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Le retour des goumiers d’Afrique

histoire

Lien publiée le 28 février 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/2016/02/28/le-retour-des-goumiers-dafrique/

A la suite de la crise malienne, la question de la bande saharo-sahélienne est revenue sur le devant de la scène africaine. Africa4 remonte le fil chronologique de l'histoire des populations nomades de la zone. 

Questions à... Camille Evrard, post-doctorante en histoire contemporaine à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, spécialiste des armées sahariennes.

Qu’est-ce que le « double recrutement » militaire dans les pays de la bande sahélo-saharienne à l’époque coloniale, distinguant les goumiers de l’armée traditionnelle ?

Il faut d’abord dire que « double recrutement » n’est pas une expression consacrée. Dans les archives coloniales, on parle plutôt d’unités mixtes, et leur nom évolue au cours du temps – « groupes nomades » ou GN est celui qui connaît la plus grande postérité.

Pour la conquête du Sahara par le Sud, les troupes coloniales françaises adoptent une organisation spécifique, née vers 1907, qui s’inspire des compagnies sahariennes du Sud algérien. Dans ce qui deviendra la Mauritaniele Malile Niger et le Tchad, elles créent des unités méharistes (de méhari, le dromadaire de monte saharien) qui emploient des soldats réguliers, les tirailleurs, et des « supplétifs » sahariens qui sont dits « appointés ». Ces derniers sont engagés parmi les Maures, Touaregs, Toubous, ou Arabes, et sont appelés « goumiers » par l’armée coloniale, tout comme les troupes « indigènes » de cavalerie en Afrique du Nord. Ce terme connaît ensuite une grande postérité, pour désigner les méharistes locaux du Sahara. Les unités mixtes montrent la vision dichotomique simplificatrice des autorités coloniales, qui perçoivent le monde ouest-africain en deux grands pôles : sédentaire et nomade. La différence entre tirailleurs et goumiers se situe dans leur statut, puisque les uns sont des conscrits de l’armée coloniale, tandis que les autres sont des volontaires contractuels, et payés sur le budget civil de la colonie. Cela implique que les premiers peuvent être amenés à servir à n’importe quel endroit de l’empire colonial, ainsi qu’en Europe pendant les conflits mondiaux ; les seconds, au contraire, sont utilisés comme « spécialistes » du terrain saharien, et servent donc « à domicile » – du moins dans les limites assignées à leurs déplacements par l’État colonial. Il faut souligner que pendant la période coloniale, les populations nomades n’ont pas été soumises à la conscription.

Quels en sont les héritages au moment de la transmission des armées nationales ?

L’administration coloniale tardive tente à maintes reprises de réformer ce système « mixte », de clarifier les statuts des goumiers. C’est une tâche ardue, car il en existe plusieurs sortes. Ceux de la « garde méhariste », dont le statut est assimilé au corps des « gardes cercles », servent sous autorité des administrateurs coloniaux pour des missions de police. Ce statut existe dès les années 1910 en Mauritanie et 1930 au Niger, et prévoit par exemple des droits à la retraite. En revanche, les goumiers des groupes nomades, de statut civil mais servant sous autorité militaire, n’obtiennent une protection qu’en 1958, lorsqu’est enfin créé un corps de goumiers rattaché à « l’armée d’outre-mer ». La question des pensions surgit au moment de leur mise en retraite ou de leur transfert dans les armées nationales, et montre que l’État français ne tient pas compte de l’ancienneté des goumiers qui ont servi avant 1958.

Toujours est-il que, tant au Niger, où la composante nomade de la population est minoritaire, qu’en Mauritanie, où elle est dominante, la majeure partie des anciens goumiers coloniaux qui sont restés en service après l’indépendance ont intégré les corps nationaux de gardes – héritiers des gardes cercle et qui ont maintenu des unités nomades. Dans l’armée de terre à proprement parler, quelques unités méharistes ont continué à exister, mais avec des effectifs bien moindres et pendant moins longtemps. La différence de taille entre les deux pays, mais qu’il conviendrait de mieux étudier, concerne plutôt le nombre de jeunes issus des populations nomades ayant intégré l’armée nationale dans les premières années qui ont suivi sa création.

Cette couverture du livre de Marc Carlier, officier méhariste au Niger dans les années 1960, montre les trois figures du groupe nomade des troupes coloniales : l’officier français, le tirailleur à gauche et le goumier touareg à droite.

Quelles sont les conséquences du double recrutement dans les processus de constructions des sociétés politiques en Mauritanie et au Niger ?

C’est ce qu’il reste à éclairer, en étudiant des parcours précis d’anciens combattants, et en analysant les politiques publiques des premiers gouvernements de ces pays en matière militaire.

Ce qui est frappant, c’est que ce « double recrutement », qui fut présenté à l’origine comme une solution temporaire liée aux besoins de la conquête du Sahara (pour s’adapter aux conditions humaines et géographiques particulières), s’est finalement perpétué pendant toute la période coloniale. L’histoire de ces groupes nomades et de leurs hommes est toutefois extrêmement complexe : les transformations dans leur organisation sont incessantes et elles sont l’objet de désaccords profonds entre autorités coloniales civiles et militaires. Ceux-ci s’observent à plusieurs moments de la période coloniale, par exemple à propos de la gestion administrative des régions sahariennes – et sont liés en partie à la relation forte entre officiers français méharistes et populations nomades. En tout cas, en institutionnalisant une forme de ségrégation au sein des unités militaires, ce système a sans doute contribué à rigidifier les rapports entre différentes composantes des populations de ces régions, et à affaiblir la cohésion des armées nationales.

Dans les années 1990, des unités méharistes rattachées au corps des gardes nationales ont été reformées en Mauritanie et au Mali notamment, et ce, avec l’appui de la coopération militaire française. On a fait appel à d’anciens officiers méharistes français de la période coloniale tardive, ravis de retrouver parfois d’anciens goumiers, retraités également mais ayant repris du service à la demande de leur gouvernement. Au Tchad, au Mali, au Niger et en Mauritanie, des groupes de gardes nationaux nomades montés à dromadaires ont existé jusqu’à peu, ou existent encore aujourd’hui. Elles font l’objet de soutien financier par diverses coopérations, et les autorités sahéliennes ne manquent jamais de préciser à quel point c’est un outil de sécurité adapté à leurs pays.

Il est intéressant de noter que c’est dans le corps de la garde républicaine du Niger, réformé et renommé FNIS (forces nationales d’intervention et de sécurité) à l’occasion, qu’ont été intégrés une partie des rebelles touaregs nigériens après les accords de paix de 1995-1997 avec le gouvernement ; le corps se nomme garde nationale depuis 2011, et abrite les unités méharistes modernes. Quant aux unités méharistes modernes du Mali, il semble que, malgré les soins portés par les conseillers militaires français auprès de la garde nationale malienne, elles se soient complètement délitées lors de la reprise de la rébellion à la fin des années 2000.