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Mettre au pas

Lien publiée le 13 juin 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/debats/2016/06/13/mettre-au-pas_1459159

Grévistes, amateurs de foot, collégiens, étudiants, manifestants encapuchonnés : tout le monde doit se tenir à carreau. Ne pas voir une seule tête dépasser au nom de l’ordre libéral ?

De mes années d’étudiant, je n’ai vraiment retenu qu’une chose importante : un fait ne signifie rien en lui-même. Seuls plusieurs faits mis en convergence permettent de tirer une conclusion. Les collégiens et leurs parents bastonnés par les flics devant un collège de Saint-Malo ne protestaient pas contre la loi travail mais seulement contre la fermeture programmée de l’établissement. Au même moment, à Rennes, des journalistes - donc, des témoins - étaient eux aussi cognés par d’autres flics lors d’une manif contre cette même loi travail. Pourquoi ces violences ? Parce qu’il faut mettre au pas toute forme de contestation. En fait, il s’agit d’un puzzle protéiforme n’ayant qu’un but : imposer le libéralisme débridé dont l’épanouissement nécessite un périmètre «normalisé». Pour ça, il faut mettre le pays au pas, faire taire toute contestation. Aucun mal à imposer ce libéralisme en Asie ou en Russie puisque la population déjà mise au pas par un Etat militaro-policier espérait en tirer des avantages. Ces mêmes systèmes politiques demeurés en place (ou habillés de nouveaux oripeaux) se contentent aujourd’hui de contenir les contestations tout en se gavant d’une corruption à caractère mafieux (ce qui ne choque pas grand monde, la corruption appartenant à ces pays depuis des siècles). Ici, la population ne voit au contraire que des désavantages à un libéralisme dont elle constate les dégâts. D’où la nécessité de la mettre au pas. De multiples façons. Que ce soit par la répression policière des manifestations, le climat militaire de l’état d’urgence mais aussi d’innombrables signaux afin d’obtenir la soumission. D’où, pêle-mêle, les saillies morgueuses de Macron, les coups de menton de Valls mais aussi la nouvelle loi sur l’usage des armes à feu par la police et la gendarmerie, et, surtout ces messages médiatiques induisant la peur. Premier message transmis directement par le pouvoir : avec la droite, ce sera pire. Et ensuite, en vrac, peur de la pénurie d’essence, des grèves, des inondations - le ciel qui nous tombe sur la tête -, de Cantona, de Benzema, de la CGT, du moustique tigre et surtout des attentats pendant l’Euro (sujet plus débattu que «les Bleus peuvent-ils gagner la compétition ?») ou le Tour de France. Samedi matin, sur France Inter, frère Bauer, criminologue en peau de lapin, vigile en chef du clan Valls, en agitait le spectre, telle une crécelle de lépreux. Tout le monde doit avoir peur, tout le monde doit se tenir à carreau, collégiens, parents d’élèves, étudiants, grévistes, amateurs de foot ou de vélo, manifestants porteurs de tee-shirt ou encapuchonnés. Ne voir qu’une tête et pas une oreille qui bouge, c’est à ce prix chinois que Macron (comme Hervé Novelli, il y a quelques années) espère l’émergence une poignée de jeunes milliardaires.

Mais pourquoi des ministres qui se détestent mutuellement et qui dans moins d’un an passeront à la broyeuse des élections tiennent-ils donc à imposer par la force et la soumission des esprits une loi scélérate qui n’aura pas même le temps de produire un effet sur l’emploi ? Elle constitue leur acte d’allégeance personnel au libéralisme et au patronat. Jetés des ministères, ils mettront alors leur carnet d’adresses à la disposition du privé. Ils pourront même expliquer aux responsables des ressources humaines comment niquer la loi. Quelques-uns, redevenus députés ou sénateurs, prolongeront leur carrière de perroquet histrionique, façon de faire écho devant les caméras au pire promis par la droite. Accessoirement, ils représenteront au parlement les lobbys pour lesquels travailleront leurs ex-collègues.

En attendant, il faut que ça file doux. Des carottes pour les profs et les intermittents. Du bâton pour la rue. Quitte à cogner des gosses. Ou estropier un journaliste à coups de grenade. Après tout, la mort de Rémy Fraisse n’a pas entraîné une déferlante d’indignation et le gendarme auteur du tir ne sera pas jugé. Emmanuel Todd parle de «fascisme rose».François Ruffin de «socialisme en phase terminale». On peut aussi reprendre le «Moulag», mot inventé par Bernard Chapuis, rockeur lettré.

Michel Embareck