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Le Venezuela au bord du précipice

Venezuela

Lien publiée le 5 octobre 2016

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http://www.anti-k.org/2016/10/04/le-venezuela-au-bord-du-precipice/

3 oct. 2016 -PAR YVES BESANÇON -BLOG : LIBRES PENSÉES……

La République bolivarienne du Venezuela, ébranlée par une crise à la fois économique, politique et humanitaire, est en passe, dans sa chute vertigineuse, de retrouver un niveau de son produit intérieur brut (PIB) par habitant inférieur à celui du début des années… soixante ! Radiographie d’un chaos économique inédit dans l’histoire pétrolière du pays.

La République bolivarienne du Venezuela, ébranlée par une crise à la fois économique, politique et humanitaire, est en passe, dans sa chute vertigineuse, de retrouver  un niveau de son produit intérieur brut (PIB) par habitant inférieur à celui du début des années… soixante ! Bien évidemment, cette crise économique est à mettre en relation avec la diminution sensible du prix du pétrole à partir de 2013 – le cours du Brent passant en moyenne annuelle de 112 à 40 dollars entre 2012 et le premier semestre 2016 -, dans le cadre d’une économie nationale caractérisée par la « monoculture pétrolière ». Pour autant, la baisse du prix de l’or noir ne saurait tout expliquer du cataclysme en cours. Radiographie d’un chaos économique inédit dans l’histoire pétrolière du pays.

Le naufrage en chiffres
La détérioration des principaux indicateurs du tableau de bord de la santé économique et sociale, depuis 2014, donne carrément le tournis :  une récession qui prend les allures d’une dépression avec une chute du PIB de 3,9 % en 2014, 5,7 % en 2015, et une baisse prévue de 8 % en  2016 et de 4,5 % en 2017, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international  (FMI) ; toujours selon le FMI, une baisse vertigineuse des revenus liés au pétrole, passant de 80 milliards de dollars en 2013 à une fourchette allant de 20 à 25 milliards en 2015 ; une hyperinflation qui lamine le pouvoir d’achat des salaires avec une hausse des prix de 181 % en 2015 et qui devrait atteindre les 500 % en 2016, selon les experts du FMI ; un  taux de chômage qui passe de 7,5 % en 2013 (après avoir culminé à plus de 18 % en 2003, il avait baissé pour atteindre son minimum historique à 7,4 % en 2008) à 14 % en 2015, avec une perspective de plus de 20 % en 2017, selon le FMI ; une explosion de la pauvreté, avec près de la moitié des 31 millions d’habitants vivant en deça du seuil de pauvreté en 2015, alors qu’ils étaient moins d’un quart en 2010, s’exprimant en particulier par une pénurie gravissime des produits de première nécessité (trois produits de base sur cinq sont concernés) et des médicaments de base (70 % sont en rupture de stock),……sans oublier la pénurie d’eau qui vient s’ajouter au tableau, avec une sécheresse exceptionnelle cette année ; des comptes publics à la dérive, avec un déficit dépassant déjà la barre des 14 points de pourcentage du PIB en 2012, pour s’envoler aujourd’hui à plus de 20 % ; un effondrement des réserves de changes du pays qui ne s’élevaient plus qu’à 18 milliards de dollars en 2015.……contre 40 milliards en 2007 !

Des causes conjoncturelles
La baisse du prix du pétrole enregistrée ces dernières années n’a pu qu’impacter sérieusement une économie hyper-dépendante de la vente de son pétrole, sachant que l’or noir représente 96 % des exportations vénézueliennes !  La baisse des recettes à l’exportation a dégradé la demande globale qui, à son tour, a entraîné l’offre productive dans un cercle vicieux à la baisse (la diminution de la demande génère une baisse de la production, et donc des revenus, qui rétroagit elle-même sur la demande et ainsi de suite). Parallèlement, elle a réduit la capacité à importer du pays (les exportations apportant les devises nécessaires au financement des importations), en particulier les produits de consommation, en provenance quasiment tous de l’extérieur, et a favorisé une dépréciation du cours de la monnaie nationale, entraînant à son tour une hausse du prix des importations. A cet égard, la politique de change (1), initiée sous la présidence d’Hugo Chávez (1999-2013), consistant à provoquer, afin de limiter l‘inflation et de préserver le pouvoir d’achat des plus pauvres, une surévaluation du bolivar, a été contreproductive. En effet, non seulement elle n’a pas empêché le taux de change du dollar par rapport au bolivar d’exploser sur le marché noir (la barre des 1000 bolivars pour le billet vert a été franchie en mai dernier, soit une valeur 160 fois plus élevée que le taux de change officiel subventionné sur les produits de base !), mais, de surcroît, elle a constitué un cadre favorable à l’hyperinflation : en dépit du contrôle des changes,  la corruption aidant, l’accès aux taux de change subventionnés ne peut qu’entretenir des ventes spéculatives du bolivar contre devises étrangères, d’autant plus élevées qu’elles anticipent une dépréciation du change qu’elles finissent par provoquer.  Cercle vicieux imparable !

Par ailleurs, la baisse à l’exportation des ventes de pétrole a aussi fortement dégradé la situation des finances publiques du pays. On rappelle que la rente pétrolière a joué un rôle crucial dans le financement de l’importante augmentation des dépenses sociales, décidée par Hugo Chávez, dans le cadre des « missions sociales » créées en 2003, afin d’offrir à la population un accès élargi aux services d’éducation et de santé. Cette politique sociale a ainsi permis de réduire de façon conséquence le taux de pauvreté, qui est passé de 43 % en 1999 à 30 % en 2013, et d‘accomplir des progrès importants du point de vue du droit à l‘éducation. Mais, lorsque cette rente pétrolière s’étiole, c’est donc tout l’équilibre des comptes publics qui s’en trouve grandement affecté, avec un pétrole assurant la moitié des recettes budgétaires, et ce, d’autant plus, lorsque l’État retarde le plus possible les ajustements nécessaires en termes de dépréciation du change national  (la dépréciation du bolivar par rapport au dollar a l’avantage de renforcer la valeur de la rente pétrolière libellée en bolivars, d’où une augmentation des recettes fiscales). L’accroissement  du déficit budgétaire qui s’en est suivi, a été largement financé par une création monétaire massive (hausse de 600 % de la liquidité monétaire entre 2012 et 2015) qui, sans stimulation de l’investissement et donc de l‘offre productive, a dès lors provoqué une vive accélération de l’inflation, entraînant avec elle, faute d’une revalorisation des rémunérations, un effondrement tout aussi spectaculaire des salaires réels. Trois facteurs aggravants sont venus amplifier ces forces hyperinflationnistes : le gonflement de la création monétaire par le rachat par la Banque centrale du Venezuela d’une partie de la dette de l’entreprise publique pétrolière Petróleos de Venezuela SA (PDVSA) ; la pression des pouvoirs publics sur les entreprises pour qu’elles contiennent leurs prix, les obligeant à vendre quasiment à perte d’où, en final, une raréfaction de l’offre par la multiplication des faillites des petites et moyennes entreprises, et un renforcement de la pénurie des produits de base nourrissant à son tour l’inflation ; et l’organisation par les grandes mafias d’une contrebande d’extraction de biens à la frontière colombienne, accentuant ainsi la rareté des produits et l’inflation.

L’accumulation de faiblesses structurelles
Pour saisir l’ampleur du choc économique et social que connaît actuellement le pays, et en comprendre toutes les dynamiques, les seuls indicateurs conjoncturels ne sauraient suffire. Il faut déjà resituer ce choc dans le cadre d’une vision sur longue période des efforts de développement accomplis de l’économie du Venezuela, et de la progression du niveau de vie en résulte, mesurée à partir de l‘indicateur traditionnel du PIB par habitant (2). Comme le montre le graphique ci-joint, il est frappant de constater que le PIB par habitant – après déduction faite de l‘inflation -, en 2015, n’est guère plus élevé que son niveau de 1960.

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Autrement dit, aujourd’hui, un Vénézuélien ne vit guère mieux qu’il y a plus d’un demi-siècle ! Inutile d’imaginer quelle serait sa réaction, si on lui disait que les économistes considèrent que la mondialisation des décennies précédentes a plutôt eu tendance, globalement, à réduire les inégalités entre le Nord et le Sud. Après sa longue descente aux enfers, de 1977 à 2003, le pays s’est donc sensiblement enrichi sur la période 2003-2008, avec un  PIB par habitant en 2008 accru de près de 20 % par rapport à son niveau de 1960, alors que cinq ans plus tôt il lui était inférieur de 20 %. Mais, dans un premier temps, la crise financière de 2008 et le ralentissement de la demande mondiale qui s’en est suivi, sont venus mettre un coup d’arrêt à ce processus de rattrapage. Dans un second temps, à partir de 2013, c’est donc à nouveau une phase d’appauvrissement qui est à l’œuvre au Venezuela, mettant ainsi en relief toute la fragilité des progrès accomplis antérieurement. Et une fragilité qui ressort avec plus d’évidence encore, si l’on procède à certaines comparaisons internationales : en dehors du Brésil et de l’Équateur, le Venezuela est le seul pays d’Amérique latine à connaître, durant les trois dernières années, une baisse de son PIB par habitant. Par ailleurs, sur l’ensemble de la période 1960-2015, cet indicateur macroéconomique a progressé en Colombie, au Brésil et au Pérou de respectivement 237 %, 228 % et 127 %.

Cette mise en perspective historique témoigne, incontestablement, de l’existence de faiblesses structurelles participant à la dépression économique qui frappe actuellement le Venezuela, occultées, un temps, par l’euphorie du boom pétrolier sous les auspices « d’El Comandante » Hugo Chávez.  A commencer par la disparition de l’industrie locale, tout comme du secteur agricole avant elle, expliquant aujourd’hui la quasi-inexistence d’une offre productive intérieure de produits de base, condamnant  le pays à presque tout importer dans ce domaine. Les nationalisations massives durant la décennie 2000 n’ont malheureusement pas permis d’impulser, comme cela aurait pu être le cas, une dynamique favorable de l’investissement industriel. Ce dernier a connu au contraire un recul sensible, de l’ordre de 20 % sur la décennie 2000, auquel s’est venu s’ajouter  le manque d’investissements étrangers. En final, au terme de cette déstructuration d’un tissu industriel hors pétrole, déjà bien pauvre au sortir des années 90, les produits autres que les carburants ne représentent aujourd’hui que guère plus de 1 % des recettes d’exportation, contre encore un tiers vingt ans plus tôt. Une expertise qu’admet sans conteste, dans un entretien accordé au journal  L’Humanité, le 15 juillet dernier, une figure importante du chavisme, Rodrigo Cabezas, Vice-président du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) aux questions internationales et ministre des Finances de 2007 à 2008 : « Dans un premier temps, le social a été un thème dominant [N.D.R. : de la politique d’Hugo Chávez ]. La rente pétrolière de 2004 à 2014, en dépit d’une chute du prix du baril à 100 dollars en raison de la crise financière en 2009 et 2010, nous a permis de maintenir cette politique sociale et des développements économiques endogènes. Mais nous n’avons pas eu une politique d’industrialisation exportatrice. Au contraire. Nous avons même reculé, accroissant notre extrême dépendance au pétrole. ». Enfin, même le secteur pétrolier, qui est donc pourtant devenu l’unique poumon de l’économie du pays, a été négligé du point de vue des investissements dans ses infrastructures, ce qui explique un effort d’exploration insuffisant pour enrayer le déclin structurel de sa production, amorcé dès  2007,.…alors que le pays possède en son sein près de 18 % des réserves mondiales de pétrole prouvées (par comparaison la Colombie n‘en possède que 0,1 % et le Canada un dixième) !

Une crise politique aigue
Après trois ans de pouvoir, Nicolás Maduro, héritier et successeur du défunt Hugo Chávez à la présidence du pays, n’a pas su répondre à l’ampleur de la contestation du peuple vénézuélien et l’urgence de la nécessité de réformer en profondeur un modèle à bout de souffle (3). La décision, en mai dernier, de revaloriser le salaire minimum de 30 %, bien qu’allant dans le bon sens, est symptomatique des insuffisances du pouvoir actuel : elle est poussive (la plupart des experts attendent maintenant pour 2016 une inflation dépassant la barre des 700 %, 200 points de plus que la prévision en avril dernier du FMI), et ne dispense pas de la mise en place de réformes structurelles qui, elles, se font toujours attendre. Par ailleurs, non seulement le président Maduro a été incapable d’enrayer la spirale du naufrage économique et du désastre humanitaire, très symboliquement illustrée, au quotidien, par les scènes des files d’attente devant les magasins, les émeutes de rue ou encore les pannes d’électricité, mais, de surcroît, il a opté pour une fuite en avant sur le plan politique : gouvernance par décrets pour contourner l’opposition du Parlement, manoeuvres dilatoires face aux initiatives de l’opposition pour la tenue d’un référendum révocatoire à son encontre, recours à l’emprisonnement politique, censure des médias, … et proclamation de l’état d’urgence sans l’autorisation du parlement, pourtant requise par la Constitution.  Bref, un attentisme économique s’appuyant sur l’expectative fantasmatique officieuse du pouvoir d’un retour durable à un prix à trois chiffres du baril de pétrole, qui, conjugué à une fuite en avant autoritaire de l‘exécutif, ne peut qu’aggraver la situation du pays en fracturant un peu plus la société vénézuelienne, avec tous les risques que cela comporte (insécurité accrue, guerre civile et coup d‘État militaire).

Enfin, pour ne rien arranger à cette crise politique, même si on peut être très critique à l’égard du président Maduro et du bilan du chavisme, force est de constater l’absence de projet alternatif crédible et émancipateur pour le peuple vénézuelien, porté par l’opposition. Celle-ci, qui a perdu toutes les batailles électorales nationales depuis 1999, a gagné en décembre dernier les élections législatives, face au Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) du président Maduro. Se présentant sous la bannière de la coalition de la Table de l’unité démocratique (Mesa de la Unidad democrática, MUD), portée par le rejet du chavisme, elle apparaît certes unie dans le combat électoral, mais regroupe un ensemble très hétéroclite de partis politiques (une trentaine !), allant d’un centre-gauche à la droite radicale (4). On voit mal, dans ces conditions, comment un tel regroupement de forces politiques, aussi disparates, pourrait soutenir un véritable projet fédérateur progressiste et démocratique cohérent et crédible, servant réellement les intérêts supérieurs du peuple vénézuelien. Rappelons, aussi, que ces partis ont gouverné en alternance le pays de 1958 à 1998 avec, à leur passif,  la dégringolade historique du niveau de vie à partir de 1976 (cf. graphique ci-dessus) ! De ce point de vue là, une reconfiguration à terme des forces et des alliances politiques apparaît donc difficilement incontournable, pour réussir à faire émerger un programme ambitieux de sortie de crise durable du Venezuela, remportant l’adhésion majoritaire de la population, qui s‘inscrirait dans une véritable logique de renouveau par rapport à l’héritage du chavisme, tout en gardant de ce dernier ses nobles ambitions originelles cardinales, mais en en corrigeant le tir par rapport aux erreurs du passé, donc un renouveau restant bien à gauche et fondamentalement anti-néolibéral. En attendant, c’est toute une économie qui reste à restructurer pour sortir durablement de la crise actuelle et mettre en place, enfin, des bases solides pour le développement du pays, seul chemin garant d’une progression du niveau de vie et d’une amélioration pérenne des conditions de vie de la population. Un chemin qui s’annonce difficile, à n’en pas douter, au regard des vicissitudes de la crise politique actuelle qui ne sont pas de nature à faciliter une gouvernance économique éclairée par une vision de longue portée.(Article publié dans Humanité.fr le 27/09/2016).
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(1) Cette politique de change a été mise en œuvre dans le cadre d’un contrôle des changes, à partir de 2003, et d’un régime à taux de change multiples, introduit en 2010 (coexistence de plusieurs taux de change officiels – initialement deux, trois depuis 2013 – dont un, le plus fort, soit 6,3 bolivars pour un dollar, porte sur les produits alimentaires et médicaments).
(2) Indicateur macroéconomique très imparfait du niveau de vie, ne serait-ce parce qu’il ne tient pas compte du degré des inégalités dans la répartition des revenus, mais utile et incontournable en raison de la vision synthétique qu’il apporte, et des comparaisons dans le temps et l’espace qu’il permet de réaliser. Calculé en faisant le rapport entre le PIB et le nombre d’habitants, il peut s’interpréter très simplement comme ce que pourrait recevoir, en moyenne, chaque habitant, si la répartition des revenus, issus de l‘activité productive, était parfaitement égalitaire (à la dépréciation du capital fixe près).
(3) Quelques axes prioritaires de ces réformes structurelles indispensables : diversification de l’économie, modernisation du secteur énergétique, consolidation du financement des politiques sociales, revisitation de l’orthodoxie du « tout subventionné » au niveau des prix, passage à un taux de change unique, dépréciation du change avec parallèlement une augmentation des salaires au minimum équivalente à celle des prix, éradication d’une corruption dévastatrice pour l‘économie du pays, etc.
(4) La formation de ce genre de coalition est favorisée par un système électoral majoritaire à un tour qui ne donne aucune chance aux petits partis politiques s’engageant seuls dans la bataille électorale.