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Roman: Chanson douce
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Leïla Slimani, Gallimard, 2016, 18 euros. Prix Goncourt 2016.
Leïla Slimani, jeune Marocaine, journaliste installée à Paris, a obtenu le prix Goncourt 2016 pour ce roman, son deuxième. Le récit est construit à partir d’un fait divers. « Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu’il n’avait pas souffert. » La première phrase du livre installe le drame : l’assassinat de deux enfants et la tentative de suicide de leur nourrice « qui n’a pas su mourir »...
Le roman décrit les chemins de cette tragédie inscrite dans la vie quotidienne du trio : la nounou, les parents et les enfants.
Après la naissance du deuxième enfant de Paul et Myriam, la jeune femme, avocate, souhaite retravailler et se met en quête de la nounou parfaite qui puisse combler les fantasmes de famille modèle du couple. Derrière les apparences se cachent les préjugés sociaux, l’indifférence du conformisme. Louise n’a plus rien, si elle perd son travail, si la famille qui a utilisé sa recherche d’un cadre social, d’une utilité qui donne un sens à sa vie, la rejette, son passé, ses dettes la rattraperont, son existence basculera dans le désespoir, la misère. Et quand cette menace se précise, elle bascule dans la folie meurtrière.
Les « patrons », Myriam et Paul, enfermés dans l’indifférence de leur conformisme social – le couple, la réussite, les enfants – ne voient rien sauf pour se protéger en décidant de congédier, quand les tensions se révèlent, celle dont ils ont fait une sorte d’esclave domestique consentante.
Le roman décrit ce processus d’une aliénation sociale, un récit clinique, sans jugement ni morale avec une écriture simple, précise, dépouillée, d’une grande force d’accusation contre la société bourgeoise qu’il révèle. La lutte des classes s’immisce à l’échelle de l’intime. Le récit de Leïla Slimani démonte le mécanisme d’une impitoyable aliénation sociale, morale, les sentiments de soumission, de haine et d’envie qui ne peuvent se rompre que dans le meurtre. Le récit de ce drame nous saisit et ne nous lâche plus.
Miroir de l’inhumanité
On retrouve ici la force de dénonciation de son premier roman, Dans le jardin de l’ogre1, l’histoire d’une addiction au sexe. Adèle est mariée et a un garçon. Un couple sans problèmes apparents. Une vie petite-bourgeoise sans heurts. Femme et épouse presque parfaite, elle ne se sent cependant exister que dans le désir des autres, dans « la perversion bourgeoise et la misère humaine ». « Elle ne veut pas correspondre aux rôles qu’on lui propose »; dit de son héroïne Leïla Slimani. Pour elle, « l’érotisme habillait tout. Il masquait la platitude, la vanité des choses ». Richard son mari est dans ce qu’il est convenu d’appeler l’amour, qu’Adèle définit comme de « la patience dévote, forcenée, tyrannique », aveugle, enfermé dans l’indifférence de son conformisme, de sa propre aliénation au modèle patriarcal. Le drame d’Adèle, sorte de transcription romancée dans la vie réelle des fantasmes masculins humiliants vis-à-vis des femmes considérées comme objets sexuels, se combine au mépris des femmes considérées comme épouses, toujours niées dans leur existence humaine.
Dans les deux romans, le drame de deux femmes à la dérive est comme un miroir de l’inhumanité des rapports humains et sociaux, rapports de genres, dits normaux dans cette société d’oppression, un acte d’accusation.
Yvan Lemaître