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Temps de repos, apprentis, médecine du travail...: le projet de loi à la loupe

Khomri

Lien publiée le 10 mars 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Référendum d’entreprise, temps de repos et temps de travail, visites médicales, etc. Mediapart passe en revue quelques-unes des mesures les plus conflictuelles qui figurent dans le projet de réforme du code du travail, leurs enjeux et leurs conséquences.

Référendum d’entreprise, médecine du travail, décision unilatérale de l’employeur, apprentis pressés, repos fractionné… Mediapart passe en revue quelques-unes des mesures les plus conflictuelles qui figurent dans le projet de réforme du code du travail, leurs enjeux et leurs conséquences.

La décision unilatérale de l’employeur

C’est du juridisme, aux conséquences très concrètes, et qui fait bondir jusqu’à la CFDT, pourtant plutôt favorable à la philosophie générale d’une réforme du code du travail. Que craignent les syndicats et la société civile dans ces fameuses « décisions unilatérales de l’employeur » ? Pour comprendre, il faut se pencher sur la nouvelle architecture du code, qui repose sur trois niveaux :

  • D’abord l’ordre public, se référant aux grands principes fondamentaux énumérés par la commission Badinter, 61 règles de base intangibles, a minima. Par exemple le fait que « le salaire minimum est prévu par la loi » ou encore que « les salariés à temps partiel bénéficient des mêmes droits dans l’entreprise que les autres salariés ».
  • Ensuite vient un deuxième niveau, celui du « champ de la négociation collective », en clair ce qui est négociable par accord d’entreprise ou de branche, le premier l’emportant sur l’autre, contrairement à la tradition du droit français, qui donnait l’avantage à la branche. Par exemple, sur le temps de travail, il y a la règle (la durée maximale hebdomadaire est 35 heures), et la dérogation désormais possible par simple accord d’entreprise. Quand bien même l’accord d’entreprise serait moins favorable à l’accord de branche ou à la règle d’ordre public.
  • Enfin, troisième étage de la fusée, les « mesures supplétives », qui s’appliquent faute d’accord d’entreprise. En général, c’est l’ordre public ou l’accord de branche qui prend le relais, mais pas exclusivement, grande nouveauté par rapport au code existant. Désormais, sur l’augmentation de la durée hebdomadaire à 40 heures, la modulation du temps de travail sur 16 semaines ou encore l’instauration du forfait-jour dans les entreprises de moins de 50 personnes, la « décision unilatérale de l’employeur » pourrait suffire. Et ce dispositif fait son entrée dans le corps même du code, ce qui fait craindre à de nombreux juristes son extension, à terme, bien au-delà de la question du temps de travail.

Pour l’instant, le seul exemple existant est celui des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en cas de licenciements massifs, pour lesquels une décision unilatérale de l’employeur est déjà possible. Ainsi, dans le cadre d’un plan social et depuis l’ANI 2013, les salariés ont le choix entre deux solutions, négocier un plan avec l’employeur ou s’en remettre à sa décision unilatérale. Du coup, plus de 59 % des PSE sont effectivement négociés, signe que la négociation, ça marche, répète le gouvernement sur tous les tons. Mais ce chiffre est biaisé, puisque la simple menace de la décision unilatérale (soit le pouvoir de l’employeur de changer les règles à lui seul) peut suffire à amener les syndicats autour de la table… Même pour un accord a minima.

Métro, boulot et… dodo fractionnés

Dans leur déclaration commune, signée jeudi dernier, la CFDT, la CFTC, la CGC, l’Unsa et la Fage (organisation étudiante) exigent du gouvernement, entre autres revendications, que « le droit actuel continue à s’appliquer à défaut d’accord, notamment en ce qui concerne les astreintes, le fractionnement des repos, le repos des apprentis mineurs ». Il en va de même pour la durée quotidienne du travail effectif par salarié qui pourra aller jusqu'à 12 heures « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise » sous réserve d’un accord de branche ou d’entreprise (aujourd’hui, une journée ne peut excéder dix heures à moins d’une autorisation de l’inspection du travail pour la dépasser).

  • Le repos brisé

La loi impose onze heures de repos quotidien consécutives. Le projet prévoit que ces heures de repos puissent être fractionnées, à deux conditions : à la demande du salarié et par accord d’entreprise. L’accord devra fixer une durée minimale de repos consécutif. À écouter le gouvernement, qui déploie les grands moyens pour embrouiller les esprits sur un sujet très technique, seuls les “cadres autonomes”, c’est-à-dire les salariés en forfaits-jours, seraient concernés. Comme le décrypte ici Libération« le forfait-jours ne concerne pas que les cadres, mais potentiellement tous les salariés “dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps” ».

  • Les astreintes imprévisibles

Actuellement, l’astreinte est fixée par accord collectif ou de branche. Son mode d’organisation, sa compensation financière ou la forme de repos attribuée en contrepartie pourraient être considérablement assouplis et basculer à la merci totale de l’employeur dans le cas où aucune convention ou accord collectif de travail n'est conclu. Le passage obligé par l’inspecteur du travail n’aurait plus lieu d’être. Seule digue mais sans réel pouvoir : le comité d’entreprise qui devra être informé et consulté. Pire, le délai pour prévenir le salarié de son astreinte, au minimum quinze jours à l’avance, pourrait sauter au profit d’un « délai raisonnable », à fixer par accord de branche ou collectif, ou par l’employeur à défaut. Par « délai raisonnable », il faut comprendre que le salarié sera prévenu au dernier moment, qu’il devra rester en alerte. S’il n’intervient pas, son temps d’astreinte sera considéré comme du repos. La future loi ne changerait pas cette règle. En revanche, si le salarié est amené à intervenir, son temps ouvrira droit à un repos compensateur qui ne sera plus de 11 heures de repos mais au moins égal au temps d'intervention.

  • Les apprentis mineurs pressés

« C’est l’une des mesures les plus hallucinantes. Hollande, qui fait des jeunes une priorité de son quinquennat, brade leur force de travail ! Et on vient nous dire que c’est une mesure contre le chômage des jeunes », s’étrangle un syndicaliste. En France, les apprentis (donc des mineurs puisque l’apprentissage peut démarrer à 15 ans) pourraient trimer jusqu’à dix heures par jour et quarante heures par semaine pour moins d’un RSA « lorsque des raisons objectives le justifient ». Et l’inspection du travail qui, jusqu’ici, veille à ce que l’interdiction de les faire travailler plus de huit heures par jour et 35 heures par semaine soit respectée, n’aurait plus son mot à dire. La mesure a été conçue pour que les apprentis s’adaptent au rythme « de la communauté de travail dans laquelle ils évoluent », dit le projet. « Le gouvernement touche ici à un gros symbole en faisant fi du droit de la protection du droit des mineurs », alerte le professeur de droit Pascal Lokiec. Il rappelle que « le droit du temps de travail est né pour protéger la santé et la sécurité des salariés. Ce n’est pas seulement une question de rémunération. C’est un droit au repos constitutionnel. Et la productivité des entreprises passe par le droit au repos des salariés ».

La voie dangereuse du référendum

Le quinquennat Hollande voulait être celui de la réhabilitation des « corps intermédiaires », notamment des syndicats de salariés si malmenés sous la droite et souffrant d’une désaffection chaque année plus grandissante. À l’heure du bilan, il pourrait en être le fossoyeur. Et l’une de ses armes les plus redoutables sera celle du référendum dans les entreprises. Vieille marotte du patronat et de la droite ressuscitée sous le poids des lobbys, elle n’avait jusque-là qu’une valeur consultative, sauf dans des cas précis comme la participation, l’intéressement. C’est un bouleversement historique des règles du dialogue social qui pourrait s’opérer, habillé en trompe l’œil d’un argument populiste : faire place à la démocratie directe plutôt que la démocratie représentative, donner voix au chapitre aux salariés.

Actuellement, pour qu'un accord soit valide, il doit recueillir soit la signature de syndicats ayant obtenu au moins 50 % des voix aux élections professionnelles, soit la signature de syndicats représentant 30 % des salariés mais à condition que les syndicats représentant 50 % des salariés ne s'y opposent pas. Avec le projet de réforme, une nouvelle voie est ouverte. Le gouvernement, qui supprime le droit d’opposition, prévoit d'accorder aux syndicats minoritaires la possibilité d'organiser un référendum interne pour valider un accord dès lors qu'ils représentent au moins 30 % des salariés. Concrètement, ce qui s’est produit à la Fnac fin janvier quand la CGT, SUD et FO, majoritaires à eux trois, ont opposé leur veto et rendu caduc l’accord sur le travail du dimanche validé la veille par trois syndicats minoritaires (CFDT, CFTC, CFE-CGC), ne pourrait plus survenir. La CGT accuse d’ailleurs le PDG de la Fnac, Alexandre Bompard, d'avoir influencé la ministre du travail dans la rédaction de son projet de loi.

Tous les syndicats sont hostiles à la consécration du référendum sauf la CFDT, la seule à voir là « une démarche pour relégitimer les organisations syndicales ». Dans un entretien aux Échos publié début février, Laurent Berger, son secrétaire général, estimait qu’il ne fallait pas « avoir peur de consulter les salariés » : « Nous devons prendre des risques. Lorsqu’un accord est validé par des syndicats représentant 30 % des salariés, je ne suis pas hostile à ce que l’on consulte les salariés, au contraire. Mais cette proposition n’est acceptable qu’à la condition que la consultation ne soit pas une mesure au service des patrons. Il faut qu’elle ne puisse intervenir qu’à l’issue de la négociation et à la seule initiative des syndicats signataires. »

Luc Bérille, le patron de l’UNSA, est quant à lui « effaré » : « C’est une très mauvaise mesure, qui affaiblit le syndicalisme. Il faut n'avoir jamais bossé de sa vie dans une boîte pour proposer une telle usine à gaz. Cela va mettre une très mauvaise ambiance dans les entreprises, les salariés vont se bouffer le nez. » Ce fut le cas à l’usine Smart en Moselle, filiale du groupe automobile allemand Daimler. En septembre, la direction organisait une « consultation » des salariés à propos de son « pacte 2020 » – pas de licenciements économiques en échange d’un passage aux 39 heures hebdomadaires payées 37 et d’une diminution des jours de RTT pour les cadres.

Sur les quelque 800 votants, 56 % se prononçaient pour, essentiellement des cadres, employés, techniciens et agents de maîtrise. La majorité des ouvriers étaient contre. Normal, ce sont eux qui allaient souffrir le plus des cadences redoublées sans gagner plus. Quelques semaines plus tard, fin octobre, le pacte était mis en échec par la CGT et la CFDT, représentant 53 % des salariés. La direction décidait alors de passer en force en distribuant, peu avant Noël, des avenants individuels au contrat de travail dans une usine fracturée. Et c’est ainsi, sous la menace de la perte de l’emploi, que plus de 90 % des 800 salariés ont accepté de revenir aux 39 heures…

« Pour tendre les relations entre les syndicats et les salariés, entre les salariés eux-mêmes, il n’y a pas mieux », constate le professeur de droit Pascal Lokiec. Il pointe l’absurdité du projet, « contraire à la philosophie générale du droit français », « une défiance complète vis-à-vis des syndicats qui ne se pratique pas à l’étranger » : « Depuis 2008, les salariés votent aux élections professionnelles qui servent à déterminer qui sont les syndicats représentatifs aptes à négocier et ensuite, on leur demande de les dégager par référendum ! » Il rappelle que les salariés sont tenus par un lien de subordination direct, à la merci des pressions de l’employeur, pas protégés du licenciement comme les représentants syndicaux. Encore moins compétents et formés à se prononcer sur des accords complexes. Pour lui, « on ouvre la boîte de Pandore ». Dans son rapport, Jean-Denis Combrexelle n’avait consacré que quelques lignes au référendum qu’il conseillait de restreindre aux très petites entreprises…

Des accords loin d’être inoffensifs

C’est l’une des victoires les plus emblématiques du patronat qui, quinquennat après quinquennat, en demande toujours plus. Sous Nicolas Sarkozy, il avait obtenu les accords dits de « compétitivité emploi », renommés sous Hollande « accords de maintien dans l’emploi » lors de la première réforme du marché du travail (ANI, janvier 2013). Soit la possibilité de réduire le temps de travail et/ou le salaire pendant une période allant jusqu’à deux ans pour éviter les licenciements « en cas de graves difficultés conjoncturelles » (cinq ans depuis la loi Macron de juillet 2015). À condition que les syndicats représentant une majorité de salariés l’acceptent, ou à défaut l’administration, et qu’une clause prévoie le partage des fruits de la croissance à son retour. L’objectif est d’éviter les suppressions de poste. Les salariés qui refusent font l’objet d’un licenciement économique individuel et la qualification n’est pas contestable devant le juge.

La loi El Khomri dans les tuyaux prévoit d’accentuer flexibilité et chantage à l’emploi. Elle rebaptise les accords dits de « maintien dans l’emploi », « accords en vue de la préservation ou du développement de l'emploi » (avec toujours le même principe de modulation du temps de travail et des salaires après validation par un accord majoritaire des syndicats). Le patronat, qui ne trouvait pas le dispositif assez contraignant, « offensif » disent-ils (d’où le succès très limité de ce symbole de la “flexisécurité” qui n’a convaincu qu’une dizaine d’employeurs, essentiellement des PME), voit de nouveau ses vœux exaucés. Il obtient un élargissement considérable des critères selon lesquels un accord dérogatoire pourrait être signé en y intégrant le « développement de l’emploi ». Surtout, les salariés qui refuseraient ces accords seraient licenciés pour « cause réelle et sérieuse » et non plus pour licenciement économique (c’est-à-dire sans garanties de reclassement, ni indemnités). « C’est une bombe qui va plus loin que les accords de maintien dans l’emploi, s’alarme le juriste Pascal Lokiec. L’exigence de maintenir l’emploi disparaît au profit d’une notion aussi floue qu’inquiétante. Il n’y a plus aucun verrou. »

Réforme de l’aptitude, victime collatérale

La médecine du travail est une victime collatérale de la réforme du code du travail, même si les praticiens du secteur sentaient depuis longtemps passer le vent du boulet, avec une première encoche dans la loi Rebsamen. Les intentions se sont précisées en mai dernier après la remise du rapport de Michel Issindou, qui a esquissé des pistes pour une refonte de la visite médicale au travail et de l’aptitude (retrouvez l’analyse de Mediapart à l’époque). Une partie de ces propositions ont été reprises et même renforcées dans le projet de loi sur le travail.

Qu’est-ce qui pourrait changer ? La visite médicale d’embauche, jusqu’ici obligatoire et sanctionnée par un certificat d’aptitude, serait remplacée par une visite de prévention, faite par un infirmier. La visite réalisée par le médecin du travail serait réservée aux « postes à risques », pour des salariés qui bénéficieraient ensuite d’un suivi renforcé. Pour les autres, la visite obligatoire tous les deux ans saute, sans que le nouveau délai ne soit précisé dans la loi (il pourrait être établi par décret). C’est une réponse à une vieille revendication patronale, portée par le Cisme, l’organisme représentatif des services de santé au travail, financés par les employeurs, et qui embauchent 90 % des médecins du travail en France. « Si cette loi va au bout, c'est d'abord la mort de la protection pour les salariés, mettait en garde le docteur Martine Keryer, membre de la CFE-CGC, surFrance TVinfo. Il y aura toujours dans les services de santé au travail des infirmiers et des préventeurs. Mais il n'y aura plus de médecins du travail. »

Une bonne part des salariés passeraient effectivement entre les mailles de la médecine du travail, initialement pensée comme un service de santé publique pour tous. En particulier ceux qui souffrent de pathologies mentales, surcharge de travail et autres burn-out, pour qui la médecine du travail constituait souvent un premier espace de parole. « Le projet de loi réserverait les visites médicales aux seuls postes à risques, qui ne prennent pas en compte d’ailleurs les organisations du travail générant des psychopathologies du travail ou des troubles musculo-squelettiques, avertissent Alain Carré et Dominique Huez, tous deux membres de l’association Santé et médecine du travail, dans une tribune publiée par Mediapart.

Par ailleurs, si la visite pour tous était pour les médecins du travail envisagée comme une forme de prévention, une bonne partie de la profession s’indigne d’être désormais assimilée à une médecine de « sélection », chargée de dire si oui ou non telle personne serait apte à endosser le risque. Plutôt que de concevoir l'aptitude comme un moyen de contrôler l'adéquation du travail et du poste au salarié, ce qui est d'ailleurs recommandé par l'Organisation internationale du travail, « on servirait donc à dire seulement deux choses, le salarié est-il apte ou pas à s'en prendre plein la gueule ? », s’indigne Dominique Huez.