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Les socialistes espagnols refusent de faciliter la reconduction de Rajoy

Espagne

Lien publiée le 10 juillet 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Les dirigeants du PSOE comme de Podemos ont tenu samedi 9 juillet deux réunions clés, alors que l'Espagne est toujours sans gouvernement. Les premiers ont prévenu qu'ils ne faciliteraient pas l'investiture du sortant, Mariano Rajoy. Les seconds, eux, commencent à analyser leur défaite avec Pablo Iglesias qui prédit la « normalisation » de Podemos. La droite espère former un gouvernement fin juillet.

À cause de la fusillade de Dallas, Barack Obama a écourté d’un jour son séjour en Europe, et annulé son déplacement à Séville. Il se contentera dimanche d’une escale à Madrid pour échanger avec le chef du gouvernement sortant, Mariano Rajoy (PP, droite). Le président des États-Unis a tout de même souhaité maintenir de brefs entretiens avec les trois candidats de l’opposition, Pedro Sánchez (PSOE), Pablo Iglesias (Podemos) et Albert Rivera (Ciudadanos), qui devraient se dérouler à l’aéroport militaire de Torrejón de Ardoz, non loin de Madrid, juste avant son envol, en milieu d’après-midi, pour Washington. 

Barack Obama a sans doute préféré rester prudent, face à la crise politique espagnole ouverte par les législatives du 20 décembre 2015. Si Mariano Rajoy semble le mieux placé, depuis les générales du 26 juin, pour présider le prochain exécutif, les incertitudes sont encore nombreuses. Certains s’interrogent déjà, dans la presse espagnole, sur la probabilité de la tenue de troisièmes législatives consécutives, en novembre 2016. 

Dans un discours très attendu – il était resté silencieux depuis 13 jours –, Pedro Sánchez a prévenu samedi lors d’un comité fédéral du PSOE que son parti voterait contre l’investiture de Rajoy. Et qu’il n’était pas question que les 85 députés socialistes s’abstiennent, pour faciliter la formation d’un gouvernement minoritaire emmené par le PP. « Rajoy ne peut pas exiger notre soutien. Nous sommes l’alternative au PP, nous ne pouvons pas être la solution. Qu’il se trouve d’autres alliés », a lancé le leader socialiste. « Pour que l’on puisse construire une opposition, il faut qu’il y ait un gouvernement, a-t-il poursuivi. Que Rajoy se mette à travailler pour de bon, et qu’il soit à la hauteur des responsabilités […] Qu’il ne compte pas avec les socialistes. »

 L'intervention de Pedro Sánchez devant le comité fédéral du PSOE le 9 juillet 2016.


Le PP est sorti vainqueur des législatives de juin, avec 137 sièges (33 % des voix). Des quatre principaux partis, il est le seul à avoir amélioré son score, en voix comme en pourcentage, par rapport aux législatives de décembre 2015. S’il scelle une alliance avec Ciudadanos le parti de centre-droit (32 sièges, 13 %), il ne manquerait au PP que sept sièges pour former une majorité absolue au sein du Congrès des députés (qui compte 350 sièges). Mariano Rajoy mise sur l’abstention à la dernière minute de certains socialistes, prêts à se sacrifier pour sortir l’Espagne de la crise politique, et empêcher le retour aux urnes. Certaines figures de la vieille garde socialiste, comme l’ex-chef du gouvernement Felipe González, ou l’ex-président du parlement européen Josep Borrell, ont ainsi plaidé pour une abstention « sous conditions » du PSOE, pour débloquer la crise politique. 

Mais le discours de Sánchez, samedi, complique le scénario d’une investiture rapide de Rajoy dès le vendredi 27 juillet, comme le PP l’espère. Aux yeux de la plupart des barons locaux du PSOE, les résultats du 26 juin ont confirmé le statut de Sánchez comme principale figure de l’opposition au PP. Il n’est donc pas possible de commencer ce travail d’opposition en facilitant l’investiture de Rajoy. Au sein du parti socialiste, ils ne sont qu’une minorité, emmenée par le chef des socialistes catalans Miquel Iceta, à exhorter le PSOE à ne pas se cantonner à l’opposition, et tenter de former, coûte que coûte, une majorité alternative au PP, avec Ciudadanos et la coalition Unidos Podemos. 

Les socialistes ont l’impression d’avoir beaucoup travaillé à former une majorité, après les législatives du 20 décembre, à l’inverse du PP, qui s’est tenu à l’écart des négociations. Et c’est le parti de Mariano Rajoy qui s’est trouvé conforté dans les urnes. Cette fois, Sánchez exhorte donc Rajoy à se mouiller davantage. Cette stratégie du « non » à Rajoy n’est pas sans risques, juge samedi un éditorialiste d’El País (quotidien qui a fait campagne, au printemps, pour une grande coalition PP-PSOE-Ciudadanos) : « Cette monosyllabe sans équivoque, entrouvre, même si cela paraît invraisemblable, l’hypothèse de troisièmes législatives. Et oblige surtout Rajoy, pour empêcher une répétition du scrutin, à travailler sur l’anathème qu’il a lancé contre les nationalistes. » 

Si les socialistes maintenaient, d’ici fin juillet, leur abstention, Rajoy n’aurait d’autre choix que d’aller chercher des voix du côté de certains partis régionalistes, comme les Basques du PNV (cinq députés). Cela pourrait prendre du temps. Madrid est censé envoyer à Bruxelles une première version de ses budgets pour l’année 2017 d’ici fin août. Il faudrait donc un accord d’ici fin juillet. En réaction au discours de Sánchez, Rajoy a déclaré samedi que « répéter les élections serait une folie », et promis qu'il réalisera « tous les efforts dont il est capable » pour former un gouvernement « le plus rapidement possible ».

Tout cela ne peut fonctionner que si le PP et Ciudadanos parviennent, en amont, à s’entendre. Jusqu’à présent, Albert Rivera, le chef de « Cs », avait fait du départ de Rajoy, au cœur de plusieurs scandales de corruption, la pré-condition à toute alliance avec le Parti populaire. Mais ce discourssemblait ces derniers jours évoluer. Une réunion Rajoy-Rivera doit se dérouler mardi à Madrid, où serait évoqué, en priorité, le fond de certains dossiers économiques et budgétaires.

Iglesias : vers une « normalisation » de Podemos

Dans son discours samedi, Pedro Sánchez a, une fois encore, étrillé Pablo Iglesias, son rival qui lui conteste l’« hégémonie » à gauche : « Je suis convaincu que nous assistons au déclin électoral d’Iglesias, et au renforcement du PSOE, s’est-il félicité. L’alternative au PP reste le PSOE. La majorité des électeurs progressistes a freiné le conglomérat de 25 sigles d’Iglesias. » Le socialiste fait ici référence à la coalition Unidos Podemos, née du rapprochement d’Izquierda Unida (IU) (communistes) avec Podemos au printemps 2016, alors que Podemos a par ailleurs conclu des accords avec des partis régionalistes, par exemple en Catalogne ou en Galice, donnant lieu à une multiplication de sigles et de plateformes différentes, pas toujours simples à identifier pour les électeurs.

L’intéressé, Iglesias, n’a pas manqué de répondre aux piques de Sánchez, alors qu’il participait samedi à Madrid à la première réunion du « conseil citoyen », une entité qui regroupe quelque 80 dirigeants de Podemos, après l’échec du 26 juin. Une fois encore, Iglesias a jugé les critiques socialistes « pathétiques », parce qu’il « se trompe d’ennemi », et que le PSOE devrait être davantage « inquiet face au PP que face à Podemos ». À Podemos, on maintient l’appel à essayer de former un gouvernement des gauches PSOE-Podemos, si Rajoy échoue fin juillet. Mais l’option, sur le papier, semble très difficile, et les bisbilles entre Iglesias et Sánchez n'arrangent rien.

Depuis dix jours, le parti co-fondé par Iglesias est entré dans une période d'intense réflexion. Ses dirigeants cherchent à comprendre la contre-performance du 26 juin. En décembre 2015, Podemos avait séduit 5,1 millions de citoyens, et IU un peu plus de 900 000. En juin 2016, l’alliance Unidos Podemos, elle, n’a pas rassemblé plus de cinq millions de voix. Le taux d’abstention, lui, a grimpé de trois points, d’une élection à l’autre. En résumé, même si le nombre de sièges récoltés reste identique, un million d’électeurs de gauche ont décidé, en juin, de rester chez eux. Chacun, depuis, tente d’apporter l’explication à cette dégringolade. 

 

Le discours de Pablo Iglesias en ouverture du conseil citoyen de Podemos, le 9 juillet 2016, à Madrid.


Pour Juan Carlos Monedero, co-fondateur de Podemos (et très proche d’Iglesias), c’est avant tout le résultat d’une « campagne de peur » orchestrée par les grands médias du pays et les principaux partis politiques, qui se sont plu à caricaturer les dirigeants de Podemos en dangereux chavistes. Certains électeurs de Podemos semblent par ailleurs avoir rechigné à voter pour une coalition avec IU, parti associé à de lourds scandales de corruption dans la région de Madrid en particulier. À l’inverse, des électeurs traditionnels d’IU ont, semble-t-il, préféré s’abstenir, déstabilisés par la stratégie agressive mais aussi parfois incohérente de Podemos, qui a tout à la fois appelé à devenir la « nouvelle social-démocratie » à la place du PSOE, et multiplié les appels à la « patrie » pour séduire d’ex-électeurs du PP. À cela s'ajoute sans doute l'épuisement de cadres d'un parti encore très jeune, confrontés à la répétition d'élections municipales, régionales et législatives à un rythme très soutenu depuis mars 2015.

Dès le 4 juillet, lors d’un séminaire de travail, Pablo Iglesias estimait que les élections du 26 juin marquaient la fin d’un cycle politique. Lors du congrès fondateur de Vistalegre en octobre 2014 (auquel Mediapart avait assisté), Podemos avait fixé son objectif : « prendre le ciel d’assaut », parce qu’une fenêtre d’opportunité s’était ouverte à ses yeux. Désormais, cette fenêtre vient de se fermer : « C’est la fin de l’hypothèse du “blitz”, de la guerre de mouvements, de l’assaut », a prédit l’ex-professeur de sciences politiques.

L’heure est à assumer l’opposition au PP, depuis le cœur des institutions. Podemos doit donc s’attendre à devenir « un parti normal », a pronostiqué Iglesias. Et cette stratégie s’annonce forcément risquée : il faudra éviter de tomber dans le « crétinisme » parlementaire, pour que Podemos reste un objet « sexy ». Sans langue de bois, Iglesias a résumé l’affaire : « Il est possible que l’on remporte les élections dans quatre ans. Ou alors que l’on se prenne une dégelée, dans des proportions stratosphériques… » 

À ce stade, Podemos traîne des pieds pour organiser un nouveau congrès, de peur d'exacerber les tensions en interne. Selon les statuts du parti, il doit avoir lieu d’ici octobre 2017. Iglesias et ses proches parlent d’un rendez-vous fin 2016 ou début 2017 pour fixer un nouveau cap. La période ne sera pas simple à gérer pour Iglesias, dont le leadership va être de plus en plus contesté. En interne, la guerre des clans pourrait éclater, comme ce fut le cas au printemps 2016, lorsque Iglesias a expulsé de la direction l'un de ses adversaires. De ce point de vue, le score du 26 juin prépare sans doute le terrain à une bataille des chefs, entre Iglesias, partisan de l’alliance avec IU, au style très clivant, et Iñigo Érrejón, numéro deux du mouvement, théoricien de la transversalité (« ni droite ni gauche »), opposé à l’alliance avec IU, et dont le style plus pragmatique (et au fond, les convictions plus nettement sociales-démocrates) pourrait séduire davantage, à moyen terme.