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Alep en carte : du rouge, rien que du rouge
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Lorsqu'on est cartographe, les couleurs sont essentielles. Le rouge est essentiel. Dans nos sociétés occidentales, il exprime l’alerte, le danger, le sang, la mort. Le vert peut représenter tour à tour l’agriculture, l’écologie, l’islam ou encore l’espoir. Dans les cartes, la couleur est essentiel.
La première carte d'Alep réalisée par Delphine Papin pour Le Monde• Crédits : Avec l'aimable autorisation de Delphine Papin pour Le Monde
Dans le cadre de la journée France : inventaire avant élections, la chronique est tenue par Delphine Papin, responsable du service Infographie-cartographie au journal Le Monde.
Depuis quatre ans et demi, j’ai crayonné la ville d’Alep une dizaine de fois. Du vert lorsque les rebelles prenaient un quartier, du rouge lorsque les troupes gouvernementales d’Assad pillonaient une zone. Ma première carte d’Alep au journal le Monde remonte à l’été 2012. La capitale économique du pays était jusque-là restée en marge de la révolution qui avait débuté un peu plus d’an plus tôt, dans le sud du pays, en mars 2011.
Cette première carte d’Alep est importante car elle montre à une échelle locale qu’il ne s’agit pas d’un conflit confessionnel opposant suniites d’une part, alaouites, chrétiens et kurdes de l’autre mais d’une révolution socio-économique. A Alep, en 2012, il était impossible de tracer la délimitation entre quartiers sunnites et alaouites ou chrétiens, tant la population était mélangée dans cette agglomération commerçante, proche de la Turquie et où la réussite se mesurait à la possession d’une échoppe dans le souk multiséculaire du vieux centre.
Pas de coupure ethno-confessionnelle donc, mais une coupure socio-économique nette : à l’ouest les quartiers aisés, à l’est les quartier populaires. En 2012, outre l’université, les lieux d’affrontements entre l’armée et les opposants au régime se situent dans les quartiers les plus pauvres, là où se concentrent les populations restées en marge du développement depuis des années et qui réclament plus de justice sociale.
Au mois de juillet de cette année-là, la guérilla rébelle originaire des villages autour, entre dans Alep-est. Elle est bien accueuillie dans cette partie de la ville. Ses combatants sont souvent des cousins poussés en ville pas la sècheresse et l’exode rurale. Le régime est pris par suprise et incapable de juguler l’insurrection, la transforme en guerre. A mesure que les rebelles avancent vers le vieux centre, les combats s’intensifient.
A écouter et lire : Syrie : retour sur huit mois de combats acharnés à Alep
Le pouvoir pilonne immeuble par immeuble rebelles et civils avec pour un objectif : faire fuire les habitants. Mes cartes se couvrent alors de multiples teintes de rouge. Du rouge pour les premiers exactions, du rouge pour les premiers bombardements, du rouge et encore du rouge pour les bombes barils, cette arme rudimentaire utilisée massivement par le pouvoir et dont les civiles ont été les première victimes.
En face, le vert des rebelles, le vert de l’espoir s'assombrit et j’y ajoute du noir lorsque les combattants de factions djihadistes, comme le Front Al-Nosra, prennent place aux côtés de l’Armée syrienne libre.
Pour comprendre, la férocité des combats à Alep, il faut changer d’échelle, dé-zoomer la carte. Il faut voir Alep dans son contexte régional, à proximité de la Turquie où se trouvent les bases rebelles et celles du Front Al-Nosra. La crainte du pouvoir est alors de voir se former, entre la frontière et l’est de la ville, une bande de terre continue permettant le ravitaillement des troupes rebelles. Ainsi, Alep symbole d’ouverture par sa mixité est devenu un verrou, un verrou stratégique qu’il fallait faire tomber à n’importe quel prix.
Ce matin ou dans quelques heures, la carte d’Alep sera totalement rouge, la guerre aura avalé toutes les couleurs pour reprendre le mots d’une autre chronique et n’en aura laissé qu’une seule : le rouge drapeau de la Syrie d’Assad, mélangé à celui de la Russie de Poutine, acteur majeur de la chute d’Alep.
En quatre ans et demi, Je n’aurai finalement jamais mis de bleu sur Alep, ni celui des casques de l’ONU, ni celui du fond étoilé du drapeau américain, pas plus que le bleu Azur de celui de l’Union européenne.
Du rouge, rien que du rouge.
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Intervenants
- Delphine Papin : docteur de l'Institut francais de géopolitique, Université Paris 8 et cartographe au journal Le Monde.
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