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La résistance à Trump s’organise aux USA

Trump USA

Lien publiée le 22 janvier 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Des millions de personnes ont manifesté dans le monde pour rejeter le nouveau président des États-Unis. Alors qu'il s'agissait au départ de défendre le droit des femmes, le mouvement est devenu une coalition de toutes les oppositions à Trump. Combien de temps durera cet élan ?

Washington (États-Unis), envoyé spécial.– Pour un pays qui, depuis la fin des années 1960, a quelque peu perdu l’habitude des grandes marches de protestation, le défilé de Washington, ainsi que ceux qui l’ont accompagné dans la plupart des grandes villes américaines, avait quelque chose de réconfortant. D’encourageant même, survenant au lendemain de l’inauguration de Donald Trump, avec son discours martial et la foule clairsemée qui l’a accueilli. Les manifestants eux-mêmes paraissaient surpris de se retrouver si nombreux pour un événement parti d’une invitation lancée sur les réseaux sociaux il y a deux mois et demi, juste après l’élection présidentielle.

Au départ, il s’agissait d’un mouvement de femmes décidées à ne pas courber l’échine ni à laisser se répandre dans la sphère publique les propos phallocrates de Trump et de sa clique. À l’arrivée, des centaines de milliers de manifestantes et de bonnets roses plus tard, l’ambition initiale était nettement dépassée. Cela s’est révélé tout simplement être le plus grand rassemblement anti-Trump américain et même mondial. Un rassemblement majoritairement féminin, mais pas exclusivement, un rassemblement mêlant toutes les tranches d’âge, toutes les origines ethniques et sociales, et dont les slogans, montés par milliers sur des pancartes improvisées ou dessinés au feutre sur des tee-shirts, formaient un patchwork des convictions défendues par des gens qui savent qu’ils ont remporté l’élection au nombre de voix : défense de la démocratie, du droit des femmes à disposer de leur corps, des minorités, de l’égalité raciale, de l’environnement, du salaire minimum, etc.

Des manifestantes, samedi 21 janvier 2016 à Washington © TC Des manifestantes, samedi 21 janvier 2016 à Washington © TC

Même s’il y avait quelques associations reconnues et une poignée de célébrités derrière l’organisation de ces manifestations, il s’agissait avant tout d’un mouvement spontané de protestation, en partie alimenté par les craintes que suscitent une présidence Trump. « J’avais décidé de venir dès que j’ai entendu l’appel à manifester, il y a plusieurs semaines », raconte Lucy, une enseignante de Virginie. « Je voulais faire entendre ma voix de mère de famille face à un président misogyne, qui parle des femmes comme du bétail. Mais aujourd’hui, en voyant la foule autour de moi, je comprends que ce qui nous rassemble est bien plus vaste que le féminisme. » À ses côtés, Mary-Jane, une étudiante de 22 ans arrivée par le même métro, mais qui a décidé de venir le matin même : « Je viens d’une famille conservatrice, mais quand j’ai entendu le discours d’inauguration de Trump vendredi, je me suis dit que ce type n’était pas conservateur, il est destructeur. Il ne faut pas le laisser faire ! »

Cette immense mobilisation a surpris tout le monde aux États-Unis. Il y avait bien des signes qui indiquaient que la jauge serait élevée, mais elle a dépassé toutes les attentes : plus de 500 000 personnes ont défilé sur l’esplanade du Capitole à Washington alors que 200 000 étaient attendues, 150 000 à Chicago, des dizaines de milliers à New York et jusque dans des petites villes en dehors des écrans radars des médias. Au total, et si l’on compte les défilés dans le monde, ce sont plusieurs millions de personnes qui sont descendues dans la rue. Ces chiffres dépassent ceux de toutes les manifestations des dernières années aux États-Unis, qu’il s’agisse du mouvement Occupy ou contre la guerre en Irak.

Donald Trump est un président très mal élu (près de 3 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton), il prend ses fonctions avec un taux de popularité très bas, il s’est attiré l’hostilité de ses propres services de renseignement… mais que se passe-t-il ensuite ? Ou, comme le résumait la pancarte d’un manifestant tout seul sur les marches de la National Gallery of Arts : « Faisons de ce moment un mouvement ! »

« Je pense que ce que nous voyons aujourd’hui est un signe », explique Cecily Donovan, une directrice locale de Planned Parenthood, la principale association de planning familial. « Il y a tellement de groupes et de mouvements qui sont la cible d’attaques sans précédent que tous les progressistes se serrent les coudes. Nos combats, nos idées et même nos militants sont souvent connectés les uns aux autres. L’enjeu est de maintenir ce front pour les mois et les années à venir. »

 Un aperçu de la foule samedi 21 janvier 2016 à Washington © TC

Quelques jours plus tôt, Michael Brune, directeur du Sierra Club, une grande association de protection de l’environnement, annonçait : « Nous n’allons pas nous taire pendant les quatre années à venir, nous allons nous battre : dans les tribunaux, dans les médias, dans les conseils d’administration et dans la rue. Nous avons la chance d’être un pays de lois, et celles-ci sont extensives. » L’American Civil Liberties Union (ACLU), qui défend les droits civiques et les différentes libertés, dit la même chose. Au lendemain de l’élection de Donald Trump, sur le site de l’association, une photo du nouveau président était accompagnée du message : « À bientôt au tribunal ! » Samedi 21 janvier, autre photo, nouvelle légende : « Jour 1 : nous avons déposé notre plainte » (il s’agit d’obtenir des documents sur les conflits d’intérêts de Trump).

Avant même les manifestations gigantesques de samedi, ces dernières années ont vu des mouvements sporadiques d’occupation ou de protestation qui, à défaut d’être toujours parvenus à leurs objectifs, ont fait bouger les lignes. Occupy Wall Street a contribué à mettre sur le devant de la scène la question des inégalités et a indirectement propulsé la candidature de Bernie Sanders durant les primaires démocrates de 2016. Le mouvement Black Lives Matter a mis en évidence la question des brutalités policières à l’égard des Noirs et obtenu qu’une commission nationale soit créée sur cette question. Enfin, les mouvements d’opposition aux différents projets d’oléoduc dans le MidWest ont rassemblé des coalitions improbables (ranchers, indiens, chasseurs, écolos…) qui ont souvent obtenu gain de cause.

« Trump a désespérément besoin que tout le monde se crie dessus pour pouvoir avancer son agenda »

Le vice-président sortant Joe Biden, lors d’une de ses dernières interventions publiques début janvier, a comparé la situation actuelle à celle de la fin des années 1960. Il parlait du climat politique et des fréquentes émeutes dans le pays, mais il faisait également référence, en creux, à l’idée de l’époque selon laquelle « la démocratie est dans la rue ». Ce n’est pas un hasard si samedi, sur l’esplanade du Capitole, un des chants les plus repris par la foule était : « This is what democracy looks like » : « Voici à quoi ressemble la démocratie ! »

« Il y a un renouveau de l’action de rue dans le pays depuis quelques années, parce que les gens ont le sentiment que les processus démocratiques leur sont fermés », estime Josh Henry, un militant de Greenpeace. « Nous recevons de plus en plus de demandes de la part d’autres organisations pour des formations à l’action directe : désobéissance civile, manifestations non violentes, interpellations publiques… C’est un signe de renouveau. »

Une multitude de slogans devant le Capitole, samedi 21 janvier 2016 © TC Une multitude de slogans devant le Capitole, samedi 21 janvier 2016 © TC

Durant les primaires républicaines, Donald Trump a pu jouer sur une opposition atomisée, avec des adversaires se querellant entre eux au lieu de faire front commun contre lui. Ensuite, face à Hillary Clinton, il a tiré profit du peu d’enthousiasme qu’elle suscitait au sein de la gauche. C’est pour cette raison que le spectre très large des manifestations du 21 janvier est de bon augure : elles ont été capables de réunir des militantes féministes et des défenseurs de l’environnement, des syndicalistes et des altermondialistes, des supporteurs convaincus de Bernie Sanders et des conservateurs inquiets.

Car, comme le rappelait récemment Van Jones, militant des droits civiques et de l’environnement, ancien conseiller d’Obama, « la coalition nécessaire pour stopper Trump ne sera pas toujours d’accord sur tout. La clef est de ne pas céder à la division, qui est l’arme secrète du président. Trump a désespérément besoin que tout le monde se crie dessus pour pouvoir avancer son agenda ». C’est une évidence. Dès son premier déplacement présidentiel, au QG de la CIA, Trump a illustré cette volonté de zizanie : il a garanti aux services de renseignement qu’il les soutenait à 100 %… une semaine après avoir comparé leurs pratiques à celles de « l’Allemagne nazie ». Et pour faire bonne mesure, il a expliqué que « les journalistes [étaie]nt les personnes les plus malhonnêtes de la planète », quelques heures après les avoir félicités pour la couverture de son inauguration…

Dans un paysage politique fracturé, rien ne permet aujourd’hui de penser que Donald Trump ne parviendra pas à ses fins. Certains commentateurs aussi respectables que l’économiste Paul Krugman ont beau prédire que l’incompétence de l’équipe Trump sera son tombeau, il contrôle les principaux leviers de pouvoir. La manière dont les élus républicains du Congrès se sont rangés derrière lui ou ont accepté d’aller à la soupe, ne laisse pas augurer d’une grande capacité de résistance de la part de la branche législative. Même si une soixantaine de représentants démocrates ont refusé de participer à la cérémonie d’inauguration, Hillary Clinton était présente, alors que rien ne l’y obligeait. De nombreux élus démocrates ont promis qu’ils ne feraient pas de l’obstruction systématique – à l’instar des républicains sous Obama – et se déclarent prêts à soutenir d’éventuelles mesures d’investissement dans les infrastructures.

« Nous avons une classe politique, au niveau national, qui n’a pas beaucoup de vision ni de courage », estime Wayne Johnson, un stratège démocrate qui a travaillé pour la campagne de Bernie Sanders. « Si Trump les flatte un peu, la plupart se coucheront devant lui. Je place beaucoup plus d’espoir dans les élus locaux : les maires, les gouverneurs, les procureurs des États. Ce sont eux qui ont d’ores et déjà promis qu’ils refuseraient certaines directives s’ils les jugent contraires à leurs principes. » Des dizaines de maires de grandes villes, de New York à Los Angeles, ont en effet déjà annoncé qu’ils refuseraient toute déportation massive d’immigrés sans papiers. Quant aux combats les plus emblématiques de la gauche de ces dernières années (hausse du salaire minimum, légalisation de la marijuana, droits LGBT, normes environnementales), « ils continueront au niveau local, car ils enregistrent succès après succès dans les villes et les États, et c’est ainsi que nous pouvons ensuite les répercuter au niveau national », promet William Briggs, l’économiste en chef du syndicat AFL-CIO.

La présidence Trump ne fait que commencer, mais elle promet déjà d’être tumultueuse. Pas seulement sur le plan international, comme on s’y attendait, mais également sur le plan domestique. Dans la foule à Washington lors de la manifestation, mais aussi dans de nombreuses discussions entre observateurs de la politique américaine, on entend fréquemment des prévisions du style : « Je donne deux ans à Trump, pas plus », ou alors : « Il va être destitué très vite ! De toute façon, le job demande trop de travail pour lui. » Malheureusement, Trump a l’habitude d’être sous-estimé, et cela lui a toujours profité. En attendant, il occupe la Maison Blanche.