[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Cuba: Construire le socialisme, comment ?

Cuba

Lien publiée le 28 décembre 2016

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.inprecor.fr/article-Cuba-Construire%20le%20socialisme,%20comment%C2%A0%20?id=1958

Face à la pression croissante pour la libéralisation économique, que faudrait-il faire pour transformer le pays en une démocratie socialiste ?

Maison équipée d'un panneau solaire. Photothèque Rouge/Sébastien Ville

Maison équipée d'un panneau solaire. Photothèque Rouge/Sébastien Ville

En juillet de cette année, le ministre de l’économie de Cuba, Marino Murillo, a annoncé qu’en raison d’une réduction de 20 % des livraisons de pétrole en provenance du Venezuela, le gouvernement prévoyait une réduction de l’approvisionnement en électricité de 6 %, et de 28 % pour le carburant. Il ordonnait en même temps la réduction immédiate de la consommation d’énergie dans le secteur public, avec en conséquence une diminution des heures de travail pour les employés de l’État. Il a mis en garde contre la possibilité de pannes d’électricité et a ressuscité le spectre des jours terribles de la « Période spéciale » des années 1990.

Cela a porté un coup supplémentaire aux efforts du gouvernement de Raul Castro pour mettre en place une version cubaine du modèle sino-vietnamien, qui maintiendrait un État à parti unique tout en ouvrant l’économie au secteur privé et au marché.

Au plan politique, ces efforts ont porté sur un assouplissement du contrôle de l’État sur les citoyens. Mais cela n’a pas été accompagné d'une démocratisation. Par exemple, les réformes de l’immigration de 2012 ont facilité la possibilité pour des citoyens cubains de quitter l’île et d’y revenir, mais n’ont jamais reconnu le voyage à l’étranger en tant qu’un droit.

Dans le domaine de l’économie, le gouvernement a mis en place une stratégie très modeste et contradictoire. Par exemple, les réformes structurelles dans le secteur de l’agriculture permettent la location de terres pour une durée maximale de 20 ans, contrairement aux gouvernements chinois et vietnamien qui permettent de tels contrats pour une période plus longue, allant même jusqu’à la permanence.

Actuellement, le travail à son compte (self-employment) est autorisé dans quelques professions (un peu plus de 200). Si la réforme avait été ouverte à l'ensemble de l’économie – sauf dans les secteurs considérés comme prioritaires au plan social, comme la santé – cela aurait pu augmenter de façon significative la disponibilité des produits et des services sur l’île.

Les changements complémentaires que le gouvernement a introduits afin de renforcer les réformes structurelles – la création de marchés de gros et un crédit bancaire commercial – étaient insuffisants. Finalement, ils ont eu un impact négatif sur les réformes elles-mêmes. En outre, la bureaucratie et l’inefficacité d’Acopio – l’agence d’État qui a le monopole pour l’achat de la plupart des produits agricoles à des prix fixés par le gouvernement – ont ralenti la production agricole. Et de nombreuses récoltes ont pourri avant leur transformation dans les usines gouvernementales.

Les demi-mesures du régime Castro vont – c’est plus que probable – pousser Cuba en direction d’une forme de capitalisme d’État sans démocratie. Mais une alternative est toujours possible.

Pas de relance

Avant la crise actuelle, l’économie cubaine avait réussi à se relancer partiellement après les pires années de la « période spéciale » qui a dévasté le pays dans le sillage de l’effondrement du bloc soviétique, à la fin des années 1980 et au début des années 1990. L’économie de l’île a touché le fond entre 1992 et 1994, au moment où les pénuries alimentaires ont provoqué une épidémie de neuropathie optique (inflammation du nerf optique) qui a touché environ cinquante mille personnes. Depuis, le PIB a dépassé le niveau atteint en 1989.

Mais les autres indicateurs n’ont jamais retrouvé leur niveau atteint alors. Les salaires et les retraites, en termes réels, étaient encore en 2014 à 27 % et 50 %de leur niveau de 1989. Pendant ce temps, les dépenses sociales ont diminué. Et la consommation des ménages devrait baisser de 2,8 % en 2016 et de 7,5 % en 2017.

Même si la faim, qui existait au début des années 1990, a disparu, les Cubains doivent encore se battre très dur pour trouver suffisamment de nourriture. Le développement tellement vanté de l’agriculture bio en milieu urbain représente une proportion assez faible de la production agricole. Comme l’a noté l’économiste cubain Juan Triana Cordoví, la baisse de la production nationale a forcé les hôtels à importer des légumes, y compris du manioc, élément de base de la cuisine cubaine. Les petits progrès dans l’agriculture durable ne compensent pas le fait que la production alimentaire n’a jamais retrouvé son niveau de 1989 et que plus de la moitié de l'approvisionnement alimentaire de Cuba provient des importations, à un coût annuel de 2 milliards de dollars.

Beaucoup d’acquis de la révolution dans les domaines de l’éducation et de la santé ont également été perdus. Les enseignants qui ont quitté le secteur en raison de bas salaires n’ont pas tous été remplacés. Le soutien scolaire privé – souvent fourni par des enseignants du secteur public durant leur temps libre – a connu une croissance exponentielle. De nombreux bâtiments scolaires, des bibliothèques et des laboratoires sont délabrés. Au début de cette année scolaire, quelque 350 bâtiments scolaires ont été fermés étant donné leur dégradation.

Cela vaut également pour de nombreux hôpitaux et autres établissements médicaux qui fonctionnent avec un personnel réduit au strict minimum : le gouvernement a envoyé un grand nombre de médecins de famille et de spécialistes au Venezuela et dans d’autres pays en échange de pétrole et de devises.

Les réformes contradictoires du régime actuel vont sans doute être dépassées avec la sortie de la scène politique de la génération historique de dirigeants de la révolution. La deuxième génération de la bureaucratie d’État est susceptible de s’engager intégralement dans le modèle sino-vietnamien, inclinant peut-être un peu plus vers le capitalisme russe, qui combine le pillage oligarchique des biens de l’État et une « démocratie » formelle qui fournirait au Congrès étatsunien l’excuse nécessaire pour abroger la loi Helms-Burton de 1996 et ainsi supprimer le blocus économique de l’île.

En plus de s’attirer la sympathie des États-Unis, la nouvelle génération de dirigeants va chercher à gagner le soutien de capitaux étrangers et celui d’au moins un secteur du capital américano-cubain, avec la perspective rassurante d’un gouvernement contrôlant totalement l’État, les médias et les organisations de masse – y compris les syndicats contrôlés par l’État – pour garantir aux nouveaux investisseurs capitalistes, cubains ou étrangers, la paix, la loi et l’ordre.

Cependant, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du gouvernement, d’autres modèles économiques sont en débat, bien que de manière très discrète, étant donné un système politique qui ne permet pas un débat d’idées franc et complet.

« Une économie libre et rationnelle »

Depuis un bon moment, des critiques du régime préconisent la mise en place d’une économie de marché libre comme la seule alternative « rationnelle » à l’administration bureaucratique de l’économie placée sous le contrôle du Parti communiste.

On a là un large éventail d’opinions qui va d’une position affirmée en faveur d’un marché libre jusqu’à la perspective plus sociale-démocrate d’un État providence. Dans ce dernier groupe, les critiques modérés rejoignent des économistes universitaires, y compris des membres du Centre d’études pour l’économie cubaine de l’université de La Havane.

Mais presque aucun de ces critiques n’a évoqué la question de ce qu’il faut faire avec la partie la plus importante de l’économie cubaine : les grandes entreprises publiques. Au lieu de cela, ils se concentrent sur la création de petites et moyennes entreprises (private PYMEs), bien qu’ils n’aient jamais clarifié ce que signifie réellement « moyenne ».

Ils ont également soutenu les mesures du gouvernement visant à remplacer le système de rationnement universel par un autre qui, au lieu de subventionner les produits, assurerait un complément aux personnes à faible revenu. Aujourd’hui, tous les Cubains, indépendamment du revenu, reçoivent un certain nombre de produits (à bas prix) subventionnés par le gouvernement. Dans le nouveau système, seuls les plus pauvres et les plus vulnérables auraient droit à ces avantages, ce qui aboutirait à rationaliser les marchés de biens agricoles et à réduire le budget du gouvernement. La récente décision du gouvernement de réduire le nombre de produits distribués de cette manière marque la première étape vers la mise en place du système centré sur le niveau des revenus.

Enfin, ces critiques expriment aussi un soutien à l’élimination du monopole étatique du commerce extérieur. Ce qui impliquerait la possibilité pour les Cubains d’importer de l’étranger sans aucune limite.

Tito à Cuba

Comme tous les opposants au régime, la gauche critique naissante – composée majoritairement d’anarchistes et de sociaux-démocrates – a dû fonctionner sous la surveillance et la répression étatiques. Ces courants sont opposés aux réductions des prestations de l’État et – pour la première fois dans l’histoire de la gauche à Cuba – plaident pour une économie autogérée par les salarié·e·s.

Il est intéressant de constater qu’ils ne mentionnent jamais la question de la planification démocratique ou de la coordination entre les secteurs économiques. Leur version de l’autogestion s’inscrit dans une économie où des entreprises autonomes se font concurrence entre elles. Cela ressemble au système mis en place par Tito en Yougoslavie entre 1950 et 1970.

Ce socialisme de marché était autogéré à l’échelle locale, mais contrôlé au niveau régional et national par la Ligue des communistes de Yougoslavie. Cela a contribué à accroître la participation, la prise de décisions et la productivité des travailleurs au niveau local. Toutefois, en raison de la concurrence et du manque de planification démocratique, ce système a également créé le chômage, une forte volatilité des cycles économiques, l’inégalité des salaires et des différences régionales qui ont favorisé les républiques du nord.

Les salarié·e·s n’ayant aucun pouvoir de décision au-delà de leur lieu de travail, cela a suscité un point de vue localiste, les éloignant des décisions économiques de portée nationale. Les salarié·e·s n’ont vu aucune raison pour soutenir des investissements dans d’autres entreprises et d’autres projets, en particulier ceux qui apparaissaient distants et éloignés de leur lieu de travail.

Après tout, comme l’a souligné Catherine Samary dans la Déchirure yougoslave, le modèle d’autogestion yougoslave ne pouvait pas faire face à la planification bureaucratique et au marché. Les années 1970 furent la dernière décennie de croissance. La Yougoslavie a fini par accumuler une dette de 20 milliards de dollars qui a conduit à l’intervention du Fonds monétaire international (FMI).

Il semble alors bien problématique de reprendre le modèle yougoslave à Cuba. De plus, personne au sein de cette opposition de gauche n’a expliqué comment un modèle d’autogestion serait possible en l’absence d’un mouvement ouvrier ou comment il pourrait fonctionner si les travailleur·e·s ne sont pas motivés pour lutter en faveur de tels objectifs.

Il y a d’autres voix au sein de la gauche critique qui rejettent toute concession au capital et aux entreprises privées, puisque l’entreprise capitaliste, par définition, serait en contradiction avec le socialisme. Mais ces derniers n’ont pas réussi à répondre à la question cruciale : comment un Cuba socialiste et démocratique pourrait sortir de la pauvreté et de la stagnation économique sans faire aucune sorte de concession ?

Ce qui est possible

Pour un nombre croissant de Cubains, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, le socialisme – tant démocratique qu’autoritaire – est une utopie irréalisable. De moins en moins de Cubains le considèrent encore comme souhaitable ou probable. La situation économique présente de l’île – et l’existence d’un très puissant capital mondialisé – rend certes difficile d’imaginer la possibilité d’un socialisme développé.

La faisabilité d’un socialisme développé est liée à la théorie marxiste qui rejette la possibilité du socialisme dans un seul pays, en particulier en ce qui concerne un pays économiquement sous-développé dans un monde capitaliste qui, de plus, n’est pas menacé actuellement par des révolutions socialistes.

Outre le fait de devoir faire face à l’hostilité de son voisin impérial, Cuba ne pourrait pas adopter un développement économique « socialiste » autarcique ne serait-ce que parce que le pays est toujours dépendant des importations de pétrole. Sa dépendance au tourisme, à l’exportation de services médicaux, de nickel et, dans une moindre mesure, de produits pharmaceutiques ainsi que d’une production sucrière considérablement réduite caractérise son économie basée sur le commerce extérieur. Son intégration dans le marché capitaliste mondialisé empêche l’établissement d’une pleine démocratie socialiste.

Mais cela ne signifie pas que Cuba devrait abandonner le socialisme. Toutefois, les critiques doivent le penser en tant qu’économie en transition, en tant que rempart temporaire qui peut être effectivement bâti, jusqu’à ce que la situation internationale devienne plus favorable au développement du socialisme.

L’économie politique du marxisme classique offre un modèle de ce que pourrait être ce rempart. Il reconnaît le rôle plus important que jouent la production et la distribution individuelles, familiales et à petite échelle dans les pays moins développés – comme Cuba.

Dans Socialisme utopique et socialisme scientifique, Engels distingue entre le capitalisme moderne – où la production est socialisée, mais le produit est contrôlé et approprié par le capitaliste – et le socialisme – dans lequel la production et la propriété sont socialisées. Cette distinction découle de l’idée que la propriété productive fondée sur le travail collectif est l’objet adéquat de la socialisation et non pas la propriété productive familiale ou individuelle, et encore moins la propriété des objets à usage personnel.

Par conséquent, une économie en transition à Cuba doit permettre la petite propriété productive privée. Cette approche découle d’une analyse marxiste du capitalisme et non pas d’une adaptation opportuniste aux politiques libérales, dites de marché libre.

À Cuba, comme dans beaucoup d’autres pays peu développés, une économie de transition subordonnerait le secteur privé de la petite entreprise régi par des mécanismes de marché au secteur public chargé de la gestion de la grande industrie – production de médicaments, tourisme, ressources minérales et banques – sous le contrôle des salarié·e·s, coordonnés démocratiquement et planifiés dans un système démocratique. Le gouvernement aurait pour tâche d’harmoniser – en prenant appui sur les ressources à sa disposition pour enquêter sur les conditions du marché et élaborer des prévisions économiques les plus appropriées – l’économie étatique avec celle des petites entreprises autonomes, selon un plan démocratiquement défini.

Les obstacles économiques

Tout d’abord, il est nécessaire d’avoir une appréciation honnête de l’économie, qui a connu une nette détérioration, y compris avant la crise actuelle provoquée par la diminution des livraisons de pétrole provenant du Venezuela.

Pour commencer, l’ample secteur public qui inclut les trois quarts de l’économie est en train de vaciller. L’économiste cubain Pedro Monreal a indiqué que le gouvernement lui-même a admis, publiquement, que 58 % des entreprises étatiques fonctionnaient « mal ou de manière déficiente ».

La croissance économique a été en général basse et la crise présente n’a fait qu’aggraver cette situation. Selon les calculs de l’économiste cubain Pavel Vidal Alejandro, le PIB de Cuba ne croîtra pas en 2016 et connaîtra une contraction, très probable, de 3 % en 2017. Ce serait la première année de croissance négative au cours du dernier quart de siècle.

Dans l’opposition de gauche, des voix s’opposent à la croissance économique, entre autres pour des raisons écologiques. Néanmoins, une des conditions nécessaires pour la démocratisation c’est l’amélioration des conditions de vie des Cubains. Au contraire, la stagnation permanente de l’économie et la détérioration du niveau de vie susciteront une émigration massive qui, en plus d’être une tragédie, réduirait le potentiel d’un mouvement d’opposition démocratique et progressiste, voire socialiste, à Cuba.

Encore plus inquiétant est le fait que le taux d’investissements nouveaux pour le simple remplacement du capital existant est l’un des plus bas d’Amérique latine. Il se situe à moins de 12 % du PIB. Pour 2016, les prévisions du gouvernement indiquent une diminution des investissements à hauteur de 17 %, et de 20 % pour 2017. Cela conduirait à un taux de formation brute de capital fixe inférieur à 10 % du PIB, soit la moitié de ce qui serait nécessaire pour le développement économique.

Cette détérioration du capital investi non seulement empêche une expansion, mais fait obstacle au maintien des niveaux actuels, pourtant en voie d’épuisement, de la production économique et du niveau de vie. Voilà pourquoi Cuba a atteint la limite de ses ressources disponibles pour soutenir une augmentation significative du tourisme – en 2014, le nombre de touristes s’élevait à 3 millions, en 2015 à 3,5 millions, et à 3,7 millions selon les prévisions pour 2016 – qui s’est développé grâce à la reprise des relations entre Cuba et les États-Unis, dès décembre 2014. La suppression, ordonnée par l’administration Obama, des restrictions aux envois de devises a créé une situation de pénurie paradoxale de nourriture et de boissons. L’envoi de devises accroît la demande interne, mais l’offre ne peut y répondre.

La productivité du pays est aussi restée stationnaire. À l’exception des pommes de terre, la productivité agricole à Cuba est bien inférieure à celle du reste de l’Amérique latine. Dans le secteur industriel, les biotechnologies constituent le seul secteur qui jouit d’une productivité relativement haute en comparaison de celle des autres économies de la région.

L’augmentation de la productivité ne concerne pas que le capitalisme assoiffé de profits. Une économie qui veut en priorité réduire les travaux pénibles, améliorer le niveau de vie, augmenter le temps libre, ne peut le faire que si elle donne aussi la priorité à produire plus avec la force de travail disponible.

Che Guevara a préconisé ce qui, de fait, a fini par être un moyen de pressuriser plus le travailleur. Pour obtenir une économie plus productive, l’alternative réelle réside dans l’organisation du travail, la technologie et, le plus important, le contrôle ouvrier. L’autogestion, en tant que telle, est une motivation puissante. La faible productivité actuelle provient d’un système bureaucratique qui systématiquement désorganise et suscite le chaos, et n’offre aux salariés ni des motivations politiques – en leur permettant d’avoir leur mot à dire ainsi qu’un droit de décision sur ce qu’ils produisent –, ni des motivations matérielles, propres au système capitaliste. Les « stimulants moraux » de Guevara ont échoué : ce fut une méthode visant à responsabiliser les travailleurs sans leur donner de pouvoir et à les faire travailler plus dur sans droit au contrôle ni compensation matérielle.

Les obstacles écologiques

L’opposition de gauche à une croissance économique est fondée pour l’essentiel sur des considérations écologiques. Cuba affronte de graves problèmes environnementaux, parmi lesquels l’augmentation du nombre de ruptures et de fuites dans son vieux système de distribution d’eau mal entretenu dans toute l’île. Cela provoque des pertes considérables d’eau qui, souvent, stagne dans les rues ou sur des terrains vagues. Et cela a entraîné la constitution de réserves d’eau par de nombreux habitants pour faire face aux manques. Cette situation a abouti à la prolifération du moustique Aedes Aegypti, qui transmet la dengue, une infection virale dangereuse.

De plus, l’augmentation du nombre de porcs, de volailles et de cultures familiales – qui fait partie du mouvement de l'agriculture urbaine tant vantée, mais très  problématique – se combine avec la détérioration des services de collecte des ordures ménagères, ce qui accroît considérablement le risque de crises sanitaires en milieu urbain.

Le gouvernement proclame avoir arrêté l’épidémie du virus Zika et presque éliminé la dengue : cela doit être accueilli avec scepticisme tant que perdurent les conditions favorables à la diffusion de ces maladies.

L’approche anti-croissance de l’opposition de gauche à Cuba a été renforcée lorsque, à l’occasion d’une récente visite à La Havane, l’économiste Jeffrey Sachs a recommandé « au peuple cubain de ne pas continuer à avancer sur la voie du XXe siècle ». Comme l’a rapporté un journaliste de gauche Fernando Ravsberg, Sachs a mis l’accent sur la nécessité pour les Cubains de ne pas oublier la soutenabilité et de se concentrer sur le développement d’une agriculture biologique, sans tracteurs et sans engrais chimiques ni pesticides.

Si le compte rendu de Ravsberg est correct, Sachs n’a pas effectué un calcul coût-bénéfice des mesures respectueuses de l’environnement. Des petits tracteurs, utilisant moins de carburant, comme le gouvernement cubain envisage d’en produire en association avec des capitaux étatsuniens, certes consomment encore de l’essence. Mais les effets environnementaux négatifs ne peuvent être comparés au coût d’une agriculture utilisant comme force de trait les hommes et les animaux. Ce modèle aboutit à une production de biens agricoles inférieure tout en exigeant un investissement massif en énergie humaine et animale.

L’histoire à Cuba en a déjà administré la preuve : l’abandon forcé de l’agriculture motorisée, au début de la Période spéciale, a constitué, en termes nets, un recul énorme pour le peuple cubain.

Dans les années 1990, les transports urbains ont eu de moins en moins recours aux véhicules motorisés et les habitants de nombreuses villes ont utilisé des vélos. Par la suite ils furent abandonnés, non pas parce que les Cubains préféraient les bus peu fréquents et surpeuplés ou les taxis collectifs très chers (seule une petite fraction des Cubains possèdent une automobile), mais parce que le vélo ne permet pas aux salariés venant des lointaines banlieues d’arriver à temps au travail et ne protège pas son utilisateur des pluies et vents tropicaux de juin à novembre.

Le gouvernement chinois a encouragé la propriété individuelle de voitures, ce qui provoque une pollution urbaine gigantesque. Cela doit servir de signal d’alarme pour Cuba qui devrait adopter un système de transport public efficace, comme alternative politique environnementale

Pour terminer, Cuba devrait au moins augmenter la part de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, 5 %, soit un quart de la moyenne latino-américaine.

Les politiques pour une alternative socialiste

Une orientation en direction d’une société socialiste ne requiert pas seulement un programme, mais aussi une mise en œuvre politique. Il faut manier principes stratégiques et considérations tactiques pour intervenir et répondre aux propositions du gouvernement et de divers courants d’opposition.

Ce faisant, des socialistes cubains pourraient trouver des terrains de convergence avec des catholiques progressistes et des sociaux-démocrates critiques. Il s’agit notamment des propositions qui favorisent la production agricole et sa productivité, telles que la codification d’un droit d’usufruit des petits agriculteurs, la suppression de la vente contrainte de la production agricole au gouvernement selon les prix dictés par l’Acopio et la création d’un marché de gros pour les petites fermes et les agriculteurs individuels.

Pour ce qui concerne l’emploi en zone urbaine, ces propositions intègrent la constitution de coopératives fondées sur l’initiative volontaire de salariés, et non pas suite à des décisions du gouvernement qui cherche à se défaire d’entreprises déficitaires ou d’affaires difficiles à administrer de manière centralisée, comme le sont les petits restaurants.

En même temps, cette nouvelle gauche devra s’opposer à d’autres propositions avancées par les courants cités ci-dessus. Par exemple, la légalisation de toutes les formes de travail indépendant, y compris des secteurs qui doivent être organisés et dirigés selon les intérêts généraux et publics, tels que l’éducation ou la santé.

La gauche doit s’opposer à l’appel pour un régime d’importation libre et non régulé en indiquant qu’un État organisé et régi démocratiquement devrait répartir les devises en fixant des priorités, avec des critères sociaux qui favorisent les secteurs de la population les moins favorisés et pour l’achat de biens d’équipement qui soutiennent le développement économique du pays. Sans cela, les Cubains les plus riches peuvent gaspiller le peu de devises disponibles pour des importations futiles telles que des voitures très chères ou des meubles et appareils ménagers de luxe.

Les socialistes devraient aussi résister à un point de vue dominant – partagé aussi bien par des critiques que par un nombre croissant d’économistes gouvernementaux – selon lequel le gouvernement devrait assurer des subventions aux personnes et non aux produits, ce qui signifie remplacer un système universel par un système ne concernant que les citoyens les plus démunis.

Certes, ces subventions universelles profitent inutilement à des Cubains plus riches. Néanmoins, les critiques de ces programmes ne mentionnent jamais les effets négatifs de leur proposition, qui aboutit à miner la solidarité sociale. Les expériences dans d’autres pays ont démontré que les programmes d’allocations attribuées selon les revenus aux plus pauvres aboutissent à une stigmatisation de ceux-ci. Il en résulte, sur la durée, une perte de légitimité politique mettant dès lors en danger leur financement et leur viabilité sur le long terme.

Une réponse possible à cette question consisterait à introduire une échelle mobile des allocations pour tous dans une proportion inverse à leurs revenus. Cela permettrait la reconnaissance de besoins différents, tout en maintenant un soutien politique solidaire le plus grand possible.

Dans la tradition marxiste, les socialistes comprennent que les allocations doivent être sélectives. Dans les conditions présentes, si tout était fourni gratuitement ou vendu en dessous des coûts de production, une économie s’écroulerait sur le court terme. En outre, une économie relativement sous-développée comme celle de Cuba dispose d’un surplus trop petit pour assurer des biens gratuits ou subventionnés.

Toutefois, maintenir l’idée d’une universalité des subventions laisse ouverte la voie pour son développement dans un futur où l’économie cubaine deviendrait plus productive et plus riche.

Les critiques libéraux et le gouvernement lui-même pensent que les investissements étrangers sont un moyen de faire face à la sous-capitalisation de l’économie cubaine. Beaucoup à gauche s’y opposent, y voyant un cheval de Troie du capitalisme et de la domination étrangère. Cependant, une politique contrôlée et sélective d’investissements capitalistes étrangers est indispensable en l’absence d’une industrie nationale développée de production de marchandises. Ces investissements pourraient permettre de nouvelles productions et le renouvellement du système de transport ainsi que les infrastructures nécessaires.

De nouveaux investissements de l’étranger peuvent aussi déboucher sur des créations significatives d’emplois et avoir un effet multiplicateur pour le développement de branches industrielles nouvelles qui complètent ou permettent un développement plus approfondi de celles déjà existantes.

En outre, l’impact des investissements étrangers sur les salaires et les conditions de travail pourrait être négocié par des syndicats indépendants, qui, parmi d’autres objectifs, devraient donner la priorité à l’abolition immédiate de la collecte par le gouvernement cubain des salaires que les investisseurs étrangers doivent aux travailleurs cubains. Le gouvernement ne transfère à ses citoyens qu’une petite fraction de la masse de ces salaires qu’il collecte. Le gouvernement affirme qu’il le fait afin de financer des dépenses sociales et d’autres obligations gouvernementales. Mais le même but pourrait être atteint au travers d’un système d’imposition transparent et équitable en lieu et place du monopole du gouvernement sur la vente et le contrôle du travail.

Il est vrai qu’un système productif contrôlé par les salariés et de puissants syndicats pourrait détourner les investissements étrangers. Néanmoins, une administration publique et un système fiscal honnêtes, ainsi que l’existence de ressources naturelles et humaines non disponibles ailleurs pourraient servir de levier pour dépasser ces désavantages.

Les critiques de droite et les opposants sous-estiment – quand ils ne l’ignorent pas complètement – la question cruciale des inégalités croissantes à Cuba. Pour la gauche, cela représente une possibilité particulière de se battre pour l’existence de syndicats indépendants qui, conjointement à un système d’imposition progressiste, pourrait aboutir à une politique plus efficace que celle en cours actuellement, marquée par la prolifération de règlements bureaucratiques qui harcèlent les petites entreprises et les travailleurs indépendants.

Cela ne doit pas aboutir à se débarrasser de toute réglementation. Ce qui est particulièrement nécessaire pour la sécurité des conditions de travail, la santé, les retraites et les droits syndicaux. Si de telles règles étaient administrées – sous le contrôle et la surveillance des travailleurs – par des organisations professionnelles plutôt que par une bureaucratie centrale, elles bénéficieraient à coup sûr plus aux travailleurs qu’aux dirigeants. Mais pour le faire, il faudra opérer une distinction claire entre les règles visant à protéger les intérêts des travailleurs et celles protégeant les intérêts bureaucratiques.

En débattant sur les propositions mises en avant aussi bien par le gouvernement non démocratique que par les secteurs de l’opposition pro-capitaliste, la gauche à Cuba aura la possibilité de formuler des revendications et de mobiliser les gens pour qu’ils luttent afin de les obtenir. Cela pourrait contribuer à construire un mouvement – ou au moins un pôle organisationnel clair – malgré la répression gouvernementale et le scepticisme populaire.

Le régime cubain actuel ne permettra pas l’existence d’autres partis politiques légaux, de syndicats indépendants ou de médias libres. Évidemment, ces éléments constituent précisément le cadre politique qui pourrait faciliter le type de système social et politique de transition présenté ici.

Néanmoins, l’opposition de gauche doit populariser un modèle alternatif qui reconnaît ouvertement à la fois les possibilités et les difficultés de la construction d’une démocratie socialiste. C’est ce qui permet aux gens d’envisager qu’il existe une alternative plutôt que de les laisser dans l’idée que rien ne peut être fait pour pousser le pays dans une direction anticapitaliste, radicalement démocratique et socialiste.