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Pourquoi l’ex avocat d’Action directe a été interné 3 jours

Lien publiée le 29 mai 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

PÉTITION « VOUS NE FEREZ PAS TAIRE ME RIPERT »

http://lenvolee.net/petition-vous-ne-ferez-pas-taire-me-ripert/

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(Arrêt sur images) Un avocat "psychiatrisé", comme en URSS ? L'internement psychiatrique d'office durant trois jours de l'avocat Bernard Ripert, célèbre pour avoir défendu le groupe armé d'extrême-gauche Action directe dans les années 80 ou le braqueur Antonio Ferrara, a surpris et ému ses confrères grenoblois. Si les médias traitant du sujet se sont surtout focalisés sur le caractère ("rugueux" et provocateur) de ce défenseur "de rupture", peu se sont attardés sur ce qui pourrait être une autre explication : les relations particulièrement tendues, à Grenoble, entre avocats et magistrats.

"Je réfléchis depuis plusieurs heures. J'avais envie de vous dire que j'étais avocat au barreau de Grenoble et peut-être de vous parler de ce qui se passe chez nous. De vous dire que je n'aime pas beaucoup Ripert et que je sais sa violence, que je ne partage pas sa façon de travailler et de s'exprimer. De vous dire que quand même il se passe des choses préoccupantes chez nous et en dehors même de son cas. De vous expliquer qu'au-delà des procédures, nous sommes tous dans une émotion qui confine à l'hystérie. Que personne ici n'arrive à réfléchir sereinement lorsqu'il s'agit de Ripert. Que moi même je le trouve tellement odieux que j'ai mis très longtemps à entendre son propos. Mais que j'ai eu connaissance (par moi-même) de certains aspects du dossier et que j'ai commencé à douter. (...) Que je me demande ce qu'il se passera pour nous, petits avocats (je le dis sans honte) lorsqu'il sera abattu. Que j'ai un peu mal au bide du coup."

L'avocate grenobloise a twitté quelques heures après avoir appris l'arrestation, le placement en garde à vue et l'internement de son confrère Bernard Ripert. Sous pseudonyme. Aux journalistes qui l'interrogeaient, elle a expliqué qu'elle n'avait "pas la qualité pour en dire davantage". Quelques heures plus tard encore, elle a limité l'accès au compte Twitter sur lequel elle avait posté ce témoignage.

Ainsi vont les commentaires sur "l'affaire Ripert", qui a connu un épilogue (provisoire ?) le 25 mai avec sa libération sur décision du préfet : prudents, anonymes, souvent partagés à l'égard d'un avocat que l'on dit provocateur, mais outrés du sort qui lui a été réservé lundi 23 mai au matin lorsque la police est venue l'arrêter à son domicile.


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"ATTITUDE MENAÇANTE" CONTRE INTERPELLATION "GROTESQUE"

Si policiers et gendarmes sont venus, ce lundi matin, arrêter l'avocat, c'est qu'il ne s'est pas présenté au commissariat trois jours plus tôt. Il y était convoqué dans le cadre d'une enquête pour "acte d’intimidation envers un magistrat en vue d’influencer son comportement". L'acte d'intimidation ? Un regard échangé avec un magistrat de Cour d'appel qui venait de siéger dans une précédente affaire de discipline le concernant, regard jugé menaçant par des témoins.

Que se passe-t-il exactement lorsqu'on vient l'interpeller à son domicile, en début de semaine ? Pour le procureur, "il refuse de suivre [les forces de l'ordre]", qui décident alors "d'employe[r] la force nécessaire". Pour son épouse, citée par le site de veille juridique Dalloz actualités, ils l'interpellent "en le menottant de manière grotesque", alors qu'"il ne présentait aucun danger".

Il est conduit au commissariat, placé en garde à vue, puis conduit à l'hôpital en raison de son hypertension. C'est là qu'un médecin décide de son internement d'office. Pour quelle raison ? Faute de témoins, il faut s'en tenir à la seule version du procureur, Jean-Yves Coquillat : "L'avocat, insiste Jean-Yves Coquillat, aurait manifesté la volonté de tuer plusieurs magistrats avant de se suicider au palais", rapporte Dalloz Actualités.

RIPERT LE MAO

Les avocats grenoblois ne tardent pas à réagir. Le lendemain, le Conseil de l'ordre du barreau de Grenoble publie une motion pour dire sa "sidération devant les conditions de l'arrestation [de Me Ripert]". Les avocats du Conseil estiment qu'elles portent atteinte "à la présomption d’innocence, au secret médical et au respect de la dignité d’un confrère". Ils voient dans cette arrestation "une volonté manifeste d'anéantissement personnel et professionnel d'un avocat". Mercredi 25 mai au soir, le préfet de Savoie décide finalement de la levée de son hospitalisation sous contrainte.


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Bernard Ripert n'est pas n'importe quel confrère. Il a eu pour clients les terroristes d'Action directe, les braqueurs Antonio Ferrara et Christophe Khider, ou encore certains des accusés du (très médiatisé) double meurtre d'Echirolles. Sa méthode : la "défense de rupture", autrement dit la mise en cause de la légitimité de l'institution judiciaire. Lorsqu'il n'est pas occupé à préparer ces procès très suivis, il défend bénévolement des manifestants arrêtés ou des objecteurs de conscience, rappellent ses soutiens. À l'AFP (reprise ici par l'Express) l'ancien de la Gauche prolétarienne explique être devenu avocat "pour servir le peuple et la lutte du peuple". Action directe ? Des "militants politiques courageux", aux "analyses et aux actions erronées", estime-t-il aujourd'hui.

nouveau media

Défense de rupture, mode d'emploi 
(extrait du Monde du 5 mai 1994)

RIPERT, LE PROFESSIONNEL COMPÉTENT MAIS "RUGUEUX"

Si Ripert n'est pas un confrère ordinaire, c'est également grâce (ou à cause) de son tempérament. "Il a ses défauts. Mais il a toute sa place au barreau", avance timidement l'un de ses confrères grenoblois, interrogé par @si. "Oui, Bernard est excessif, il parle un peu trop souvent de Vichy. Mais hélas, nous sommes nombreux à penser que ce qui est en train de se passer lui donne raison", soupire Federico Steinmann, l'avocat qui administre le cabinet de Ripert. Et de poursuivre : "Il défend parfois ses clients avec virulence, dans un style qui lui appartient. Des confrères n'apprécient pas sa défense rugueuse. Mais nombre d'entre eux soulignent aussi son grand professionnalisme et sa grande connaissance de la procédure pénale."

Son "style" tempétueux ne vise pas uniquement les magistrats. Lors d'une session de cour d'assises, en mars 2015, Ripert aurait ainsi accusé un confrère de ne "pas se fatigu[er] beaucoup pour son client", relève le compte-rendu d'un conseil de discipline tenu en mai 2016 - à l'issue duquel Ripert a été relaxé.

Des mots parfois excessifs, mais un homme intègre : c'est également l'avis des 21 avocats signataires d'une tribune prenant la défense de Riperten 2014, alors qu'il était interdit d'exercer pendant un an à cause de ses excès de langage. "Bernard Ripert est un homme d’une parfaite intégrité, qui a toujours méprisé l’argent et les honneurs, pour se vouer à son métier d’avocat, avec passion. Une passion qui s’est gonflée de colère avec le temps, le poussant à crier toujours plus fort sa révolte envers la justice criminelle qu’il considérait comme excessivement injuste, répressive et discriminatoire : une justice de classe, à ses yeux de vieux militant marxiste".


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Ses références à Vichy et à la Seconde guerre mondiale, Ripert les mobilise souvent pour dénoncer les sanctions disciplinaires qui le visent. Il a déjà été condamné trois fois. Il a été "suspendu pendant un an en 2013 pour avoir qualifié une avocate de «roquet» et dit d’un président de cour d’assises qu’il avait «triché» et «menti»", rappelle l'AFP. Accusé devant un conseil de discipline d'avoir "manqué à la délicatesse, la courtoisie et la modération" dans une lettre adressée au directeur d'un centre pénitentiaire (où un incident avait opposé l'avocat à un surveillant l'accusant d'avoir introduit clandestinement un téléphone portable), il expliquera : "Je lui ai simplement demandé s'il pensait être encore en 1942 avec son surveillant minable". Pour protester contre sa suspension d'un an, en 2013, il choisit d'arborer sur sa robe "le triangle rouge des prisonniers politiques", relevait en novembre 2015 le Dauphiné Libéré.


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"La justice a-t-elle peur de Me Ripert ?", s'interroge le Dauphiné Libéré en novembre 2015

"UN CLIMAT DÉLÉTÈRE"

Un avocat engagé politiquement, et au tempérament rugueux : c'est sur ces deux aspects que s'attardent surtout les articles qui rendent compte de l'arrestation et de l'internement de Ripert. Ils brossent le portrait de "l'avocat historique d'Action directe", cette "terreur du barreau", "coutumier des coups d'éclat". Mais peu s'attardent sur ce qui pourrait être une autre piste : les relations tendues, à Grenoble, entre avocats et magistrats. Dans sa motion, le Conseil de l'ordre relève en effet que l'affaire "s’inscrit dans un contexte de dégradation massive des relations entre l’institution judiciaire grenobloise et les avocats". En quoi consiste cette dégradation ? A-t-elle pu jouer sur le traitement du "cas" Ripert par la magistrature ? @si a posé la question à des avocats et magistrats grenoblois.

"Avec la majorité des magistrats, cela se passe bien. Mais avec certains, les incidents se multiplient depuis quelques années, raconte l'avocat grenoblois (membre du Conseil de l'ordre) Serge Bozzarelli, interrogé par @si. Ce sont de petites choses, mais significatives d'une certaine tension : le bâtonnier qui n'est pas autorisé à parler lors de prestations de serment devant la cour d'appel... Autant de choses qui ne sont pas obligatoires, mais relèvent en principe de la courtoisie." L'avocat rappelle également une affaire qui avait particulièrement remonté le barreau grenoblois en 2012 : une avocate grenobloise, enceinte de huit mois, avait sollicité le renvoi d'un dossier pour raisons médicales, et avait eu la surprise de se voir convoquée par la police dans le cadre d'une enquête préliminaire pour "faux et production d'un certificat médical de complaisance". Ses collègues avaient alors multiplié les courriers au procureur et s'étaient mis en grève durant trois jours.


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Comment expliquer cette dégradation des relations entre magistrats et avocats ? "Les avocats grenoblois ont la réputation d'être un peu frondeurs, poursuit Bozzarelli. Lorsqu'il y a eu la réforme de la carte judiciaire, ça s'était beaucoup agité vers Grenoble. Nous avons le sentiment qu'à cause de cela, la hiérarchie veut nous mettre au pli." Une analyse partagée par son collègue Steinmann : "Nous avons l'impression que les magistrats arrivent tellement convaincus que les avocats de Grenoble sont ingérables qu'ils nous tiennent de court. Le climat est délétère", regrette ce dernier. "On a eu vent d'un discours de fermeté très important venant de la présidence du Tribunal de grande instance. Avec pour consigne, notamment, de refuser les demandes de renvoi et de limiter le temps de parole des avocats", poursuit le conseil. Une information pour le moment invérifiable (cf. ci-dessous).

MAGISTRATS MUETS

Dans ce contexte, quid de l'affaire Ripert ? Est-elle la cause ou la conséquence de cette dégradation ? A-t-il "pris pour les autres", ou au contraire contribué à tendre les relations ? "Dès qu'on essaie de souligner une problématique particulière, on nous répond sur le cas Ripert. C'est devenu un prétexte pour ne pas discuter de ce qui ne va pas. On nous répond : « Certains d'entre vous font du terrorisme judiciaire »", rapporte Steinmann.

"Je suis avocat depuis 1991. Les relations entre le palais de justice et l'ordre [des avocats] ont toujours été compliquées. Mais dans le dossier Ripert, il y a clairement la volonté, côté magistrats, de détruire l'un de nos confrères", analyse maître Thierry Aldeguer. Parmi cette "hiérarchie" soucieuse de ne pas se laisser déborder par les "frondeurs" grenoblois en général, et par Ripert en particulier, un nom revient régulièrement : celui du procureur Jean-Yves Coquillat. Comme l'avocat, il est parfois décrit comme "rugueux". Parmi ses ambitions affichées, au sein des différents postes qu'il a occupés : réduire la durée entre le prononcé des peines et leur exécution. Pour l'épouse de Ripert, Coquillat aurait fait de la radiation de l'avocat d'Action directe "une affaire personnelle".

Et côté magistrats, comment perçoit-on ces relations ? On ne le saura pas (pour le moment). Contactés par @si, aucun des deux principaux syndicats de la profession - le Syndicat de la magistrature et l'Union syndicale des magistrats - n'a souhaité s'exprimer sur le sujet. Le procureur, également sollicité, nous a fait savoir qu'il ne s'exprimait pas sur ce dossier.