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Les arbitrages de Valls: ce qui reste, ce qui saute

Khomri

Lien publiée le 15 mars 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Le premier ministre a présenté les mesures de la loi sur le travail sur lesquelles il est prêt à bouger. La CFDT a été en partie entendue. Les points polémiques comme les heures supplémentaires et le licenciement économique sont maintenus.

La plupart des organisations syndicales présentes lundi 14 mars à Matignon mettent en garde : la révision du projet de loi sur le travail n'a pas pris la forme d'un nouveau texte annoté mais d'un simple communiqué. Le texte définitif sera présenté le 24 mars en conseil des ministres. Revue des mesures qui bougent et de celles qui restent identiques.

Le gouvernement a bougé sur…

  • Le temps de travail

C’était l’un des gros morceaux de l’avant-projet de loi, une partie très « grand public » car elle touche de fait tous les salariés. Le gouvernement, sûrement inquiet de se voir taxer de grand fossoyeur des 35 heures, mesure socialiste par excellence, a largement revu sa copie. Le texte ne « changera pas les dispositions applicables aujourd’hui » en matière d’astreinte, de durée de travail des apprentis, de durée maximale du travail, de temps d’habillage et de déshabillage, ou de fractionnement du repos quotidien (voir ici et  nos papiers de décryptage).

Manuel Valls annonce par ailleurs une concertation sur le télétravail et évoque la possibilité d’un accord interprofessionnel sur le sujet (négociation conduite par les syndicats de salariés représentatifs et les organisations patronales).

Sur la question spécifique des congés familiaux (voir notre décryptage sur le sujet ici), l’accord ne pourra pas fixer de durée inférieure à celle en cours actuellement, et notamment deux jours pour le décès d’un enfant. Si le gouvernement revient sur la disposition prévue, il n’intègre par pour autant l’autre texte sur le même sujet, qui portait, après une rare unanimité parlementaire, le nombre de congés pour le décès d’un enfant à 5 ou 10 jours selon que l’enfant est à charge ou pas. Cette proposition de loi est restée bloquée en deuxième lecture à l’assemblée. 

Concernant le temps de travail, et pour faire face à des « pics d’activité », il sera possible pour l’employeur de moduler le temps de travail sur neuf semaines, contre quatre semaines précédemment, sans accord collectif. Pour moduler au-delà d’un an, et jusqu’à trois ans, un accord de branche est exigé, contre un simple accord d’entreprise précédemment. La crainte d’une concurrence déloyale entre les sociétés d’un même secteur a joué. 

Le forfait-jour, qui aurait pu s’appliquer par simple décision unilatérale d’employeur dans les entreprises de moins de 50 salariés, va finalement bien devoir être négocié : le gouvernement envisage pour le coup de développer le mandatement d’un salarié par un syndicat pour mener la négociation. La mesure, prônée par la CFDT, est cependant jugée dangereuse par une partie des organisations syndicales, qui craignent un mandatement choisi par l’employeur auprès d’organisations syndicales conciliantes, comme ce fut parfois le cas pour les premiers accords sur les 35 heures.

Le projet de loi introduit également la possibilité pour les TPE-PME d’appliquer directement des accords-types, conclus au sein de la branche, répondant ainsi à une revendication des organisations patronales telles que l’UPA ou la CGPME. Une manière de dire que la loi s’adresse à elles aussi, quand elle semblait toute dessinée pour les grands groupes adhérents au Medef. 

L’inconnu reste le sort réservé à la majoration des heures supplémentaires : sera-t-il toujours possible de passer, par accord d’entreprise, à une majoration minimale de 10 % au lieu des 25 % prévus ? Rien dans le discours du premier ministre ne laisse envisager un recul sur cette disposition très contestée.

  • La barémisation des indemnités prud’homales

Deuxième tentative, et deuxième échec pour le gouvernement : la barémisation des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif va rester « incitative », comme indiquée dans la loi Macron (le gouvernement va accélérer la publication du décret d’application en ce sens). Fin des plafonds selon l’ancienneté dans l’entreprise. Le pouvoir a semble-t-il entendu la réaction viscérale de rejet provoquée par cette mesure au sein des syndicats et des organisations de jeunesse, mais également anticipé l’écueil juridique. Pour mémoire, la précédente tentative de barémisation avait déjà été cassée par le conseil constitutionnel.

  • Le compte personnel d’activité (CPA)

Il était presque vide, il s’est considérablement rempli, du moins dans les intentions. Personne ne sait encore comment le compte personnel d’activité (CPA) va se mettre en route sur le plan opérationnel mais ses contours se dessinent davantage. Dans la version remaniée du projet de loi, la jeunesse est particulièrement chouchoutée. En plus du compte pénibilité et du compte formation (regroupant les droits à la formation des salariés, soit l’ancien Droit individuel à la formation), le CPA intégrera le parcours« civique » (par exemple un service civique ou un engagement militaire), de manière à bonifier les droits ou transformer cette expérience en acquis professionnel.

Chaque salarié sans diplôme (les plus exposés au chômage) bénéficiera « d’un capital de formation supplémentaire », 40 heures chaque année contre 24 aujourd’hui, dans la limite de 400 heures, contre 150 aujourd’hui. Enfin, pour répondre aux plus précaires, tout demandeur d’emploi non qualifié devra bénéficier d’un « capital formation ». Rien de tout cela n’est chiffré, or c’est le véritable angle mort du CPA. Le compte-épargne temps, qui aurait pu être intégré, suite à une demande de la CFDT et de la CFE-CGC, reste attaché à l’entreprise et non au salarié.

  • La “garantie jeunes”

Le dispositif, présenté comme la réponse au désarroi des jeunes chômeurs, n’est pas sorti du chapeau de Manuel Valls ce week-end. Le dispositif, expérimenté depuis 2013, était déjà au cœur de la communication mise en place depuis l’arrivée de Myriam El Khomri au poste de ministre du travail. Sa généralisation en 2017 était également au programme, comme on peut le lire sur le site du gouvernement. Actuellement, 50 000 jeunes de 18 à 25 ans, peu diplômés, qui ne suivent aucune étude ou formation, bénéficient de cette aide de 461 euros par mois, et d’un accompagnement personnalisé pour un retour à l’emploi. L’objectif est de monter à 100 000 garanties jeunes d’ici la fin du quinquennat, sans plus de précisions cependant sur le financement.

  • Les heures de délégation syndicale

Accusé de vouloir donner les clés de la négociation aux syndicats dans les entreprises, sans leur en fournir les moyens, le gouvernement a annoncé vouloir augmenter de 20 % les heures de délégations pour les délégués syndicaux et protéger les bourses du travail, pour certaines menacées de disparition.

Le texte reste en grande partie intact

Le gouvernement ne bouge pas sur...

  • La philosophie du texte et l'inversion des normes

Le vocabulaire change mais le fond du texte reste sur la même ligne. Il s’agit désormais, selon Manuel Valls de « décentraliser le droit du travail » au niveau des entreprises et des branches, et donner de « nouvelles marges de manœuvres au collectif » pour renforcer la « compétitivité » des entreprises. Fort du soutien de la CFDT notamment sur ce sujet, le premier ministre a rappelé les exemples des accords de maintien de l’emploi conclus localement chez Renault et PSA. Mais il s’agit bien, pour ses détracteurs, d’une loi qui a pour philosophie « d’inverser la hiérarchie des normes », c’est-à-dire de permettre à un accord négocié localement d’être moins favorable que la loi ou l’accord de branche. « On reste sur un texte qui permet de créer autant de codes du travail que d’entreprises », se désole Fabrice Angei de la CGT. 

  • Le référendum en entreprise et les accords majoritaires

À l’exception de la CFDT « pas hostile » sous conditions, tous les syndicats sont contre l’idée de généraliser les référendums d’entreprise. Dans la version corrigée, ils restent plus que jamais d’actualité (relire ici notre décryptage). Pour valider un accord collectif si un ou plusieurs syndicats(s) (représentant entre 30 et 50 % des employés) le demandent, une consultation des salariés sera possible. La nouvelle règle sera d’abord appliquée « à titre expérimental » à la question du temps de travail avant d’être étendue aux autres chapitres du Code du travail au fur et à mesure qu’ils seront réécrits. Avec le risque de fracturer syndicats et salariés, et salariés entre eux dans les entreprises. 

  • Le licenciement économique

C’est l’un des points les plus controversés du projet de loi. Introduit à la dernière minute, il suscitait l’ire de tous les syndicats tant il répondait aux seules exigences du Medef, permettant aux entreprises de licencier plus facilement. Le gouvernement ne revient guère sur ses intentions, convaincu que le droit du licenciement économique est un frein à l’investissement. Même si les contours restent encore très flous, le texte juridique n’ayant pas été livré, « un bouleversement très inquiétant remettant en cause gravement la jurisprudence est en marche », selon la spécialiste en droit social Judith Krivine qui voit là « une réforme pour les grands groupes, pas pour les toutes petites et moyennes entreprises ». Le gouvernement persiste à modifier en profondeur les règles et maintient l’une des dispositions les plus explosives : le périmètre de l’appréciation, par le juge, de la réalité du motif économique du licenciement, sera bel et bien restreint à l’échelle des seules entreprises implantées sur le territoire français et non plus du groupe. La CFDT, l'UNSA, la CFTC et la CFE-CGC réclamaient que cette « verrue » soit retirée.

« La France doit devenir plus attractive pour les investisseurs internationaux – d’où le périmètre national », justifie dans son discours Manuel Valls qui ne peut se permettre d’aller au clash avec le patronat après l’avoir tant fait rêver. « Mais il doit y avoir des garanties ; les grands groupes ne pourront pas provoquer artificiellement des difficultés économiques sur leur site français, pour justifier un licenciement, sans être sanctionnés ; nous modifierons la rédaction de l’article 30 bis en ce sens », précise-t-il d’emblée. Soit un renforcement du rôle du juge qui sera le garde-fou chargé de contrôler ce point. S'il est établi que l'entreprise a organisé « artificiellement » les difficultés économiques, le licenciement économique sera requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette idée fait bondir Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière, qui réclame le retrait total du texte : « On nous annonce des sanctions pour les patrons qui abuseraient mais avant, ils auront licencié les salariés ! »

Par ailleurs, précise Matignon dans son dossier de presse, « les difficultés susceptibles de justifier un licenciement économique sont précisées en reprenant des éléments issus de la jurisprudence : une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation, une importante dégradation de la trésorerie ou tout élément de nature à établir leur matérialité ». Autrement dit, l’exécutif ne bouge quasiment pas d’une ligne son projet initial, les critères restant les mêmes qu’il y a trois semaines. Il sécurise les patrons, pas les salariés.

  • Des accords « offensifs »

C’est l’une des victoires les plus emblématiques du patronat (notre décryptage ici) et l’une des mesures les plus dangereuses contenues dans le projet de loi sur le travail. La nouvelle version valide les « accords en vue de la préservation ou du développement de l'emploi » qui doivent remplacer les « accords de maintien dans l’emploi » lors de la première réforme du marché du travail (ANI, janvier 2013). Destinés aux entreprises confrontées à de « graves difficultés économiques conjoncturelles », ces accords permettent la signature d’accords majoritaires prévoyant, sur deux ans au maximum (cinq depuis la loi Macron du 10 juillet 2015), une baisse des salaires et/ou la flexibilité du temps de travail des personnels. En contrepartie de ces sacrifices, les salariés ont la garantie de conserver leur poste sur la période définie ; ceux qui refusent ces nouvelles conditions font l’objet d’un licenciement économique individuel. Le nouveau dispositif sera bien plus contraignant pour le salarié qui, s’il s’y refuse, sera licencié pour « cause réelle et sérieuse » et non plus pour licenciement économique (c’est-à-dire sans garanties de reclassement, ni indemnités). Quant au patronat, il obtient un élargissement considérable des critères selon lesquels un accord dérogatoire pourrait être signé en y intégrant le « développement de l’emploi ».

  • Les épineux article 52 et article 20

L’un concerne l’indemnisation des chômeurs, et notamment la durée des allocations calculées, ainsi que la manière dont Pôle emploi peut ou non récupérer des trop-perçus, l’autre le mode de calcul de la représentation patronale (voir notre papier sur le sujet). Ni l’un ni l’autre n’ont été évoqués par le premier ministre. Ils seront donc a priori présentés tels quels dans la loi. 

  • La réforme de la médecine du travail

Rien non plus sur cette revendication portée par un large spectre syndical, de solidaires à la CFE-CGC : la visite médicale d’embauche, jusqu’ici obligatoire et sanctionnée par un certificat d’aptitude, serait remplacée par une visite de prévention, faite par un infirmier. La visite réalisée par le médecin du travail serait réservée aux « postes à risques », pour des salariés qui bénéficieraient ensuite d’un suivi renforcé. Pour les autres, la visite obligatoire tous les deux ans saute, sans que le nouveau délai ne soit précisé dans la loi (il pourrait être établi par décret).

  • Surtaxation des contrats courts

Manuel Valls a été rattrapé par le réel. Un temps envisagé pour déminer la mobilisation de la jeunesse, excédée par trop de précarité, le premier ministre s’est rappelé que la surtaxation des employeurs abusant de contrats courts était au menu de l’actuelle négociation sur l’assurance chômage. Et qu’il était donc de la responsabilité des partenaires sociaux de trancher.