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Avant son congrès, Podemos étale ses désaccords

Espagne

Lien publiée le 29 décembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Un violent combat de chefs entre Pablo Iglesias et son numéro deux, Íñigo Errejón, bouscule le mouvement anti-austérité Podemos. Au-delà de la bataille d’égos, c’est un débat de fond qui traverse le parti, sur les manières d’élargir son électorat dans les années à venir.

De notre envoyé spécial à Madrid (Espagne) - Le nom de code du prochain congrès circule depuis l’automne : ce sera « Vistalegre II ». Mais il n'est pas encore certain qu'il se déroulera dans cette salle omnisports de la banlieue de Madrid, qui avait accueilli, en octobre 2014, le premier congrès fondateur de Podemos (« Vistalegre I »). À l’approche de cette « assemblée citoyenne » (du 10 au 12 février 2017), les principaux responsables du mouvement anti-austérité jouent à se faire peur. Sur les réseaux sociaux, à la télévision, dans la presse, Podemos étale ses divisions et expose ses doutes sur la stratégie à suivre. 

« Il est fondamental que Podemos ne se convertisse pas en une coalition de courants, en un parti de barons, en un parti divisé pour toujours, en un parti qui ressemble à un gâteau, où chaque dirigeant dirait : ça, c’est ma part, et donc je veux autant d’argent et de postes… Si l’on s’y prend comme ça, on va devenir le PSOE [le parti socialiste – ndlr], et l’on sera morts », a mis en garde Pablo Iglesias, dans un entretien fin décembre à InfoLibre (site partenaire de Mediapart en Espagne). « Il se passe des choses qui mettent en danger la continuité du projet »a lâché, de son côté, Pablo Echenique, secrétaire à l’organisation du parti, et proche d’Iglesias.

Pablo Iglesias et Íñigo Errejón lors de conférences de presse séparées le 22 décembre 2016 à Madrid. © Flickr Podemos. Pablo Iglesias et Íñigo Errejón lors de conférences de presse séparées le 22 décembre 2016 à Madrid. © Flickr Podemos.

La mise en garde du professeur de sciences politiques, 38 ans, vise juste. Mais Iglesias n’est sans doute pas pour rien dans l’extrême morcellement du parti, qui sort exténué d’un marathon électoral inédit depuis le retour de la démocratie en Espagne (pas moins de sept élections, locales, nationales ou européennes, en deux ans). À l’issue des législatives de juin, la coalition Unidos Podemos est arrivée en troisième position (21 %, 69 députés sur un total de 350 élus).

Mais la formation qui voulait « prendre le ciel d’assaut » n’a pas su s’entendre avec les socialistes du PSOE pour former un gouvernement des gauches, sur le modèle de l’exécutif aujourd’hui en place au Portugal. Pire encore, la coalition constituée de Podemos et des communistes de IU (gauche unie) a perdu plus d’un million de voix d’un scrutin (décembre 2015) à l’autre (juin 2016). Cette claque a plongé ce parti d’universitaires dans d’intenses débats sur les manières de rebondir, et d’aller séduire « los que faltan » (« ceux qui manquent » – sous-entendu : pour gagner). 

« Je vois deux phases dans l’hypothèse Podemos », résume Jorge Moruno, le responsable du discours, un jeune trentenaire, sociologue de formation, qui nous reçoit dans les bureaux madrilènes du parti, à deux pas de la place d’Espagne. « Le premier moment correspond à la trajectoire duPrince de Machiavel. Il se lance à l’aventure, conquiert de nouveaux territoires. C’est le Podemos machine de guerre électorale, adepte de la blitzkrieg, qui se construit à un rythme effréné. Paradoxalement, les temps électoraux sont des temps très peu démocratiques, parce que le temps manque pour approfondir les débats en interne. Notre adversaire l’a compris, et il a choisi de multiplier les batailles électorales. Jusqu’à la répétition des législatives en juin. Cette guerre éclair a duré plus longtemps que ce que nous aurions souhaité. Ce moment est terminé. […] À présent, lePrince doit s’enraciner. » Ce serait l’objectif du congrès à venir : faire passer Podemos d’une logique de guerre éclair à celle d’un enracinement plus profond dans la société espagnole.

Les divisions du parti ne vont pas aider. Manifestes depuis janvier 2016, elles n’ont fait que s’intensifier au fil des mois. Elles sont devenues très visibles sur les réseaux sociaux, à l’image de la dernière dispute en date : une campagne relayée ces derniers jours par des proches d’Iglesias sur Twitter, avec le mot-clé #ÍñigoAsíNo (« pas comme ça, Íñigo »). Ils reprochent au numéro deux du parti, Íñigo Errejón, ses critiques publiques à l’encontre des « décisions démocratiques » de la direction. Ce dernier avait regretté sur Twitter la suspension de l’un de ses soutiens, José Manuel López, du porte-parolat de Podemos pour la communauté de Madrid, remplacé par une figure d’un secteur concurrent : « Ce n’est pas le bon chemin », avait-il commenté.


Trois ans après sa naissance, Podemos est-il déjà menacé par le syndrome de « la vieille politique » ? À gros traits, on peut identifier trois secteurs au sein du parti. L’issue du congrès de février dépendra des accords que les uns et les autres parviendront à conclure d’ici là. À la différence des courants du PS français par exemple, les divergences ici ne portent pas tant sur le fond des politiques que sur les stratégies électorales à mettre en place pour construire une majorité sociale dans les urnes.

Les anticapitalistes forment sans doute le groupe le plus compact. Ils sont les héritiers d’Izquierda Anticapitalista (IA), un équivalent lointain du NPA très actif dans les « cercles » de Podemos des débuts, en 2014. Après la reconduction de Rajoy au pouvoir, ils plaident pour rapprocher Podemos des mouvements sociaux. « L’institutionnalisation est le grand risque qui pèse sur Podemos. Les institutions t’éloignent des gens. Elles te séquestrent », assure à Mediapart l’eurodéputé Miguel Urban, l’un des chefs de file des « anticapis ». À ses yeux, Podemos devrait s’investir davantage dans les conflits à l’échelle des usines et des entreprises, en réponse à la « radicalisation de l’extrême-centre en Europe » (lire aussi sa tribune dans Le Monde diplomatique). Il compte à ses côtés des figures comme l’Andalouse Teresa Rodriguez ou « Kichi », le surnom du maire « indigné » de Cadix (en Andalousie aussi). Minoritaires, ils pourraient jouer le rôle de faiseurs de roi lors du prochain congrès.

Autre secteur, plus intéressé par le jeu institutionnel classique : les « errejonistas », partisans du secrétaire politique et numéro deux de Podemos, Iñigo Errejón. À 33 ans, ce politologue (il a écrit sa thèse sur le MAS, le parti d’Evo Morales en Bolivie) est considéré comme le plus intelligent de la bande, mais aussi, pour ses détracteurs en interne, le plus « social-démocrate ». Pour faire court, ce défenseur acharné de la transversalité (ni droite, ni gauche) est convaincu que Podemos doit aller chercher de nouveaux électeurs, bien au-delà du cercle des seuls déçus du PSOE. Pour y parvenir, il ne faut surtout pas tomber dans les vieux travers de la « gauche radicale », ce qui risquerait, à ses yeux, de marginaliser le parti en l’adossant uniquement aux luttes sociales, et en suscitant l'inquiétude d'un électorat plus rural ou âgé. 

« Ce n’est pas une question idéologique. Ce n’est pas que, du jour au lendemain, je suis devenu un parlementaire bourgeois, qui voit dans le débat parlementaire une fin en soi du travail politique. Non. Mais un travail parlementaire peut nous permettre de rouvrir la fenêtre d’opportunité [pour gagner – ndlr] », explique Jorge Lago, l’un des très proches d’Errejón. « En mettant sur la table le débat sur le salaire minimum, sur le revenu universel, ou sur la réorganisation institutionnelle de l’Espagne. Pour forcer les autres à se positionner, et diviser les socialistes sur la Catalogne… Tu peux jouer avec les contradictions de l’autre pour empêcher la stabilité du système. À l’inverse, si tu te mets justement là où le pouvoir veut que tu te mettes [dans les manifestations – ndlr], tu légitimes la fermeture du système. » 

« Si l’on veut gagner, il ne faut pas seulement travailler avec des gens déjà convaincus. Nous devons mettre au jour un imaginaire suffisamment ample, pour incorporer aussi les gens qui ne se mobilisent pas, qui ne vont pas aux manifestations », renchérit Jorge Moruno, qui défend lui aussi l’approche d’Errejón avant le congrès. « Il faut sortir du faux débat entre rue et institutions », insiste-t-il, avant de plaider pour « la construction d’un réseau de coopératives, de lieux hors de l’économie de marché, d’espaces de loisirs, où l’on retisse le terreau social que les politiques néolibérales ont défait, et l’on touche des gens qui ne sont pas habituer à descendre dans la rue ».

Irene Montero, Íñigo Errejón et Pablo Iglesias, au Congrès des députés à Madrid en novembre 2016. © Flickr Podemos. Irene Montero, Íñigo Errejón et Pablo Iglesias, au Congrès des députés à Madrid en novembre 2016. © Flickr Podemos.

41 % Iglesias, 39 % Errejón ?

Pablo Iglesias © Flickr Podemos. Pablo Iglesias © Flickr Podemos.

Dans cette géographie mouvante de Podemos, il reste à évoquer, bien sûr, les « pablistes ». Les partisans de Pablo Iglesias se situent, pour le dire vite, à mi-chemin entre les deux autres tendances. Iglesias continue de revendiquer la « transversalité » chère à Errejón, mais il doute de la possibilité de remporter de vraies victoires au congrès des députés, depuis l’opposition. Sur le fond des choix politiques, il est sans doute plus proche, aujourd’hui, des « anticapis ». Les négociations avec les socialistes pour former un gouvernement début 2016 ont d’ailleurs laissé des traces. Du côté d’Errejón, certains plaidaient – sans le dire à haute voix – pour une abstention face à un éventuel gouvernement PSOE-Ciudadanos (le nouveau parti de centre droit), pour empêcher le retour de Rajoy. Ce qu’Iglesias et ses proches n’ont jamais voulu entendre. 

Depuis 2014, Iglesias a toujours dépassé les contradictions des différents secteurs, grâce à un leadership très puissant, semblable, en cela, à certains chefs d’État latino-américains. Mais la technique s’est essoufflée, depuis l’entrée de Podemos au Congrès des députés. « La télévision a été un élément fondamental, qui nous a permis de toucher beaucoup de gens, mais le poste de télévision est un dispositif limité, parce qu’il arrive d’en haut. Nous devons construire de nouvelles institutions depuis en bas », insiste Moruno.

L'eurodéputé Miguel Urban, l'un des chefs de file des anticapitalistes de Podemos. © Flickr Podemos. L'eurodéputé Miguel Urban, l'un des chefs de file des anticapitalistes de Podemos. © Flickr Podemos.

De nombreux soutiens historiques d’Iglesias ont par ailleurs rejoint le camp d’Errejón, agacés par le fonctionnement de plus en plus autoritaire en interne, selon eux, du leader. En réaction, le Madrilène, qui s’est formé au sein des jeunesses communistes, s’est en partie replié sur un noyau dur très marqué « IU », aux côtés de Juan Carlos Monedero (son maître à penser, ex-conseiller d’un dirigeant de IU) ou Alberto Garzón, le jeune et charismatique leader de IU. Les « errejoniens » avaient déjà eu du mal à avaler la candidature aux législatives, imposée par Iglesias, de Julio Anguita, ancien secrétaire général du parti communiste espagnol, figure de l’eurocommunisme

Ce sera l’un des enjeux du congrès de février : démocratiser le mouvement, et revenir sur certaines mesures prises à Vistalegre I, qui avait « verticalisé » et banalisé le parti. À l’époque, la direction (Iglesias comme Errejón) justifiait ce passage en force au nom de l’efficacité électorale (lire notre reportage à l'époque). Cette fois, Errejón monte au créneau pour réclamer un parti plus transparent et décentralisé à l’échelle des régions, des villes et des « cercles » du parti. Ironie de la situation, celui qui était, en octobre 2014, le principal dissident, et réclamait davantage de pouvoir aux« cercles » et de décentralisation, contre la direction à Madrid, n’était autre que Pablo Echenique, aujourd’hui secrétaire à l’organisation du parti, et partisan de la ligne Iglesias…

Íñigo Errejón, numéro deux de Podemos. © Flickr Podemos. Íñigo Errejón, numéro deux de Podemos. © Flickr Podemos.

« Il faudra sortir du congrès avec une organisation plus démocratique de Podemos, qui serve de prologue à l’Espagne que nous voulons. D’un point de vue territorial, avec un parti plus décentralisé. Mais pas seulement : avec une direction du parti féminisée, en prenant des mesures de discrimination positive si c’est nécessaire, et avec une répartition plus juste de la richesse à l’intérieur de Podemos, avec davantage de moyens pour les cercles et les bases », imagine Jorge Lago, qui critique, en creux, l’état de Podemos aujourd’hui.

« L’Espagne n’a pas besoin d’un énième mélo, mais de débats politiques », tranche, de son côté, Moruno, en référence à l’affrontement très médiatisé entre les deux ex-meilleurs amis « Pablo » et « Íñigo », qui, parfois, s'écrivent même des lettres sur les sites d'infos et les réseaux sociaux (par exemple ici). « Nous avons construit une machine politique très ancrée sur le charisme politique. Mais il faut que nous soyons capables de dépasser aujourd’hui cette approche binaire et psychologisante, entre Pablo et Íñigo », avance, de son côté, Pablo Bustinduy, le responsable de l’international au sein de Podemos. Le 28 décembre, Iglesias a été jusqu'à publier une vidéo sur son compte Twitter, dans laquelle il demande « pardon » aux militants de Podemos pour le spectacle occasionné.

À quelques semaines du congrès, quels sont les rapports de force entre les trois secteurs ? Un vote censé fixer les règles de vote du prochain congrès, qui s’est déroulé mi-décembre, est riche d’enseignements. Sur les quelque 100 000 personnes qui ont participé (un peu plus d’un tiers de la base), 41 % ont suivi la formule proposée par Iglesias, contre… 39 % pour celle d’Errejón. À peine 2 400 voix les séparent. Le numéro deux avait même obtenu l'appui de plus de 300 cadres du parti, sur son manifeste, durant la campagne. Quant aux anticapitalistes, ils ont obtenu un peu plus de 10 % des suffrages. C’est une déconvenue pour Iglesias, qui pensait l’emporter plus nettement. « La preuve est établie, pour la première fois au niveau national, que les militants de Podemos ne sont pas tous pablistes »commente un journaliste d’El País, qui y voit « la fin de l’hyper-leadership d’Iglesias ». Mais Iglesias a sans doute obtenu l’essentiel : le congrès se déroulera selon « ses » règles du jeu. À savoir que les militants voteront le contenu programmatique, et l’identité du secrétaire général en même temps.

À ce stade, Errejón le répète sur tous les tons : il n’a pas l’intention de se présenter contre « Pablo ». Tout au plus veut-il que son projet politique soit entendu. Faute de réconciliation entre Iglesias et Errejón d’ici février, Miguel Urbán, chef de file des anticapitalistes, se trouvera en position de force. Son projet d’organisation du parti, qui veut donner plus de pouvoir aux cercles, recoupe en partie celui d’Errejón, tandis qu’il incarne une aile mouvementiste de Podemos compatible avec Iglesias. Il pourrait être le faiseur de roi, et sauver la face de l’actuel secrétaire général. D’après InfoLibre, des discussions commençaient ces jours-ci à reprendre, sur l’application cryptée Telegram, entre les trois secteurs…

Dans l’attente d’un règlement de la crise à Podemos, la droite de Mariano Rajoy est, une fois de plus, la grande gagnante. Le conservateur galicien a été investi en octobre à la tête d’un gouvernement minoritaire, grâce à l’abstention d’une majorité des députés socialistes. Beaucoup d’observateurs lui prédisaient un mandat très court. Mais le Parti populaire (PP) a d’ores et déjà transformé Ciudadanos, la nouvelle formation de droite qui lui avait pris beaucoup d’électeurs, en un docile allié au pouvoir. Quant aux socialistes, ils se préparent à un congrès, sans doute à l’été 2017, pour élire leur nouveau secrétaire général après la démission de Pedro Sánchez. D’ici là, les socialistes ne devraient pas aller au bras de fer avec Rajoy. L’horizon semble assez dégagé pour le chef du gouvernement, en tout cas au premier semestre 2017. Le congrès du PP, prévu pour mi-février, aux mêmes dates que Podemos, devrait le confirmer.

Ci-dessous l'entretien de Pablo Iglesias avec InfoLibre, le 23 décembre 2016, en espagnol : « Ce serait absurde d'être un secrétaire général pot de fleurs » (en référence à sa volonté de ne pas séparer, lors du prochain congrès, le vote sur les programmes et celui sur la personne du secrétaire général).