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Quand les politiques instrumentalisent jusqu’aux crèches de la Nativité
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’installation d’une crèche dans l'Hôtel de ville de Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) démontre une réelle volonté politique de créer une brèche dans le principe de laïcité.
A ce point de l’hiver ou nous avons plaisir à nous retrouver pour les fêtes de Noël, pourquoi la Ligue des droits de l’homme - mais aussi les associations comme La Libre pensée ou d’étudiants en droit - vient dénicher les crèches installées au creux des Hôtels de ville ou de région ?
Prenons l’exemple de la commune Paray-le-Monial, dont le juge administratif a ordonné vendredi 23 décembre le retrait de la crèche de nativité installée dans l’Hôtel de ville. Il s’agit d’une toute petite crèche, en feutrine, fabriquée par une association d’insertion pour handicapés regroupant chrétiens et musulmans de Bethléem. Pour le maire de cette ville, il s’agit de nos racines chrétiennes qu’il faut respecter, y compris dans nos institutions.
Or, nos racines c’est aussi l’édit de Nantes, la Révolution française, la philosophie des Lumières, le Front populaire. Et notre spécificité, c’est cette solution aux conflits de religions trouvée par notre Parlement par le principe de laïcité et la neutralité de l’Etat et des services publics. La loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat. Liberté de culte de chacun, limitation dans l’intérêt général et Etat indépendant des religions qui ne reconnaît aucun culte, ne privilégie aucun culte par rapport à un autre. L’article 28 de la loi de 1905 prohibe les signes religieux dans les bâtiments publics à l’exception des monuments aux morts, cimetières, musées, etc.
Comme l’indique le titre de la loi, les choses des Eglises sont gérées par les Eglises - y compris les crèches - et sont séparées des choses de l’Etat : acte d’état civil, inscription à l’école, bureau de vote. Nous n’allons pas en mairie pour célébrer la naissance de Jésus, Hanoukka ou la fête de l’Aïd, mais bien pour y attendre un service public étatique… Nous n’attendons pas du maire qu’il soit l’arbitre des religions mais qu’il soit le premier magistrat de la commune.
Alors plusieurs responsables politiques tentent de rentrer dans une des exceptions de l’article 28 de la loi de 1905 : les expositions. Le Conseil d’Etat a limité cette exception (arrêts d’assemblée du 9 novembre 2016) aux villes ou existe une tradition ancienne, dans le cadre de festivités culturelles ne faisant pas de prosélytisme, pour les crèches profanes, telles les crèches provençales qui reconstituent le village d’autrefois, avec le meunier ou la place du village. Le Conseil d’Etat s’est placé dans la ligne de ses arrêts admettant les ostentations, processions catholiques multiséculaires faisant partie du patrimoine vivant de certaines communes.
Cette décision du Conseil d’Etat fait sienne la pensée d’Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, «toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué, dans le silence des textes ou dans le doute sur leur exacte appréciation, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur». Deux critiques demeurent cependant.
Tout d’abord, en 1905, les expositions avaient lieu dans des endroits dédiés – pas question d'organiser une Exposition universelle dans un Hôtel de ville. En ce sens, l’article 28 de la loi de 1905 réglemente l’usage de bâtiments publics et donne comme dérogations certains bâtiments publics. Il s’agit en droit de régir des biens matériels immeubles. Il serait donc surprenant qu’il puisse être dérogé à cette réglementation de biens matériels immeubles par un élément du droit immatériel que constitue une exposition. Mais le Conseil d’Etat n’a pas été saisi de cette argumentation qu’il lui conviendra de juger lors des prochains conflits qu’il aura à trancher.
Car, et c’est la deuxième critique qui peut être portée à la solution dégagée par le Conseil d’Etat, proche de celle de sa décision rendue en 1989 sur le port du voile à l’école qui privilégiait la solution libérale d’Aristide Briand et renvoyait à l’analyse au cas par cas de cas de prosélytisme. Le Conseil d’Etat va laisser se débattre les usagers du service public et les maires dans des cas d’espèce inextricables. Quid de la crèche de nativité agrémentée d’un meunier, d’une place de village ?
Il ne faut pas se leurrer, les hommes politiques qui se drapent dans les traditions locales la dévoient souvent. Ainsi à Béziers, cœur du Midi rouge - qui l'illustre par la création des caves coopératives dès 1906, une mutualisation d’un outil de production au bénéfice des vignerons - il n’existe aucune tradition de crèche dans les bâtiments publics. La première a été installée il y a trois ans par Robert Ménard. Il en va de même à Beaucaire, qui n’a aucune tradition de crèche et qui, comble de la provocation, installe une crèche provençale dans le village et une crèche de Nativité dans l’Hôtel de ville ! Une pensée politique prévaut, celle de l’extrême droite qui porte aussi, de façon plus feutrée qui tente de se faire oublier, celle de la famille «traditionnelle», régie dans un statut avec l’homme dans l’espace public, la femme dans l’espace privé. Ainsi à Paray-le-Monial, la mairie soutient des stages d’été de «revirilisation» et aussi des sessions pour lutter contre son attirance homosexuelle.
L’installation d’une crèche de Nativité dans un Hôtel de ville, cœur des services publics, alors qu’elle pourrait être disposée dans de nombreux autres lieux de la ville, démontre une réelle volonté politique qui vise à mettre en péril cet équilibre unique, même s’il est imparfait, même s’il est difficile à faire vivre, que nous permet le principe de laïcité. Il faut le rappeler, la laïcité c’est avant tout la liberté pour chacun de vivre sa foi, sa religion ou sa philosophie de vie, son agnosticisme ou son athéisme, en étant garanti de la neutralité de l’Etat.
C’est la possibilité de savoir que l’accès aux institutions de l’Etat nous est garanti de la même façon, quelle que soit la croyance ou l’absence de croyance de l’administré et du représentant des pouvoirs publics. C’est un principe de paix sociale qui permet à chacun, le cœur serein, de savoir que sans crainte d’une quelconque discrimination, il peut s’adresser à l’administration. La République peut être aimée de tous et accueille tout le monde, sans acception de personnes.