ne trouvent plus assez d'écho, donc il essaie de voir de quelle façon il pourrait trouver un nouvel espace politique sans avoir à se revendiquer clairement de la gauche. Ça me pose problème : ça montre notre faiblesse. Mais plus que le mot « gauche », je dis, et redis, qu'il faut s'accrocher à la révolte sociale anticapitaliste. Affirmer, encore et toujours, qu'il y a le camp social, celui des opprimés (et qui n'est pas réductible aux seuls Français), et que l'enjeu principal, c'est classe contre classe. Comment les intellos de gauche – comme dit Ruffin – et les ouvriers peuvent-ils, ensemble, remettre au goût du jour les idées de contestation sociale et l'antiracisme ? Mélenchon prend une pente dangereuse. Le « peuple » n'est évidemment pas une idée réactionnaire, mais, dans notre contexte, on ne peut pas parler de son « identité » sans dire qu'elle doit être « sociale » ! Parler des structures de cette société. Ce n'est pas vieillot. Marx reste d'actualité : nous vivons une lutte des classes et le gouvernement, au service du patronat, la mène contre nous. Les agriculteurs et les chauffeurs de taxis se retrouvent à suivre leurs propres exploiteurs ! Les premiers, derrière la FNSEA qui défend les gros propriétaires et l'agroalimentaire industriel, et les seconds qui accusent les chauffeurs de l'entreprise Uber et non le système dans son ensemble qui les exploite. C'est très révélateur de la perte de conscience de classe. La colère est présente mais les luttes se dispersent et ratent parfois leurs cibles. Fixons, ensemble, une boussole. Paysans pauvres, chauffeurs, ouvriers, écologistes, zadistes, battons-nous contre le camp capitaliste.


Portrait de Philippe Poutou : Stéphane Burlot