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"Et là, je me suis pris le coup de genou..."

Violences-Policières

Lien publiée le 21 novembre 2016

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http://www.humanite.fr/et-la-je-me-suis-pris-le-coup-de-genou-626023

L’agression par un policier de Thibaud M., 25 ans, avait fait la une del’Humanité en mai. Jugé mardi matin pour « jet de projectiles », il témoigne.

« Je viens de terminer ma thèse de physique à l’École normale supérieure – j’ai écrit le plan en garde à vue. Je ne suis pas encarté, j’ai commencé à militer pendant la COP21, puis au comité de mobilisation de Jussieu contre la loi El Khomri. Je pensais que c’était difficile de mobiliser à l’ENS sur des sujets liés au travail. J’avais tort, puisqu’en juin, on a réussi à mettre en place une caisse de grève pour reverser les salaires des normaliens aux grévistes.

Le 1er mai, on s’est tous retrouvé place de la Bastille. Arrivés vers 18 h 30 à Nation, on s’est posé avec un sandwich pour attendre la fin du cortège. Vers 19 heures, ça a commencé à gazer sévère. Je me souviendrai toute ma vie d’un couple de vieux, dont la femme vomissait pendant que son mari faisait une crise d’asthme. On a essayé de les aider comme on pouvait. Mais les lacrymos tombaient en permanence, donc on s’est cassé. Les flics nous ont dirigés vers une bouche de métro fermée.

« Tu fais moins le fier maintenant ! »

Quand le métro s’est ouvert, il y a eu un mouvement de foule et je me suis retrouvé seul, à cinq mètres de mes potes. Quand la BAC (brigade anti-criminalité –NDLR) charge, faut pas s’isoler. Je me suis pris trois coups de matraque, ça m’a coupé la respiration. Ensuite, on m’a fait une balayette et je me suis retrouvé sur le dos. Encore un ou deux coups de matraque sur les cuisses. Là, ça devient un peu flou. Je me revois leur dire : “Ça va, ça va, tranquille.” Ils m’ont traîné sur le sol sur quatre, cinq mètres, l’un des flics me tirait par les cheveux. Ils m’ont laissé tomber et là, je me suis pris le coup de genou. Ma tête a heurté violemment le sol, j’ai fait un petit black-out de cinq secondes et j’ai vu des étoiles jusqu’à deux heures du matin. J’avais la moitié de la face en sang, un coquard, je saignais du nez, des lèvres et des gencives (j’avais perdu un bout de dent). L’arrière de mon crâne, sanguinolent, me faisait atrocement mal. Mon dos était massacré, tout rouge des coups de matraque et plein d’égratignures. Dans le camion, pour me mettre les Serflex, le flic m’a tiré par les cheveux. J’ai hurlé de douleur comme un porc. Celui qui portait un casque pendant mon interpellation m’a lancé : “Tu fais moins le fier maintenant !”

Je me suis retrouvé en garde à vue au commissariat du 15e, accusé de violences par arme (« jet de projectiles ») sur personne dépositaire de l’autorité publique. C’est un truc grave – que je nie complètement – je risque cinq ans ferme et 75 000 euros d’amende. La garde à vue, mentalement, c’est très dur, c’est une série de petites brimades permanentes. Ma cellule faisait 2,5 mètres sur 1,5, on n’avait pas accès à l’eau et aux chiottes, c’est à leur bon vouloir. Parfois on attend trois, quatre heures. T’es un chien. Les flics te mettent la pression pour que t’ailles pas voir le médecin. J’ai insisté, j’ai été emmené à l’Hôtel-Dieu à deux heures du matin, c’était horrible. Au début, tu vois un peu dehors alors t’es content, mais ensuite on nous met à quarante dans une cage. Ça dure trois plombes, t’as pas de matelas, t’as froid, tu dors par terre. Il y a des remarques sexistes en permanence, tout le monde se gueule dessus. Le médecin était sympa, il m’a filé un doliprane contre les courbatures. Mon schéma corporel était gribouillé de partout, j’ai eu deux jours d’incapacité totale de travail (ITT).

Je suis retourné au commissariat pour une confrontation avec les agents interpellateurs. Il y avait des contradictions énormes dans leurs témoignages. Par exemple, ils me décrivent en pull marron, alors que j’étais en tee-shirt gris. C’était un sketch, on aurait dit les Monty Python. J’étais dans un état pas possible, je ne savais même pas qu’on pouvait rester plus de 24 heures en garde à vue. La pression judiciaire et policière s’exerce aussi comme ça. Heureusement, mon avocate était là, elle m’a filé un Pitch (brioche au chocolat – NDLR) et du jus d’orange. Après la garde à vue, j’ai passé 24 heures au dépôt pour attendre mon procès, donc au total, j’ai fait 72 heures de détention. J’ai demandé le report de la comparution immédiate pour être jugé dans de bonnes conditions. Ceux qui étaient avec moi – j’étais le seul Blanc – ont tous pris du ferme. C’est l’abattoir. Tu sens que si t’es du bon côté de la société, dans une école d’élite, avec un logement, ça se passe mieux pour toi. Je suis ressorti libre sans contrôle judiciaire, dans l’attente de mon procès. Le même jour, je me suis vu à la une de l’Huma, j’ai réalisé la violence du coup.

Le 19 mai, à 3 heures du matin, des Robocop ont fait irruption dans ma coloc. Ils venaient me délivrer une interdiction de séjour pour la manif qui se déroulait le même jour. J’étais interdit de cinq arrondissements parisiens, dont le 5e, où se trouve mon labo... Depuis le 1er mai, j’ai beaucoup moins manifesté, tu fais très attention.

Ensuite, il a fallu porter plainte à l’IGPN (la police des polices – NDLR). J’y ai passé une journée, en vain : on m’a dit que ce n’était pas la procédure, que l’ordinateur ne fonctionnait pas, qu’il suffisait d’en parler au procès... Un policier qui a vu mes vidéos m’a dit : “Il a glissé, vous n’avez rien.” Finalement, ils m’ont rappelé fin juin pour me dire que je devais porter plainte pour ouvrir l’enquête... Mais, visiblement, la plainte n’est toujours pas enregistrée, donc on va demander ce mardi le renvoi du procès. Ça fait longtemps que je travaille pour être chercheur, j’ai peur de ce qui peut se passer si je prends un casier... »