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Oviedo: rencontre municipaliste contre la dette illégitime

Lien publiée le 9 décembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/12/08/oviedo-succes-de-la-rencontre-municipaliste-contre-la-dette-illegitime-et-lausterite/

Une centaine de délégués de municipalités, des mouvements sociaux et de différentes formations politiques se sont réunis pendant 2 jours afin de lancer un front des municipalités et des mouvements sociaux qui s’opposent à la dette illégitime et se prononcent en faveur de l’audit à participation citoyenne et du refus de la poursuite des politiques d’austérité. Eric Toussaint, à qui Somos Oviedo, le principal groupe du gouvernement municipal, avait confié la coordination de l’évènement, présente son témoignage.

Ce qui a mené à la rencontre d’Oviedo

Cette rencontre a été préparée à partir de mai 2016. Le 24 mai, lors d’une conférence de presse convoquée à la fin de la visite que j’ai rendue à la capitale des Asturies pour donner une conférence sur la dette illégitime et avoir des réunions avec Podemos, Ana Taboada, vice-maire, et Ruben Roson, responsable des finances d’Oviedo, annoncèrent leur volonté de réaliser 6 mois plus tard une rencontre des municipalités qui remettent en cause la dette illégitime et souhaitent organiser des audits à participation citoyenne. Pendant un semestre, nous avons collaboré activement afin de faire un grand pas en avant dans la constitution d’un front. Cette collaboration a porté sur la rédaction du manifeste d’Oviedo (terminé le 19 septembre) et sur la collecte de signatures de mandataires municipaux en priorité, mais également des signatures de députés de communautés autonomes1, de députés au Parlement national, de députés européens et des signatures de mouvements sociaux et d’activistes connus pour leur action contre les dettes illégitimes. Le manifeste a été rendu public le 19 octobre lors d’une conférence de presse réalisée au Parlement espagnol à Madrid2. En moins de 3 semaines, nous avons réussi à réunir les signatures de près de 700 mandataires publics dans 117 municipalités différentes, parmi lesquelles figuraient 40 maires dont celui de Saragosse (la 4e ville du pays en termes d’habitants), de Pampelune (la capitale de la Navarre) et d’une dizaine de villes de plus de 100 000 habitants. Carlos Sanchez Mato, le responsable des finances de la ville de Madrid (3,4 millions d’habitants), a également signé et a activement aidé à rassembler de nombreux appuis d’élus, notamment de son parti, Izquierda Unida (qui est allié à Podemos et à d’autres forces de gauche dans un certain nombre de municipalités et au Parlement espagnol. Lors des élections générales du 26 juin 2016, Podemos et IU se sont présentés ensemble sous le label Unidos Podemos).

La réunion qui s’est tenue à Oviedo du 25 au 27 novembre s’inscrit dans une série d’activités qui ont été réalisées depuis la fin de l’été 2015 par un nombre important de mairies, d’élus locaux et de mouvements sociaux, en particulier la plate-forme d’audit citoyen (PACD) qui est née en 2012 dans la foulée du mouvement des Indignés de 2011. Des rencontres ont eu lieu à Madrid, à Cadiz et dans d’autres villes en 2015, après que les élections municipales de juin 2015 ont porté au pouvoir des gouvernements du changement dans plus de 100 municipalités dont les 4 plus grandes villes du pays (Madrid, Barcelone, Valence et Saragosse). En 2016, en marge du grand rassemblement du plan B qui a eu lieu à Madrid les 20 et 21 février3, se sont tenues des rencontres qui ont visé à convoquer une conférence qui a finalement eu lieu à Oviedo. L’auditFest réunie à Barcelone les 14 et 15 octobre 2016 à l’initiative de la PACD a constitué également un tremplin pour la réunion d’Oviedo. Un guide de l’audit citoyen municipal, publié en octobre 2016, a été présenté à plusieurs reprises4 et va constituer un outil précieux pour la période qui vient.

Des points communs entre les Asturies et la Wallonie

Les Asturies et Oviedo ont des points communs avec la Wallonie et la ville de Liège (où est situé le secrétariat international du CADTM). Au cours des deux derniers siècles, les principales activités économiques ont largement dépendu des mines de charbon, de la sidérurgie, de la métallurgie et, dans les cas des villes d’Oviedo et de Liège, de la fabrication d’armes. Ces deux régions ont connu des luttes sociales et politiques très radicales au 19e et au 20e siècles. Les Asturiens et les Wallons ont été très marqués par la fermeture des mines de charbon et par la crise de la sidérurgie. Le rachat par ArcelorMittal des usines sidérurgiques d’Asturie et de Wallonie au cours des 10 dernières années a débouché dans les deux cas sur la quasi destruction des outils et des emplois, après en avoir tiré un maximum de profit. Les emplois dans l’industrie d’armement a été également fortement réduite. Le taux de chômage est très élevé. Tant à Liège qu’à Oviedo, on trouve, parmi les éléphants blancs générateurs de dette illégitime, deux constructions de l’architecte Calatrava5 qui a été mêlé à plusieurs scandales immobiliers en Espagne.

Dans ces deux régions, le parti socialiste joue encore un rôle dominant, même s’il est en perte d’influence. Dans les deux cas, des forces politiques radicales ont gagné du terrain au cours des 3 dernières années, Podemos en Asturie et, en Wallonie, le PTB6. Ajoutons qu’à la fin des années 1950 et au début des années 1960, il y a eu une émigration des Asturies vers la Wallonie, notamment vers la métallurgie et la sidérurgie. Si bien qu’aujourd’hui, plusieurs dirigeants syndicaux wallons sont des enfants de travailleurs asturiens émigrés7.

Le contexte à Oviedo

La rencontre qui s’est tenue à Oviedo du 25 au 27 novembre était organisée par la formation politique Somos Oviedo8Somos Oviedo(littéralement, « Nous sommes Oviedo ») est constitué des militants et des militantes de Podemos ayant présenté une liste qui est le pilier de la nouvelle majorité qui gouverne cette ville de 200 000 habitants. Cette majorité est composée de 6 conseillers municipaux de Somos Oviedo, 5 du PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol) et 3 d’Izquierda Unida. Face à eux, on trouve les 11 conseillers du Parti Populaire (PP) qui a gouverné la ville pendant 24 ans jusqu’en 2015 et 2 conseillers de Ciudadanos (Citoyens), une nouvelle formation politique de droite proche du PP. La fédération asturienne du PSOE, qui est très droitière, était opposée à une alliance avec Somos Oviedo. Malgré cela, un secteur du PS (majoritaire dans la section de la ville d’Oviedo) a accepté de faire l’alliance qui gouverne aujourd’hui la capitale asturienne, mais à la condition que le maire soit membre du PS. Somos Oviedo a accepté et réussit dans des conditions difficiles à maintenir en place l’alliance de gauche qui tient la mairie depuis 2015.

Ana Taboada, Ruben Roson et le gouvernement municipal essaient de mener une politique de gauche dans un contexte très difficile : Oviedo est très endettée suite à la politique d’emprunts illégitimes réalisée au cours des 24 années de la gestion municipale du Parti Populaire. Par ailleurs, le PP a privatisé à tour de bras. L’eau est privatisée, la collecte des impôts municipaux est confiée à une entreprise privée, le service des parcs et des jardins est privé, tout comme la collecte des déchets et le service funéraire.

Le gouvernement municipal veut arriver à réduire le poids de cette dette avec l’aide d’un audit à participation citoyenne, mais cela demandera du temps. Il veut aussi remunicipaliser la collecte des impôts et plusieurs autres services, le tout avec un maximum de participation citoyenne.

Dans les jours qui ont précédé la rencontre des 25-27 novembre, la presse de droite et le PP ont multiplié les attaques contre Ana Taboada et Ruben Roson, en les accusant de mettre en danger les finances de la ville en voulant remunicipaliser la collecte des impôts. De même, la droite a attaqué la politique culturelle du gouvernement municipal qui a décidé de mettre fin à certaines subventions qui ne bénéficient qu’à l’élite locale.

Le 24 novembre, jour où j’ai donné une conférence à la faculté d’économie de l’université sur le thème « Faut-il auditer la dette illégitime et désobéir aux créanciers ? », plusieurs manifestations se sont déroulées à différents endroits. Un millier d’étudiants progressistes manifestaient contre la nouvelle réforme universitaire visant à renforcer la sélection sociale9 et une partie d’entre eux affrontaient un groupe d’une trentaine de jeunes d’extrême-droite qui ont cherché à créer des incidents. À un autre endroit de la ville, devant le siège du gouvernement des Asturies10, un piquet d’une cinquantaine de fonctionnaires exigeait le retour aux 35 heures.

Sur la façade de la mairie, une grande banderole est attachée en permanence, appelant à lutter contre les violences faites aux femmes. En face, sur la façade de l’office du tourisme, une autre banderole appelle à abolir partout la peine de mort. Certains esprits chagrins conservateurs regrettent que la mairie ne soit pas décorée comme il se doit pour les fêtes de Noël.

La rencontre municipaliste contre les dettes illégitimes et l’austérité

Le 25 novembre au soir, dans une des bibliothèques municipales, ont été présentés le guide de l’audit citoyen rédigé par Yago Alvarez de la PACD et le film Debtocracy.

Le lendemain, tout au long de la journée, s’est tenue dans le Palais des congrès « Calatrava » la rencontre municipaliste proprement dite. Une centaine de représentants de municipalités, de mouvements sociaux et de partis politiques se sont réunis en groupes de travail qui étaient animés par des militants de la PACD et du CADTM. Le fonctionnement en groupes de travail a permis à un maximum de participants de s’exprimer. Le soir, la journée s’est conclue par une conférence publique, introduite par une prise de parole de Iolanda Fresnillo de la PACD qui a présenté les premiers résultats des travaux. Les conférenciers étaient Ana Taboada, qui a rappelé les grands objectifs de la rencontre, Carlos Sanchez Mato, qui a expliqué ce que le gouvernement du changement menait comme politique et comment il affrontait le gouvernement, et pour ma part, j’ai fait part de réflexions de portée générale se référant aux luttes menées contre les dettes illégitimes au cours des trois dernières décennies, que ce soit en Amérique latine dans les années 198011 et aujourd’hui dans l’État espagnol.

Le lendemain, en plus petit comité, les délégués se sont réunis pour se mettre d’accord sur la suite des activités du front municipaliste : des actions de sensibilisation seront menées dans les semaines qui viennent, une délégation se rendra au Parlement européen en mars 2017, la prochaine rencontre se déroulera à Cadix, en Andalousie, les 26 et 27 mai 2017. Le Manifeste d’Oviedo a été adopté comme texte de référence du front municipaliste et on s’est fixé pour objectif de continuer à collecter des signatures d’élus et de mouvements sociaux. Un groupe de coordination a été mis en place et bientôt un nouveau site internet sera opérationnel12.

La constitution d’un front municipaliste remettant en cause la dette illégitime constitue une initiative inédite en Europe. Comme l’ont affirmé les nombreux signataires, « nous nous engageons à : Soutenir la création d’un front espagnol des municipalités, des communautés autonomes et des nationalités qui remet en cause la dette illégitime et œuvre à son annulation ; un front qui brise l’isolement et la division ; un front qui prend des initiatives conduisant à un changement positif du rapport de force avec le gouvernement ; un front au sein duquel les municipalités puissantes soutiennent les plus affaiblies et les plus concernées par les dettes illégitimes ; un front à l’initiative de démarches et d’actions concrètes pour se libérer du joug de la dette illégitime et trouver des sources de financement légitimes garantissant aux citoyens la pleine jouissance de leurs droits économiques, sociaux, culturels, civiques et politiques. »13

Il s’agit, au-delà d’un front des municipalités, d’essayer également de construire un front des communautés autonomes et des nationalités poursuivant des objectifs convergents et porter aussi le combat dans le Parlement à Madrid. La mobilisation citoyenne sera un élément déterminant tant il est vrai que les luttes ne se gagnent pas dans les Parlements, même s’ils peuvent y jouer un rôle notamment en reprenant les revendications qui s’expriment dans les luttes. Il est essentiel de retenir que la remise en cause des dettes illégitimes avait pris progressivement beaucoup de force au sein du mouvement des Indignés de 2011.

Eric Toussaint, 1 décembre 2016

Publié sur le site du CADTM

http://www.cadtm.org/Oviedo-Succes-de-la-rencontre

1 L’État espagnol comprend 17 communautés autonomes dont celle des Asturies, la Catalogne, le Pays basque, la communauté de Madrid, l’Andalousie…

2 Voir en espagnol la vidéo de la conférence de presse :https://www.youtube.com/watch?v=cCv…

3 Voir https://www.mediapart.fr/journal/in… ethttp://www.cadtm.org/Madrid-Plan-B-…

4 Ce guide rédigé par Yago Alvarez de la PACD comprend deux préfaces, l’une de Miguel Urban (eurodéputé Podemos), l’autre de Fatima Martin (PACD et CADTM) et d’Éric Toussaint, ainsi qu’une postface de Sonia Farré (députée En Comun Podemos et membre de la PACD). Voir en espagnol :http://www.cadtm.org/Descifra-Tu-De…

5 Il s’agit du Palais des Congrès d’Oviedo et de la Gare de Liège Guillemins dont les dimensions sont tout à fait disproportionnées par rapport aux besoins des habitants de ces régions et dont le coût est très élevé.

6 Le PTB est différent de Podemos car il n’est pas le résultat d’un processus de regroupement. Pour les différences entre Podemos, le PTB, Syriza et la Bloc de gauche (Portugal), voir http://www.cadtm.org/La-gauche-ne-d…

7 Nico Cué est le secrétaire général des Métallos wallons et bruxellois de la FGTB. Francis Gomez est président du syndicat interprofessionnel FGTB Liège-Huy-Waremme.

8 C’est d’ailleurs Somos Oviedo qui a financé la rencontre et pas la mairie.

9 Suite aux importantes protestations qui touchent l’ensemble du pays, le gouvernement semble s’orienter vers l’abandon de la loi néolibérale. À suivre.

10 Le PSOE constitue le gouvernement de la communauté autonome des Asturies. Il a préféré constituer un gouvernement minoritaire alors qu’il était possible d’avoir un gouvernement PSOE-PODEMOS-Izquierda Unida. La répartition des sièges dans le parlement asturien est la suivante : 14 députés PSOE, 11 députés du Parti Populaire, 9 députés de PODEMOS, 5 députés d’Izquierda Unida, 3 députés Ciudadanos et 3 députés de Foro (qui est de droite comme le PP et Ciudadanos).

11 Sous l’impulsion de Fidel Castro à partir de 1985 (voirhttp://www.cadtm.org/Fidel-Castro-L…), au Brésil dans les années 1990 et au début des années 2000, en Équateur en 2007-2009 (voirhttp://www.cadtm.org/Des-espoirs-de…), en Grèce en 2010-2015 (voirhttp://www.cadtm.org/Pourquoi-Alexi… et http://www.cadtm.org/Grece-La-Commi…).

12 Il remplacera progressivement le site actuel http://manifiestodeoviedo.org/.

13 Voir le texte complet du manifeste sur www.cadtm.org/Manifeste-d-Oviedo.