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La justice suspend neuf des dix interdictions de manifester à Paris
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Libération) Presque tous les militants privés de cortège et de Nuit Debout mardi par le préfet ont fait annuler ces décisions par le tribunal administratif. La préfecture n'avait pas produit d'éléments assez précis.
Il y avait urgence à interdire, assure la préfecture de police de Paris, et urgence à statuer sur ces interdictions, ont plaidé les avocats de la défense. Entre les deux, peu de temps pour étayer les affirmations qui valent à dix militants parisiens d’être interdits de manifester contre la loi travail ce mardi. Ils ont contesté en référé devant les juridictions administratives ces mesures portant atteinte à «un grand nombre de libertés», selon Me Kempf, l'avocat qui les défend : «la liberté d’aller et venir, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de manifester qui est une liberté fondamentale.»
Le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a décidé d’exclure du rassemblement «plusieurs individus régulièrement repérés lors des derniers affrontements à Paris» pour «faire respecter l’ordre public, en particulier dans le contexte de l’état d’urgence». L’interdiction d’un photographe, NnoMan, a quant à elle été levée dès lundi, lorsque la préfecture a découvert sa profession, qu’elle disait ignorer auparavant. Les autorités avaient déjà recouru à la boîte à outils qu’offre l’état d’exception, instauré le soir des attentats du 13 Novembre et en passe d’être renouvelé une troisième fois par les parlementaires. Lors de la COP 21, le ministère de l’Intérieur avait assigné à résidence des militants afin d’éviter tout trouble qui distrairait les forces de l’ordre de leur mission prioritaire de lutte contre le terrorisme.
Cette fois, ce sont les autorités préfectorales, à Paris mais aussi à Nantes, qui ont prononcé des «interdictions de séjour» aux abords des cortèges contre la loi travail et autour de la place de la République. Contactée à de nombreuses reprises depuis dimanche par Libération, la préfecture de police de Paris a refusé d’indiquer combien de personnes étaient ciblées par ces arrêtés.
«C'est un abus de l'état d'urgence»
«La loi sur l’état d’urgence a été réactivée pour des raisons étrangères aux activités de nos clients : la lutte contre le terrorisme» lance MeKempf dans la grande salle du tribunal administratif de Paris, mardi matin. «C’est un abus de l’état d’urgence», insiste Aïnoha Pascual, également avocate des militants. En face, le représentant de la préfecture, chef des affaires juridiques et du contentieux par intérim, réplique en citant les 130 morts de novembre, et ceux du 22 mars en Belgique, qui attestent du maintien à un niveau très élevé de la menace terroriste. Et il y a eu la conférence sur le climat, poursuit-il, bientôt l’Euro 2016 de football, des événements qui ont demandé et demandent«une forte mobilisation des forces de l’ordre». «La préfecture de police avait le droit d’interdire la manifestation d’aujourd’hui, mais c’était disproportionné», argumente-t-il.
Sur les bancs du public, les militants – doctorant, adjoint pédagogique, enquêteur dans un institut de sondage… – écoutent en silence. Ils ont la vingtaine ou la petite trentaine. Seuls deux d’entre eux prendront très brièvement la parole. Le tribunal n’est pas là pour les entendre, ni pour examiner la personnalité de chacun comme dans une audience correctionnelle, mais pour trancher une question de droit administratif : les décisions du préfet porte-t-elle «une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale» ? Oui pour l’écrasante majorité d’entre eux, a répondu la juge des référés en suspendant neuf des dix mesures dans la journée de mardi. «Le préfet de police ne produit aucun élément permettant de retenir qu'[ils ont] personnellement participé [aux] dégradations et violences» décrites dans les arrêtés.
«Troubles graves à l'ordre public»
Comme pour toutes les mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence, les autorités s’appuient sur des notes blanches, ces documents sans en-tête ni signature, émis par les services de renseignement. Les dix militants sont ainsi décrits par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris comme proches du collectif Action antifasciste Paris Banlieue (AFA) ou du Mouvement inter luttes indépendant (Mili) et «très actif[s] de la mouvance ultra-gauche». Ils ont de plus été vus dans «des manifestations [qui] ont dégénéré en troubles graves à l’ordre public et notamment de violents affrontements avec les forces de l’ordre». Ce qui fait bondir leur avocat, pour qui l’accusation tient du syllogisme : ils ont participé à des manifestations, ces manifestations ont connu des débordements, donc il y a un risque de débordement s’ils participent mardi. Et ce, alors qu’aucun «élément individuel» n’est produit.
En catastrophe, le représentant du préfet Cadot a tenté d’appeler la préfecture, pendant l'audience, pour fournir les procès-verbaux des interpellations alléguées mais démenties par les militants. Aucun n’arrivera. Une seule interdiction a été maintenue. L’intéressé aurait pris part à l’agression de deux militaires fin janvier à Paris. Affaire dans laquelle il n’a été ni entendu, ni poursuivi et encore moins condamné, précisent ses avocats.