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    J’ai croisé mon député socialiste

    Fakir Ruffin

    Lien publiée le 30 septembre 2016

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://fakirpresse.info/j-ai-croise-mon-depute-socialiste

    Ce jeudi, sur le parking de Bigard, j’ai croisé mon député socialiste.
    L’occasion, pensait-on, d’une discussion chaleureuse.
    Mais on a failli assister à une noyade…

    Ce jeudi, le groupe Bigard, le n°3 européen de la viande, annonçait aux 84 salariés la fermeture de son site d’Ailly-sur-Somme (voir notre tract ici). On se trouvait sur le parking, entre le thermos de café et les chasubles CGT quand on a repéré un bonhomme en costume.
    « C’est pas le député, lui ?
    - Si si. »

    Pascal Demarthe, élu PS de ma circo.
    Suppléant de Pascale Boistard, entrée au gouvernement.
    Je ne l’avais jamais vu en vrai, lui.
    C’est toujours différent sur les photos.
    On s’est approchés pour discuter : c’est notre parlementaire à nous aussi, après tout !

    François Ruffin : Bonjour, Monsieur. (On est polis.) D’après nos données, le groupe Bigard a reçu des aides de l’Etat, l’an dernier, à hauteur de 32 millions d’euros. Dont 11 millions de Crédit Impôt Compétitivité Emploi. Et là, ils ferment le site d’Ailly…
    Pascal Demarthe : Ce qu’on peut dénoncer, en effet, c’est qu’il ait reçu des subventions et qu’il ait investi ailleurs.
    François Ruffin : Mais vous ne pouvez pas les reprendre, ces 32 millions ? C’était fait pour créer de l’emploi…
    Pascal Demarthe : Non, c’était fait pour investir, et ils ont investi. Sur d’autres sites, mais ils ont investi. Les emplois, en théorie, doivent arriver après, c’est une conséquence.
    François Ruffin : Quand même, dans « Crédit impôt compétitivité emploi », y a « emploi ». Là, ils suppriment des emplois. Vous n’allez pas reprendre les 32 millions ?
    Pascal Demarthe : Ce n’est pas possible. Vous pointez là, à mon avis, une faille du système : il n’y a pas eu de fléchage.
    François Ruffin : Pourquoi vous l’avez fait, alors ? Là, vous donnez 32 millions à un groupe qui est déjà bénéficiaire ? Sans la moindre condition ?
    Pascal Demarthe : Vous avez raison, on l’a bien dit : il n’y a pas de conditions, et ça, en effet, on peut le regretter.

    Je me pince.
    Le plus étrange, dans cet échange, c’est que Pascal Demarthe parle de cette mesure comme si elle lui était étrangère. Comme si elle n’avait pas été voulue par un président socialiste, mise en œuvre par un gouvernement socialiste, votée par des députés socialistes – dont, à l’époque, Pascale Boistard.
    Allons-y pour l’estocade.

    François Ruffin : Le problème, avec vous, le PS, c’est que, ici, dans vos circos, vous venez dire « on est avec vous, on est de gauche », mais à Paris, vous votez des lois de droite, avec des dizaines de milliards pour le patronat, avec des contrats de travail précarisés…
    Pascal Demarthe : Ah mais…

    Silence.
    Un long silence.
    Un très long silence.
    Avec des borborygmes au milieu : « nous… non… nous… mais… »
    Je compte.
    Un… deux… trois… quatre… cinq…
    Je regrette de ne pas avoir un chronomètre, pour mesurer combien ça dure.
    Dix secondes.
    Quinze secondes.
    Je regrette de ne pas avoir une caméra, un téléphone, pour enregistrer ça.
    Car le type fait des gestes.
    Agite ses bras.
    Il se noie en direct.

    Pascal Demarthe : Nous, on le constate… vous et moi… sur le terrain… je pense que, effectivement, y a une faille… 
    Un bonhomme (son assistant ?, un élu local ?) qui vient le sauver : Il y a une faille dans le dispositif, etc.
    Pascal Demarthe, se ressaisit : Ce que je peux déplorer, vraiment, c’est que nous on demande, depuis deux ans, à être reçus dans l’entreprise, avec la maire, de pouvoir visiter, mais le groupe Bigard a toujours refusé. Il n’a même pas répondu !

    À cet instant, vous voulez que je vous dise ce que j’éprouve pour ce député ?
    De la pitié.
    On ne veut pas être méchant.
    Il a déjà l’air si fragile, si perdu.
    Sinon, on lui aurait bien demandé pourquoi, alors, depuis deux ans, depuis quatre ans même, avec un président socialiste, un gouvernement socialiste, des députés socialistes, pourquoi ils ne votent pas des lois pour diminuer le pouvoir des actionnaires ? Pour qu’entrent dans les Conseils d’administration des salariés, des élus, des consommateurs ? Pour que la démocratie ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise, qu’on donne plus de pouvoir aux employés, aux syndicats ? Pour que Bigard et les autres soient contraints d’ouvrir leurs portes et leurs comptes ?
    Pourquoi, à l’inverse de tout ça, depuis ans, depuis quatre ans, Pascal Demarthe et ses collègues votent-ils des lois, CICE, Pacte de responsabilité, Loi Travail, qui renforcent le pouvoir des actionnaires ? Qui délivrent des dizaines de milliards aux financiers sans le moindre contrôle ? Qui flexibilisent l’emploi, cassent le CDI, pour nous ramener lentement à la féodalité, au bon vouloir des maîtres ?
    J’allais l’interroger sur tout cela.
    Mais j’ai eu peur que, à nouveau, il se noie.

    Je me suis éloigné, donc, me souvenant de son incompétence affichée.
    C’était au printemps dernier.
    On l’avait invité à débattre avec nous, en public, où il le souhaitait, quand il le souhaitait, sur les questions d’industrie et d’emploi.
    Il nous avait répondu une longue lettre, se défilant savamment. Sur l’industrie, sur l’emploi, Pascal Demarthe s’y déclarait incompétent.
    On avait apprécié la franchise.
    Et un peu dommage, quand même, pour un député qui compte la Zone industrielle sur la circonscription…
    Enfin, c’est pas ça qui va sortir les 84 salariés, et leurs 84 familles, de la panade.