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Sous les pixels, les coups

Lien publiée le 2 mai 2016

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http://next.liberation.fr/culture-next/2016/05/01/sous-les-pixels-les-coups_1449860

«On ne sait jamais ce qu’on filme», affirmait Chris Marker dans le commentaire de son chef-d’œuvre Le fond de l’air est rouge, en 1977. Echo à un vacillement du sens vieux comme la modernité cinématographique et notamment Blow-up (de Michelangelo Antonioni, 1967), la formule lui est empruntée par un court film diffusé sur les réseaux sociaux depuis samedi  : deux minutes d’images sèches et stridentes tournées dans la nuit du 28 au 29 avril, place de la République, à Paris.

Le cinéaste Matthieu Bareyre et l’ingénieur du son Thibaut Dufait, en préparation d’un projet qu’ils définissent comme un portrait nocturne de la jeunesse, réalisent dans ces parages des repérages filmés comme ils en ont pris l’habitude depuis les premières heures du mouvement Nuit debout. Ils enregistrent l’évacuation du parvis par les colonnes de CRS postés en masse, tandis que l’on menotte quelques individus interpellés à la suite d’échanges de projectiles. Puis assistent, comme ils le relateront àLibération, à une charge «extrêmement violente», soldée par plusieurs blessés (matraqués au sol ou ­atteints au visage par un éclat de grenade). Sans pouvoir cette fois en saisir l’image, empêchés de filmer «de toutes les manières imaginables» : claques dans la caméra, invectives, encerclement, coups de pied, faisceau lumineux fiché dans l’objectif afin de l’éblouir ainsi. Pour avoir quelque chose à se reprocher et le savoir, le filmé récalcitrant a toujours une longueur d’avance sur le filmeur naïf (on en revient à Blow-up).

 

Le lendemain, parcourant les rushs de la nuit passée, les deux jeunes hommes découvrent que l’un des plans tournés sur la place contient un peu plus que ce qu’ils y avaient entrevu sur le moment : menottés face contre terre dans un recoin du cadre, deux des interpellés, qui ne manifestent aucun signe de rébellion, essuient plusieurs coups au visage, infligés par des CRS qui se croient peut-être alors à l’abri des regards, rangés derrière les boucliers de leurs pairs. On ne sait jamais ce qu’on filme consiste en ce seul plan, qui ne ­requiert aucun discours pour susciter effarement et indignation. Un plan unique, d’abord monté dans sa continuité, puis zoomé et, tandis que l’on s’enfonce dans la pâte de l’image jusqu’à l’impavide impunité des brutes, ­découpé en tronçons qui isolent ainsi les exactions policières sur des individus à l'évidence déjà rendus hors d’état de nuire. Sait-on jamais ce que l’on regarde ? En pareil cas, ce serait au ministre de l’Intérieur, Bernard ­Cazeneuve, et aux forces dites de l’ordre de nous l’expliquer.