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Ernst Bloch et l’utopie révolutionnaire

Lien publiée le 9 octobre 2016

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Ersnt Bloch s'appuie sur les luttes sociales pour penser un dépassement de la société marchande et l'imagination utopique.

Loin du marxisme orthodoxe, Ernst Bloch reste un philosophe méconnu. Il dialogue notamment avec Georg Lukacs mais aussi avec l’Ecole de Francfort. Il s’inscrit dans le sillage du romantisme révolutionnaire. Un recueil d’entretiens, intitulé Du rêve à l’utopie, permet de comprendre la démarche du philosophe. Arno Munster introduit ce livre par une présentation de cette figure intellectuelle originale.

Ernst Bloch évoque des sujets comme le rêve, l’utopie, les désirs. Il critique également la société de consommation et la marchandisation de tous les rapports humains. Mais, contrairement à Herbert Marcuse, il insiste aussi sur les possibilités de changement à travers la « spontanéité révolutionnaire ». Ernst Bloch apparaît également comme un des premiers penseurs écologistes. Il propose une alliance de l’homme et de la nature. Il critique les ravages de la croissance et du productivisme.

                                     Du rêve à l'utopie

Parcours d’un marxiste hétérodoxe

Ernst Bloch évoque son parcours dans plusieurs entretiens. Il grandit dans une ville ouvrière allemande située au bord du Rhin. La misère et les injustices sociales révoltent le jeune homme. Il fréquente donc un milieu très prolétaire mais se tourne également vers la lecture. Avant la guerre, il rencontre Simmel et participe à un cercle de réflexion autour de Max Weber. Surtout, il rencontre Georges Lukacs et devient très proche du théoricien marxiste.

Les deux hommes partagent les mêmes idées. Mais Ernst Bloch jette un regard positif sur Berthold Brecht et l’expressionnisme. Georges Lukacs, au contraire, méprise ce mouvement artistique. Il reste attaché à un classicisme artistique. Ernst Bloch puise dans l’expressionnisme pour écrire L’Esprit de l’utopie. La créativité doit permettre d’exprimer une sensibilité nouvelle.

Ernst Bloch est farouchement pacifiste. Il dénonce même l’Allemagne à l’origine de la guerre mondiale. Il se tourne vers le communisme. Mais il n’adhère pas longtemps au Parti. Il reste éloigné du marxisme orthodoxe qui rejette la philosophie hégélienne. Il se tient à distance du stalinisme et de l’URSS surtout lorsque ce régime réprime les révoltes ouvrières en Pologne et en Hongrie.

Ernst Bloch ne présente aucune affinité avec l’Ecole de Francfort. Il rejette leur théorie qui tourne à vide, sans la moindre perspective politique. « Ce ne sont ni des marxistes ni des révolutionnaires. Ils n’ont qu’une théorie pessimiste de la société », tranche Ernst Bloch.

Herbert Marcuse se rapproche davantage de l’esprit utopiste, mais conserve un pessimisme noir. Il s’enthousiasme pour les révoltes de la jeunesse et de la Nouvelle Gauche, mais déplore l’intégration de la classe ouvrière à la société marchande. Ernst Bloch s’attache au contraire à une utopie concrète. « L’utopie n’est pas la fuite vers l’irréel, c’est l’exploration des possibilités objectives du réel et la lutte pour leur concrétisation », définit Ernst Bloch.

Le marxisme comprend deux courants. Le courant froid s’appuie sur une analyse des mécanismes de l’exploitation et de la domination. C’est une observation scientifique brillante mais sans perspective politique. Le courant chaud s’appuie sur l’utopie révolutionnaire et sur un marxisme romantique.

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Contre le marxisme froid et pessimiste

En 1964, un débat oppose Ernst Bloch et Theodor W. Adorno au sujet de l’utopie. Ernst Bloch insiste sur le Principe d’espérance et sur les possibilités de changer les conditions d’existence. « Les hommes pourraient non seulement vivre sans avoir faim et, probablement, sans angoisse mais aussi en toute liberté », propose Ernst Bloch. L’utopie repose sur la perspective d’une vie meilleure et pas complètement dépourvue de sens.

En revanche, Adorno incarne un point de vue pessimiste. L’utopie semble disparaître. Le communisme est associé à, l’URSS tandis que la civilisation occidentale reste également engluée dans la gestion du réel. « Donc, le marxisme tout entier, mis dans sa forme la plus brillante et anticipé dans sa réalisation, n’est qu’une condition pour une vie en liberté, une vie dans le bonheur, une vie dans l’accomplissement possible, une vie avec des contenus », souligne Ernst Bloch.

En 1967, Ernst Bloch évoque son dialogue avec Georg Lukacs. Les deux philosophes se réfèrent au communisme et à la Révolution russe. Mais Ernst Bloch reproche au marxisme d’Etat de renier l’utopie au nom du réalisme. L’utopie doit se fixer des perspectives mais sans se conformer à l’ordre existant. « Et non le sacrifice des buts proches pour les buts lointains, mais la présence des buts lointains », insiste Ernst Bloch.

Ernst Bloch ne se définit pas comme optimiste. Mais il rejette le pessimisme qui débouche vers la résignation et l’acceptation de l’ordre existant. Malgré une nécessaire prudence, l’espérance demeure indispensable pour agir. « On n’a jamais d’assurance, mais si on n’a pas d’espoir, il n’y a aucune action possible », souligne Ernst Bloch. Il évoque également ses divergences avec Lukacs. Le marxiste orthodoxe rejette tout ce qui relève de l’art, du théâtre et de la créativité.

Ernst Bloch s’oppose également à Herbert Marcuse qui défend une conception idéaliste de l’utopie, totalement déconnectée du réel. Ernst Bloch tente de déceler les possibilités nouvelles à partir de la société actuelle. « Ce que je m’efforce, c’est de lire dans le présent le possible qui s’y trouve », précise le philosophe. 

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Une utopie matérialiste

En 1970, dans un entretien avec Jean-Michel Palmier, Ernst Bloch évoque son influence qui vient des révoltes en France. La Révolution française et la Commune ont particulièrement alimenté la réflexion du philosophe allemand. Le penseur de l’utopie se réfère également au marxisme et au matérialisme. L’utopie évoque la révolution sociale mais aussi la créativité et le bouleversement de tous les aspects de la vie. « L’utopie est loin de se limiter à la sphère sociale, elle existe aussi dans l’art, en particulier l’expressionnisme, chez les poètes qu’il a influencé, les peintres », précise Ernst Bloch.

Mais le philosophe estime que ce concept d’utopie n’est pas nouveau. La poésie mais surtout les révoltes sociales ont mis en avant l’utopie. « D’ailleurs, ce n’est pas un concept nouveau : elle a joué un rôle déterminant dans la Révolution française, au cours de la Commune de Paris, et, aujourd’hui, dans toute la jeunesse qui lutte pour construire un autre monde et changer la vie », observe Ernst Bloch. L’utopie ne se réduit pas à une simple chimère irréaliste. C’est un possibilité objective est réelle. C’est un principe ancré dans les luttes.

En 1971, Ernst Bloch évoque les rêves diurnes. Il se réfère aux théories de Sigmund Freud. La psychanalyse insiste sur le rêve comme moment de libération des désirs qui ne sont plus freinés par une quelconque censure morale. Le rêve diurne renvoie à une meilleure vie individuelle dans l’avenir. « Il est, au sens propre du terme, accomplissement du désir (du souhait), par l’évènement de quelque chose qui n’est pas encore, qui est désiré et rêvé sans aucune censure morale », décrit Ernst Bloch.

Le rêve diurne peut être mesquin ou concerner uniquement les petits problèmes du quotidien. Mais il permet une anticipation et une projection dans l’avenir. « Et de ce que le monde dans lequel vit l’homme, son environnement, les conditions politico-sociales, pourraient être », précise Ernst Bloch.

L’idéologie renvoie à l’ensemble des représentations qui justifient la société existante. Au contraire, l’utopie repose sur les représentations qui visent à dépasser l’état actuel de la société. Par exemple, les utopies sociales suppriment la propriété privée et les rapports de production. Dans les utopies, il n’y a plus ni maîtres ni esclaves, ni exploiteurs ni exploités.

Les rêves diurnes peuvent déboucher vers la frustration et la névrose. Le nouveau n’arrive pas alors qu’il semble si proche et évident. C’est la théorie qui doit permettre de transformer cette frustration en action politique. « Quand on se débat de tous les côtés, quand on est mécontent, avec de la colère rentrée, ou quand on se retire dans l’intériorité, avec de l’angoisse et du souci, cela n’apporte aucun changement », observe Ernst Bloch. L’espérance comme affect se distingue de l’espérance comme concept, davantage réfléchie et qui dessine des perspectives.

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De l’utopie à la révolution

Ce livre d’articles et d’entretiens permet de rendre accessible la pensée d’Ernst Bloch. Sa réflexion sur le marxisme et sur l’utopie ouvre des perspectives nouvelles. Il se distingue du marxisme froid qui domine le monde politique et universitaire. C’est une version scientiste et mécanique du marxisme, souvent centrée sur l’économie. Malgré des analyses qui peuvent être pertinentes, cette approche n’ouvre aucune perspective politique.

Il en découle un sombre pessimisme. Le changement social n’est pas abordé. Au contraire, certaines analyses insistent sur un implacable cercle de la domination dont il devient impossible de sortir. Le marxisme chaud permet au contraire d’ouvrir de nouvelles possibilités d’existence. L’utopie et le renversement de l’ordre existant demeurent l’horizon indispensable de toute analyse politique.

La pensée d’Ernst Bloch tranche surtout avec l’ambiance politique actuelle. L’utopie n’est plus à l’ordre du jour. Toute l’extrême gauche et ce qu’il reste du marxisme se contente d’une gestion du capitalisme. Ils ne proposent que des programmes réformistes qui se divisent uniquement au niveau du montant du SMIC. Les marxistes actuels ne s’inscrivent dans aucune perspective de dépassement du capitalisme. Ils veulent simplement aménager la société marchande. Même les luttes sociales se contentent d’interpeller les pouvoirs. L’utopie permet d’imaginer le renversement de l’ordre existant pour penser une véritable émancipation humaine.

En revanche, il faut souligner des aspects un peu plus dérangeants de la pensée d’Ernst Bloch. Il incarne un volontarisme et un optimisme encourageant. Mais qui doit être modéré. Les perspectives utopiques découlent d’une situation particulière, dans un moment historique. Mais l’utopie ne tombe pas du ciel. Il existe aussi chez Ernst Bloch une dimension messianique et religieuse. La sacralisation du « principe d’espérance » favorise la confusion.

Ernst Bloch s’intéresse à divers mouvements religieux qu’il considère comme révolutionnaire. Mais cette approche de l’utopie se situe dans l’attente, dans l’espérance qui vient de forces divines. L’utopie semble alors échapper à l’action humaine pour se remettre à une destinée inconnue. Cette approche s’éloigne alors de tout matérialisme pour sombrer dans le simple idéalisme, dans l’attente et la contemplation.

Néanmoins, Ernst Bloch s’appuie dans d’autres textes sur un marxisme matérialiste. L’utopie ne vient pas de l’espérance mais de la réalité sociale. Ce sont notamment les luttes sociales qui doivent ouvrir de nouvelles perspectives. L’utopie ne tombe pas du ciel mais se construit à travers la radicalisation des mouvements sociaux. C’est l’action humaine qui devient moteur de l’utopie.

Ernst Bloch insiste également sur l’imagination, la sensibilité et la créativité comme moteurs de la révolte. La frustration de ne pas réaliser ses désirs et ses rêves peut déboucher vers une opposition au monde qui les entrave. Les luttes sociales permettent alors d’ouvrir des nouvelles perspectives. La spontanéité, la créativité et la libération des désirs doivent fonder une nouvelle société.

Source : Ernst Bloch, Du rêve à l’utopie. Entretiens philosophiques, Textes choisis et présentés par Arno Münster, Hermann, 2016

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Pour aller plus loin :

Vidéo : André Tosel - Arno Munster  à la Librairie Masséna de Nice

Vidéo : Conférence d'Arno Munster : "Utopie concrète, conscience anticipante et praxis dans la pensée d'Ernst Bloch" à l'Espaces Marx le 11 mars 2014

Vidéo : Séminaire "Ernst Bloch ou la réhabilitation de l'utopie"

Vidéo : Arno Munster : Cours sur Ernst Bloch à l'Université d'Amiens le 17 mars 2010

Vidéo : Étienne Balibar, Après l'utopie, libérer l'imagination, séminaire Penser l'émancipation le 20 février 2014

Radio : Penser aujourd'hui avec Ernst Bloch : Le pain et le rêve, émission diffusée sur France Culture le 24 avril 2016

Radio : Utopies : le passé des avenirs rêvés, émission diffusée sur France Culture le 7 septembre 2013

Yoann Colin et Sara Minelli, Ernst Bloch, penseur original de l'utopie, mis en ligne sur le site Nonfiction le 13 juillet 2016

Daniel Bensaïd, Utopie et messianisme. Bloch, Benjamin et le sens du virtuel, publié en 1995

Jean-Michel Palmier, L’oeuvre majeur d’Ernst Bloch : Un hymne à l’espoir et à la révolte, publié dans le journal Le Monde le 18 juin 1976

Georges-Arthur Goldschmidt, Ernst Bloch ou la passion philosophique, publié sur le site En attendant Nadeau

Sébastien Broca, "Comment réhabiliter l’utopie ? Une lecture critique d’Ernst Bloch", Philonsorbonne 6 | 2012, mis en ligne le 04 février 2013

Sébastien Broca, Ernst Bloch, du temps messianique à l’utopie concrète, mis en ligne sur le site de l'Université Paris-Diderot, 2014

Sophie Wahnich, Persistance de l’utopie entretien avec Miguel Abensour, publié dans la revue Vacarme n° 53 en 2010

Geoges Labica, Le marxisme entre science et utopie, publié dans la revue Période

Articles d'Arno Münster publiés sur le portail Persée