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L’autre gagnant de la bataille d’Alep

Kurdistan Syrie

Lien publiée le 23 décembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/raphael-lebrujah/blog/211216/lautre-gagnant-de-la-bataille-dalep

Beaucoup parlent d'une victoire du régime à Alep mais c'est occulter le fait que les FDS, les Forces Démocratiques Syriennes, dont la principale composante sont les YPG/YPJ à majorité kurde du Rojava , ont pris le contrôle de 6 quartiers supplémentaires dans l'ancienne capitale économique du pays.

Résumé des événements de la bataille d'Alep,

Suite aux attaques du régime en Septembre 2016 pour assiéger Alep. Les FDS ont avancé une première fois profitant de la fuite des rebelles pour investir partiellement les quartiers de Ashrafiyeh et Bani Zaid ainsi que le complexe de maison des jeunes au bord de la route Castello depuis le quartier kurde Sheikh Maqsoud (contrôlé par les YPG/YPJ depuis 2012).

Les FDS avaient récupéré beaucoup d'armes des rebelles présentés comme « modérés » ; Elles sont aujourd'hui dans leur écrasante majorité des milices islamistes sous influence de puissances régionales en particulier la Turquie, le Qatar, l'Arabie Saoudite ou de puissances Occidentales. Les rebelles islamistes du CNS (Coalition Nationale Syrienne) bombardaient depuis près de 8 mois le quartier kurde Sheikh Maqsoud (contrôlé par les YPG/YPJ depuis 2012) provoquant des destructions équivalentes aux bombes barils du régime sur les quartier Est d'Alep1. Beaucoup on reproché une collaboration régime/FDS à ce moment. Bien qu'elle soit réfutée par les FDS cela a été repris en chœur par de nombreux médias alors que la sources évidente de ces accusations émanaient de milices islamistes. L'attaque des forces du Rojava contre les positions des milices islamistes est un acte opportuniste des FDS dans l'objectif de faire cessez les bombardements contre leur quartier.

Ces premiers progrès ont abouti à de nombreuses tensions avec le régime qui se sont soldées par quelques échanges de tirs. Il est important de préciser qu'Alep Est était déjà assiégé avant l'intervention des FDS pour ainsi dire, l'intervention des FDS n'a strictement rien changé à la situation des quartier Est de la ville contrairement aux accords passés entre le principal parrain des rebelles, la Turquie, avec la Russie.

Une contre-offensive rebelle dirigée par Jabhat Fatah Al Sham (anciennement Front Al-Nosra, ou Al Qaïda en Syrie), brisa brièvement le siège avec un soutien important de la Turquie. En échange de la fin du soutien à la contre-offensive rebelle sur Alep et le retrait de ses milices,la Russie et l'Iran ont accepté de laisser rentrer l'armée turque au Nord de la Syrie à Jarabulus et Azaz pour empêcher la réunification des cantons de Kobané et d'Afrin notamment par la prise d'Al Bab. Le régime se contentant de laisser faire en condamnant mollement. Un signe de plus de la dépendance de plus en plus grande du régime envers l'Iran et la Russie (voire au Hezbollah). Une fois les troupes d'islamistes retirées d'Alep et la fin du soutien de la Turquie, il fut assez simple d'attaquer des quartiers rebelles fatigués par 4 ans de combat et abandonnés par là par leur principal parrain.

C'est au moment précis de l’effondrement des poches rebelles, que les FDS entrent en action. Au moment de la chute du quartier d'Hanano, au profit du régime, cela déclenche une onde de choc parmi les milices rebelles. Des milliers de civils commencent à fuir vers les positions des FDS, parfois sous le feu des rebelles, refusant de vivre de nouveau sous le joug du régime. Parmi les milices certaines décident de se rendre en grand nombre aux FDS plutôt qu'au régime. En effet arrêtés par le régime leur sort était incertain : risque élevé d'être torturé, de subir des représailles ou encore d'être exécuté sommairement. Ces pratiques étant interdites chez les FDS, les rebelles en question ont fait leur choix. Des milices rebelles appellent officiellement à se rendre aux FDS.

Après un accord où avec les FDS, ils investissent 6 quartiers (Bustan Al Pasha, Sheikh kheder, Hellok, Haydariyah, Sheikh Fares et Ba'edin peuplé de kurdes, de turkmènes et d'arabes) et s'emparent des armes des milices rebelles, en échange les FDS acceptent leur reddition et leur offrent l'asile. Certains de ces miliciens marqués par l'échec politique et militaire des islamistes ont même rejoint les rangs des FDS. Beaucoup des civils réfugiés chez les FDS aujourd'hui intègrent les Asayishs, les forces de polices du Rojava. C'est une population en fuite mais déterminée à résister qui a rejoint par milliers l'enclave. L'ONU estime qu'au moins 30 000 personnes sont venues se réfugier dans les quartiers sous contrôle des FDS.

Le reste des quartiers sous contrôle rebelle s'écroule les jours suivants. Les dernières poches sont évacuées avec de nombreux accrocs du fait que l'Iran souhaite imposer ses conditions dans les négociations entre la Turquie et la Russie. En plus de l'évacuation des rebelles d'Alep, les rebelles laissent ordonner l'évacuation partielle (blessés et civils) de l'enclave chiite de Kafarya et Fu'ah.. Longtemps soumis à un siège et tirs nourris des islamistes.

Les bouleversements en cours

Le régime récupère le capital symbolique de cette importante victoire mais il règne sur une ville en ruines et vidée de sa population. Bachar El Assad fera son discours dans le décor qu'a été l'enfer d'Alep. Il n'empêche qu'il se retrouve en position de force pour les prochaines négociations. Les rebelles islamistes n'ont plus de présence dans les 5 plus grandes villes (à part quelques poches à Damas) et le régime les a repoussé de la majeure partie de la Syrie utile (partie de la Syrie riche, peuplée et urbaine). Les loyalistes n'ont pas obtenu la victoire grâce à une prouesse militaire particulière mais plutôt par des manœuvres diplomatiques astucieuses menées par son allié russe.(décrit dans un de mes précédents articles2) D’ailleurs la chute récente de Palmyre montre que leur armée est désorganisée et encore très affaiblie. incapable de faire face à Daech, lui-même très affaibli après ses multiples défaites contre les FDS et les YPG/YPJ comme récemment à Manbij où il a perdu la deuxième ville la plus importante sous le contrôle de l'organisation djihadiste. Le régime, l'opposition islamiste et Daech sont très faibles. Les seules forces syriennes qui enregistrent des progrès importants sur le terrain sont les FDS qui ont Raqqa en ligne de mire.

Dans la ville même d'Alep, Les FDS contrôlent près de 15-20% de la ville où ils revendiquent le contrôle de 7 quartiers , deux sous contrôle partiel et probablement quelques petites extensions dans les quartiers de Ayn Al Tal et de Sakhour (un rapport des FDS indiquaient qu'ils avaient repoussé une attaque d'islamistes dans les jardins du quartier de Sakhour peu de temps avant leur chute). La prise de contrôle des quartiers a engendré de nouvelles tensions avec le régime qui se sont, cette fois-ci, soldées par 2 morts coté régime. Il est donc faux de dire que le régime contrôle la deuxième ville du pays comme l'ont martelé certains médias. Il est important de rappeler que de nombreux bataillons des FDS font aussi partie de l'ASL, l'Armée Syrienne Libre. Par conséquent cela annonce des luttes de pouvoir à venir et les batailles d'Alep ne sont pas terminées. Les premiers éléments indiquent un refroidissement des relations régime/FDS avec la réouverture de la route de Cheikh Maqsoud à Afrin, fermée depuis 5 ans. C'est une véritable bouffée d'oxygène pour les habitants du quartier à majorité kurde vivants sous siège depuis tout ce temps.

L'arrivée des troupes turques qui se lancent à l'assaut d'Al Bab (à quelques dizaines de kilomètre au Nord Est d'Alep) avec leurs supplétifs islamistes syriens montre que le régime risque de se retrouver avec un partenaire imposé bien encombrant aux abords de la ville. De plus les rebelles islamistes sont présents tout autour d'Alep qui reste quasiment encerclé. Relié au reste des territoires du régime par une simple autoroute fortifiée au Sud.

Quelle sont les perspectives ?

Dans l'immédiat, le régime va essayer de consolider ses positions tout comme l'opposition islamiste démoralisée. C'est pour cela que Vladimir Poutine a appelé à un cessez-le-feu, car les deux parties peuvent y trouver leur compte le temps que chacun réorganise ses forces. Daech va tenter de retarder sa fin le plus possible en attendant de saisir des opportunités comme à Palmyre. Pour les FDS il s'agit de prouver qu'ils sont capables de prendre le contrôle de grandes villes comme Raqqa et Deir Ezzor et de s'affirmer comme la principale force militaire syrienne dans le nord et l'Est de la Syrie. Le but de la Turquie est de stopper à tout prix l’expansion territoriale du Rojava, le prochain enjeu d'importance va avoir lieu autour des conflits entre les FDS et la Turquie. La Turquie sera probablement tentée après sa probable prise d'Al Bab de se tourner vers le canton d'Afrin du Rojava ou la ville de Manbij. La Turquie engloutit de plus en plus de moyens dans son opération et envoie chaque jours davantage* de blindés et de forces spéciales. Les milices islamistes sont devenues un pur supplétif des troupes coloniales turques qui mènent actuellement un nettoyage ethnique de grande ampleur contre les Kurdes, majoritaires dans cette région. A Jarabulus par exemple, elle a fait venir des milliers de Turkmènes sunnites de Tal afar. Ville irakienne connue pour les atrocités des Turkmènes sunnites contre les Turkmènes chiites chassés de force de la ville. En bref, que des aguerris du nettoyage ethnique en avant garde.

Pour ce qui est de la ville d'Alep, plusieurs possibilités s'offrent au régime. Dans un premier temps le statu quo sera probablement mise en place. Chacun gère ses quartiers comme il l'entend mais à terme soit un accord est trouvé entre les FDS et le régime soit le régime va attaquer. Mais il y a plusieurs bémols dans ce cas. En effet le quartier de Cheikh Maqsoud est situé sur une colline qui domine Alep. Une position défensive idéale. Le régime avait tenté d'attaquer la position aux mains des YPG/YPJ à l'été 2013 et avait subi de lourdes pertes. De plus, les combats urbains peuvent vite tourner au carnage face à une résistance résolue. Les positions des FDS du canton d'Afrin ne sont qu'à quelques kilomètres au nord et relier les quartier nord de la ville contrôlé par les FDS aux canton d'Afrin est tout à fait plausible. Levant de fait l'encerclement du régime. Ensuite le régime lui-même a des positions encerclées dans le canton de Cizîre au Nord-Est de la Syrie. Ce faisant, les dernières enclaves du Nord-Est syrien risqueraient de tomber rapidement aux mains des Kurdes notamment un aéroport et deux bases militaires. Pour ainsi dire c'est un pari très risqué pour le régime d'attaquer les positions des kurdes à Alep même si celui-ci sera tenté par des démarches agressives. Probablement soutenu par son allié iranien qui voit d'un très mauvais œil l’expansion du Rojava au nord syrien de peur que ses propres Kurdes ne se révoltent à leur tour. C'est pour cela que Bachar El Assad a déclaré que les régions fédérales kurdes ont vocation à être temporaires malgré la Russie qui cherche à trouver un accord entre le Rojava et son protégé.

C'est une manière implicite de reconnaître le Rojava comme une opposition sérieuse au régime. Cette opposition démocratique apparaît de plus en plus comme une alternative crédible au fil de ses victoires.

La suite dans les coulisses de la diplomatie et les brouillards de la guerre.

1https://twitter.com/NabilAbiSaab/status/808808058986045440

2https://blogs.mediapart.fr/raphael-lebrujah/blog/040916/etude-de-situation-propos-de-jarabulus