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Espace public et démocratie

Lien publiée le 28 août 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Espace public et démocratie

L'espace public impose une pacification politique et sociale. l'idéologie citoyenniste permet de désamorcer les conflits sociaux.

La vie urbaine reste organisée et planifiée pour empêcher les rencontres et la spontanéité. L’urbanisme détermine notre quotidien et impose une manière de circuler et de vivre. Manuel Delgado propose une critique de l’urbanisme dans son livre L’espace public comme idéologie. L’aménagement capitaliste du territoire et de la promotion immobilière visent à créer un espace aseptisé et sécurisé.

« Cela fait longtemps que les architectes et les urbanistes ont pour fonction d’éviter que la vie urbaine ne soit la vie tout court », ouvre Manuel Delgado. L’urbanisme impose une manière d’occuper et d’employer l’espace. Les lieux publics, espaces de rencontres, sont remplacés par la notion de philosophie politique d’espace public. L’urbain doit devenir sage et policé, sans risque ni aspérité.

L’espace publie renvoie au « rêve impossible d’une classe moyenne universelle et sûre d’elle-même, aspirant à vivre dans un monde fait de consensus négociés et d’échanges communicationnels purs entre êtres éclairés, en accords et responsables, un monde sans convulsions ni incidents », analyse Manuel Delgado. Cette société pacifiée permet de gommer les inégalités sociales avec une bonne conscience citoyenne. Le conflit, la lutte et la dissidence doivent être éradiqués. Le vivre ensemble citoyen doit remplacer l’affrontement entre les intérêts opposés.

Citoyennisme et pacification sociale

L’espace public repose sur le consensus. « Il devient une avant-scène sur laquelle on aimerait que se déploie une masse ordonnée d’êtres libres et égaux utilisant cet espace pour aller travailler et consommer et circulant, pendant leurs moments de loisir, en toute tranquillité au milieu d’une oasis de courtoisie », ironise Manuel Delgado. Le processus de gentrification s’accompagne du contrôle de certaines rues et places. Les opérations de promotion immobilière imposent la pacification et la sécurité.

Le discours sur l’espace public provient de la philosophie politique. Il désigne la sphère publique, avec la réunion pour l’exercice du pouvoir et les affaires qui concernent la vie en commun. Désormais, l’espace public impose une morale de « bonne conduite citoyenne ». Il permet une rationalisation démocratique de la politique. L’espace public correspond à l’idéologie citoyenniste, « ce refuge doctrinal où se nichent les derniers restes de gauche de la classe moyenne, et une bonne partie des restes du mouvement ouvrier », précise Manuel Delgado.

La démocratie n’est plus considérée comme une forme de gouvernement, mais comme une manière de vivre. L’espace public correspond à la social-démocratie qui souhaite harmoniser le capitalisme pour atteindre la paix sociale. L’exploitation doit alors perdurer, mais en limitant ses effets négatifs et les révoltes sociales. L’Etat doit ainsi encadrer le capitalisme pour limiter ses « excès ».

Cette idéologie occulte les classes sociales et les individus ne se rassemblent pas selon leurs intérêts mais selon leurs jugements moraux approbateurs ou désapprobateurs. L’Etat, considéré comme neutre, peut s’élever au-dessus des affrontements entre intérêts antagonistes. Cette médiation vise à camoufler la relation d’exploitation. L’Etat peut ainsi masquer sa défense des intérêts de la classe dominante. La violence et la répression ne sont plus le seul moyen de la domination de classe, qui s’appuie désormais davantage sur le consentement.

Espace public et démocratie

Contrôle de l’espace et des foules

L’espace public renvoie également à des lieux comme la rue, le parc, la place. Cet espace public concret reste soumis à l’Etat et à des lois. Les principes démocratiques organisent la circulation des initiatives et des idées. « Dans ce cadre, le conflit ne peut être perçu que comme une anomalie, ou, pire, comme une pathologie », observe Manuel Delgado. Les classes et secteurs opposés aux pouvoirs doivent abandonner leur lutte. La conciliation, la bonne conduite et les normes de comportement s’imposent.

La sociologie met également en avant le concept de public. Durkheim tente de trouver une troisième voie entre socialisme et libéralisme. Il valorise la médiation de l’Etat et des institutions. Tarde, Le Bon ou Dewey insistent sur la notion de public et sur la pacification d’une agitation sociale menée par les masses urbaines. Les sociologues dénoncent la « populace » et l’anomie urbaine. La psychologie des masses, incarnée par Le Bon, dénonce une foule infantile, criminelle, bestiale et primitive.

John Dewey insiste sur l’importance d’un public raisonnable qui soumet ses convictions à l’épreuve du débat et de la délibération. Cette philosophie propose une démocratisation et une pacification des foules urbaines. La pédagogie, l’éducation et le « civisme » doivent imposer les bonnes conduites citoyennes. « Un dispositif pédagogique est déployé dans ce but, concevant l’ensemble de la population, et pas uniquement les plus jeunes, comme des apprentis permanents de ces valeurs abstraites de citoyenneté et de civilité », souligne Manuel Delgado.

L’anonymat, la distance et la séparation caractérisent les relations sociales dans l’espace urbain. Les individus se soumettent à des règles de socialisation. « Ils doivent savoir comment se comporter, comment gérer les relations d’autrui et répondre aux attentes de l’interaction », observe Manuel Delgado. L’ordre public devient indispensable à la vie sociale. Les concitoyens doivent vivre ensemble en ordre. « Le citoyennisme comme idéologie politique devient le civisme ou la civilité comme ensemble de conduites appropriées dans les domaines du bien public », précise Manuel Delgado. Le consensus prédomine, encadré par des autorités administratives considérées comme neutres.

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Révoltes sociales

Les nouveaux mouvements sociaux se caractérisent par une spécialisation et une séparation des luttes. Un nouveau militantisme regroupe « des individus ou des collectifs qui se réunissent et agissent au service de causes hyper-concrètes, à des moments ponctuels et sur des scènes spécifiques, en renonçant à toute organicité ou structuration durable, à toute affiliation doctrinale claire ou à tout projet transformation ou d’émancipation sociale qui aille au-delà d’un vitalisme plutôt flou », analyse Manuel Delgado. Cet activisme sans réflexion politique se conforme à l’individualisme consumériste. Le réseau est valorisé, à travers l’addition d’individus séparés et le règne de l’immédiateté.

La contestation se développe dans l’espace public. Les manifestations se déroulent en centre ville. Les luttes de quartier permettent aux habitants d’agir sur leurs conditions de vie. L’urbanisation récente se caractérise par la construction de grands ensembles pour loger une importante population dans des immeubles qui se délabrent rapidement. Cette planification de la ségrégation s’apparente à des « bidonvilles verticaux ». Mais ces logements peuvent également devenir des espaces de rencontre et de vie collective qui favorisent la mobilisation pour la lutte sociale.

Des révoltes spontanées éclatent dans ces quartiers populaires qui regroupent la misère. « Il s’agit de véritables émeutes menées par des secteurs insoumis de la population, et particulièrement des jeunes, fils de l’ancienne classe ouvrière – ou, dans la plupart des endroits, de l’immigration et des rapatriements postcoloniaux – qui se rebellent contre l’état de prostration auquel on les a acculé », observe Manuel Delgado. Les pratiques du syndicalisme de classe se déplacent de l’usine au quartier.

Dans les quartiers populaires, les gens se voient et se rencontrent au quotidien. Ils échangent leurs impressions et leurs sentiments. La révolte peut alors rapidement se diffuser. L’histoire montre que les espaces de concentration des classes populaires deviennent des foyers de révoltes.

Espace public et démocratie

Conflits de classe

Manuel Delgado propose une critique pertinente de l’idéologie citoyenniste. Mais ses analyses restent trop générales et pas assez précises lorsqu’il s’agit d’évoquer la nature de classe du discours citoyenniste. Il montre bien l’origine de cette idéologie. Il évoque la notion de classe moyenne, encore un peu floue. Il faudrait préciser qu’il s’agit surtout d’une petite bourgeoisie intellectuelle. Les cadres, les ingénieurs, les enseignants, les journalistes, les communicants véhiculent cette idée d’une société pacifiée. La politique se réduit à des discussions entre gens de bonne compagnie. Surtout, cette petite bourgeoisie intellectuelle se confond avec la classe d’encadrement. Elle regroupe les managers et les petits chefs dans les entreprises mais aussi les travailleurs sociaux. Ces professionnels ont pour fonction de désamorcer toute forme de conflit social. L’idéologie citoyenniste leur correspond bien.

Manuel Delgado montre comment la ville et son contrôle reflète cette mouvance citoyenniste. Les mairies et leurs services de communication sont souvent contrôlés par la petite bourgeoisie intellectuelle. C’est alors l’image d’une ville joyeusement aseptisée qui est valorisée. Aucun conflit ni moindre trace de négativité ne doivent transparaître dans le discours public. La démocratie participative devient d’ailleurs un nouvel instrument de contrôle. La supposée concertation doit désamorcer la contestation.

Mais Manuel Delgado montre bien que les villes, et notamment les quartiers populaires, ne se laissent pas toujours domestiquées. L’espace urbain reste un foyer de contestation avec des révoltes et des émeutes qui ne risquent pas de disparaître. Les chômeurs, les précaires mais aussi les employés et les ouvriers restent réticents à se fondre dans un citoyennisme frivole. Pourtant, malgré quelques explosions spontanées, la conscience de classe semble disparaître. C’est peut-être la plus grande force de l’idéologie citoyenniste.

La petite bourgeoisie intellectuelle, qui contrôle aussi les syndicats et la gauche, ne se contente pas de défendre ces intérêts propres. Elle impose son discours et fait passer ses intérêts spécifiques pour l’intérêt général. Le citoyennisme brouille les clivages de classe. Mais l’expérience vécue du chômage, de la précarité, du mal logement permettent aux classes populaires de se tenir à distance du bavardage citoyenniste. Lorsque la résignation et la séparation disparaissent, l’espace public permet la propagation de la révolte.

Source : Manuel Delgado, L’espace public comme idéologie, traduit par Chloé Brendlé, CMDE, 2016

Pour aller plus loin :

Textes publiés sur le site Anticitoyennisme

La peste citoyenne - La classe moyenne et ses angoisses, publié sur le site Marseille Infos Autonomes le 11 juin 2015

Alain C, L’impasse citoyenniste. Contribution à une critique du citoyennisme, publié sur le site Infokiosques le 19 juillet 2007

Vanina, Le sécuritaire et son socle idéologique, publié dans le journal Courant alternatif hors-série n°10 - 2e trimestre 2005

Manuel Delgado, Dynamiques identitaires et espaces publics, publié sur le site "Nouveau millénaire, Défis libertaires"

Anna Juan Cantavella. Espace urbain, art et utopie. Une approche critique de la dimension utopique dans l'artiation des espaces urbains de la ville, thèse datée de 2009

Nadja Monnet, Qu’implique flâner au féminin en ce début de vingt et unième siècle ? Réflexions d’une ethnographe à l’œuvre sur la place de Catalogne à Barcelone, publié sur le site e-publicspace.net