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État d’urgence, déchéance: du plomb dans l’aile de la révision constitutionnelle
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
En commission, le Sénat a profondément revu le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, celui visant à inscrire l’état d’urgence et la déchéance de nationalité dans le texte fondateur de 1958.
La loi sur l’état d’urgence a été adoptée après les attentats du Bataclan. D’une pierre, deux coups : son objet fut d’instaurer cette situation exceptionnelle pour trois mois, tout en rénovant les dispositions de 1955 qui l’encadrent. Parmi les mesures nouvelles, sont autorisées désormais l’assignation et la perquisition d’une personne « à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Autrefois, les critères étaient plus nerveux puisqu’il fallait démontrer une « activité » qui « s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics ».
Perquisitions informatiques, et bientôt des saisies
Autre innovation : les autorités administratives sont maintenant libres d’accéder aux données stockées ou accessibles depuis n'importe quel système informatique trouvé sur les lieux perquisitionnés. Ces données peuvent alors être copiées aux fins d’analyse. Pour muscler davantage ces moyens, un projet gouvernemental envisage à l’avenir un tour de vis supplémentaire afin d’autoriser également la saisie des PC, téléphones et tablettes.
Voilà pour la théorie. Seulement, quelques contrariétés huilent la route gouvernementale. Déjà, le 19 février, le Conseil constitutionnel a censuré les copies de données informatiques. Pourquoi ? Car l’exécutif et le Parlement avaient omis de préciser les garanties légales sur le sort de ces informations, notamment quant à leur durée de conservation.
La contrariété venue du Sénat
Une nouvelle contrariété arrive cette fois du Sénat : après les attentats de novembre, l’exécutif a voulu modifier la Constitution, histoire d’inscrire l’état d’urgence sur le dernier barreau de l’échelle des normes. Par ce biais, il s’assure d’une forte sécurité juridique contre les juridictions inférieures, du moins celles qui n’auraient pas compris la beauté de son arsenal. Sauf que pour réviser la Constitution, il est nécessaire d’obtenir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés chez les députés et sénateurs réunis en Congrès à Versailles. Et justement, le Sénat a sévèrement modifié le projet de loi de révision adopté par les députés.
Comme on peut le voir sur cette fiche comparative, il a déjà raboté l’article 1er du texte qui voulait que l’état d’urgence soit décrété « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Cette deuxième alternative a sauté pour ne conserver que le péril imminent. De même, les seules mesures pouvant être prises pour prévenir ce péril doivent être dorénavant « strictement adaptées, nécessaires et proportionnées ». Une mesure de sagesse, oubliée du gouvernement, rouvrant la porte au contrôle des juges.
Et cette porte n’ouvre pas dans n’importe quelle pièce : la Commission des lois, présidée par le sénateur Philippe Bas, a également pris soin de souligner que l’état d’urgence ne peut déroger « à la compétence que l’autorité judiciaire tient de l’article 66 pour la protection de la liberté individuelle ». Plus accessoirement, alors que les députés suggéraient un état d’urgence sur 4 mois, la version sénatoriale lui préfère un délai de 3 mois.
Surtout, contrairement à l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat n’a pas voulu créer des apatrides. Elle a proposé de ne réserver la déchéance de nationalité, une autre des mesures phares, qu’aux seuls binationaux. De même, exit la possibilité de déchoir une personne dès le premier délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Les sénateurs ont préféré réserver cette hypothèse aux seuls crimes de ce type.
Confirmés en séance, ces verrous devraient créer des points de blocage suffisamment importants pour contrarier la révision constitutionnelle.