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Entre Hamon et Mélenchon, la bataille de l’hégémonie à gauche

hamon Mélenchon

Lien publiée le 6 février 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Benoît Hamon a été officiellement investi dimanche, à Paris, comme candidat du Parti socialiste à la présidentielle, quelques heures avant le double meeting de Jean-Luc Mélenchon, présent physiquement à Lyon et en hologramme à Aubervilliers.

À la convention d'investiture de Benoît Hamon © L.B.À la convention d'investiture de Benoît Hamon © L.B.

De la Mutualité au métro Front populaire. La gauche connaît ses classiques, et il y avait du symbole dans l’air, dimanche à Paris. Mais un symbole dont on ne sait plus très bien ce qu’il signifie. Benoît Hamon a officiellement été investi comme le candidat du Parti socialiste, dans la mythique salle de la “Mutu” à Paris, désormais transformée en banal palais des congrès. Jean-Luc Mélenchon, lui, a tenu meeting quelques heures et quelques kilomètres plus loin, aux Docks d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), mais il était en hologramme. C’est entre eux, désormais, que se joue l’avenir de la gauche pour la présidentielle.

À trois mois du scrutin, tout est ouvert, alors qu’Emmanuel Macron (lire notre article) et Marine Le Pen (lire notre reportage) ont eux aussi rassemblé des milliers de personnes ce week-end. Seul manquait à l’appel de ce lancement de campagne, François Fillon (lire notre reportage), empêtré dans l’enquête judiciaire qui le vise, lui et sa famille. « La campagne présidentielle commence ce week-end. Et elle sera pleine de surprises », résume Éric Coquerel, co-coordinateur du Parti de gauche et soutien de Jean-Luc Mélenchon.

9h30, La Mutualité, Paris

Les socialistes font la queue sous une pluie fine. Les jeunes militants ont les traits fatigués – ils ont, paraît-il, dignement fêté la victoire de leur champion à la primaire ; les proches de Benoît Hamon jubilent. Il y en a même qui ont versé « une petite larme », eux qui ont si longtemps connu les joies du militantisme minoritaire dans leur propre parti. Cette fois, ils tiennent leur revanche. Il suffisait d’observer les mines crispées des proches de Manuel Valls pour s’en convaincre.

Mais l’heure est à la grand-messe un peu convenue : la convention d’investiture est un rite obligé de l’appareil socialiste. Il faut remercier le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, les députés présents, les ministres. Leurs noms sont plusieurs fois cités à la tribune, ceux de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation, de Laurence Rossignol, ministre des droits des femmes, d’Emmanuelle Cosse, ministre du logement, de secrétaires d’État comme Matthias Fekl, Thierry Mandon ou Harlem Désir. Aucun d’entre eux n’avait appelé à voter Hamon.

Dimanche, les socialistes n’avaient pourtant qu’un mot à la bouche : « Rassemblement. » Et d’abord celui du PS. C’est la première marche que doit franchir Benoît Hamon, alors que sa ligne est toujours minoritaire dans l’appareil socialiste et que l’aile la plus droitière est tentée par Emmanuel Macron. Certains « éléphants » n’ont d’ailleurs pas fait le déplacement : manquaient à l’appel le premier ministre Bernard Cazeneuve, les proches de François Hollande comme Stéphane Le Foll, Bruno Le Roux ou Michel Sapin, la ministre de l’écologie Ségolène Royal, et, bien évidemment, Manuel Valls. 

À la convention d'investiture de Benoît Hamon © L.B. À la convention d'investiture de Benoît Hamon © L.B.

Mais le battu du second tour a donné le change : il était bien représenté à la “Mutu”, avec, entre autres, son ancien directeur de campagne Didier Guillaume, son très proche conseiller Yves Colmou ou le sénateur Luc Carvounas. De fait, la plupart des courants du PS étaient présents, dont la maire de Paris, Anne Hidalgo, deux autres candidats de la primaire, Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, entrés, avec Aurélie Filippetti, en même temps que l’ancienne ministre de la justice Christiane Taubira, toujours aussi populaire dans les rangs socialistes. Pour Hamon, l’affiche était belle et c’était tout ce qui comptait.

Taubira a été saluée par une véritable ovation et des « Christiane, Christiane » lancés depuis la salle. Elle a aussi été longuement applaudie après son discours qu’elle a clos par une citation de Paul Eluard, se terminant par ces mots : « Nous naissons de partout. Nous sommes sans limite. » « Nous partons à la reconquête des cœurs et des esprits, avait-elle lancé quelques minutes plus tôt. Nous avons des atouts. (…) Nous allons redevenir une gauche de combat plutôt qu’une gauche de constats. » « Nous avions les jambes lourdes. Nous étions en voie de disparition. Aujourd’hui nous sommes de retour dans le peloton de tête. Merci Benoît », a aussi lancé Anne Hidalgo. À noter que les interventions étaient paritaires et les femmes plutôt bien représentées au premier rang, autour du candidat Hamon – c’est rare, très rare même, y compris au PS.

Dans la droite ligne de sa campagne, le député de Trappes (Yvelines) avait aussi tenté de renouveler l’exercice en appelant à la tribune plusieurs chercheurs et militants de la société civile, déjà croisés ces derniers mois dans les meetings du candidat : Dominique Méda a parlé de la « crise du travail » et d’un « partage plus civilisé du travail ». Romain Slitine et Elisa Lewis, coauteurs du Coup d’État citoyen (Éditions La Découverte), ont parlé d’une « nouvelle ère d’ébullition démocratique ». Le climatologue Jean Jouzel a remercié Hamon de son « engagement pour l’écologie ». L’économiste Julia Cagé a livré un vibrant plaidoyer pour le revenu universel. Pour finir, l’historien Patrick Weil est revenu sur la loi de 1905, alors que Benoît Hamon a été attaqué par Manuel Valls sur sa conception de la laïcité, jugée trop accommodante par l’ancien premier ministre.

Devant 2 500 personnes, Hamon, dans son discours, a tenté de tenir les deux bouts : ne froisser personne, mais tenir sur la ligne qui lui a permis de remporter la primaire et de rouvrir le jeu politique à gauche, qui semblait, jusque-là, se polariser seulement entre Macron et Mélenchon. Il a donc fait le service minimum pour la majorité “légitimiste” de son parti, en remerciant le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis (mais uniquement pour avoir organisé la primaire), en faisant applaudir François Hollande (mais sur la politique étrangère et la lutte antiterroriste) ou en évoquant le bilan (mais pour mieux s’en détacher). « L’essentiel pour moi est de regarder l’avenir », a-t-il dit. « Ce bilan ne peut pas être l’axe autour duquel on fait campagne pour la présidentielle. »

Le député de Trappes a logiquement redéroulé les grands axes de sa campagne, autour de la transition écologique (l’abandon du diesel d’ici 2025, l’interdiction des perturbateurs endocriniens, l’inscription des Biens communs dans la Constitution), de la révolution numérique (revenu universel, nouvelles protections contre l’ubérisation de la société), et la réorientation de l’Europe. Hamon n’emploie pas ce terme, tant il incarne la promesse non tenue de François Hollande. Mais l’idée est la même : plus d’Europe (Europe de la défense, nouveau traité de l’énergie et augmentation du plan Juncker à 1 000 milliards d’euros), et une autre Europe (nouvelles règles pour les négociations commerciales et nouveau traité budgétaire).  « Il nous faut un arc d’alliances. Nous devons retenir ce qui s’est passé en Grèce, et en Belgique : c’est l’alliance des gauches qui a manqué », a rappelé Hamon.


Discours de Benoît Hamon à la convention d... par PartiSocialiste

Il a répété sa proposition d’une Sixième République, avec un mandat constituant pour les députés dès leur élection. « Je ne suis pas l’homme providentiel. Je ne le suis pas et je ne le demande surtout pas. (…) Je ne vous propose pas d’abdiquer derrière la figure charismatique d’un homme, mais je vous propose un choix conscient, mature en faveur d’une option politique. »

Si, à plusieurs reprises, Benoît Hamon s’en est pris à Emmanuel Macron, il a repris certains thèmes très “mélenchoniens”. Par deux fois, il a ainsi critiqué « les importants » qui critiquent son programme, notamment son coût. « Partout est en train de se lever un vent, qui va une fois de plus démentir tous les pronostics », a aussi dit le candidat du PS. Surtout, il a aussi appelé à un dépassement des « appareils ». « Je ne veux pas que le rassemblement se réduise à un accord d’appareils. Il existe une gauche féconde, horizontale, coopérative, collaborative. Qui ne rejette pas les partis mais n’y adhère pas forcément. Cette gauche-là, c’est celle que je veux d’abord rassembler », a expliqué Hamon.

Il a ensuite répondu à Mélenchon, qui lui a demandé de clarifier son rapport à la ligne du gouvernement, soulignant notamment que Myriam El Khomri était investie par le PS aux législatives, quand le candidat du même PS demande l’abrogation de la loi qui porte son nom… « Je leur demande en échange de ne pas me demander des têtes. Le rassemblement, ça ne commence pas par le fait de demander des têtes. Que serait le Front populaire s’il n’y avait pas eu plusieurs gauches ? Le programme commun, la gauche plurielle, c’était aussi plusieurs gauches », a expliqué Hamon.

14h30, Docks d’Aubervilliers, métro Front populaire

C’est une véritable démonstration de force. À côté, la mise en scène, même réussie, autour de la candidature de Benoît Hamon a des airs de pince-fesses. Son directeur de campagne, le député Mathieu Hanotin, avait prévenu : « Aujourd’hui, c’est pas un meeting, c’est une convention d’investiture, qui plus est un dimanche matin… » Jean-Luc Mélenchon, lui, a réussi l’exploit de tenir meeting à deux endroits à la fois : physiquement il se trouvait à Lyon,  où il revendique avoir rassemblé 12 000 personnes, et il était représenté en hologramme à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), où les deux salles étaient également pleines – 6 000 personnes, selon les organisateurs.

La prouesse technique – une première pour un responsable politique français – a parfaitement fonctionné. Au même moment, le discours de Mélenchon était suivi par plus de 40 000 personnes sur YouTube – les quatre chaînes d’information en continu ont, elles, choisi de couper la retransmission du meeting du leader de la France insoumise pour basculer sur celui du FN.  

À Aubervilliers comme à Lyon, le public a scandé son cri de ralliement depuis la campagne de 2012, « Résistance » – Mélenchon demande toujours à ses partisans de ne pas crier son nom – avant d’écouter consciencieusement 1 h 30 de discours, volontairement pédagogique du candidat de la France insoumise.

À chaque meeting, il décline un pan particulier de son programme. Il avait, par exemple, parlé d’écologie à Bordeaux ou de formation professionnelle à Florange. Cette fois, il était question des « nouvelles frontières » – l’espace, la mer, le numérique –, d’école et de culture. « C’est une campagne éducative, pas une campagne hallucinogène », a rappelé Mélenchon. « Notre rassemblement doit reposer sur de la conscience et non pas sur des enthousiasmes soudains, des champignons hallucinogènes », a-t-il aussi dit, ironisant sur les candidats sans programme à « 78 jours de l’élection présidentielle ».

Le candidat a surtout développé certaines de ses propositions, comme la refonte de la carte scolaire, l’embauche de 60 000 enseignants supplémentaires, l’allocation d’autonomie d’études, l’augmentation du budget de la culture à 1 % du PIB, la création d’un domaine public de la création, la neutralité du net, la généralisation des logiciels libres. « Le continent numérique doit être rendu au peuple », a expliqué Mélenchon. Il veut aussi dépolluer les « orbites basses », l’installation d’un grand parc d’éoliennes en mer, un tribunal international écologique et un traité international sur les eaux profondes.

Tous ces thèmes sont quasiment absents de la campagne présidentielle, mais le candidat de la France insoumise les promeut, à la fois pour montrer la cohérence et l’épaisseur de son programme, et pour éviter de sombrer dans un discours anxiogène. À plusieurs reprises dimanche, Mélenchon a lancé aux spectateurs : « Je veux qu’on ait confiance en nous-mêmes. » « Gloire à l’esprit humain, gloire à nos chercheurs », a-t-il aussi dit, parlant plus tôt d’un « hymne d’amour pour l’histoire de France ».

« Je vous demande humblement de les lire [les livrets du programme], même si vous ne votez pas pour ce programme, a lancé Mélenchon. Ce qui compte, c’est que les idées se répandent. » Une allusion à son concurrent socialiste Benoît Hamon, dont il n’a jamais cité le nom, alors que le leader de la France insoumise a fait huer ceux de Marine Le Pen, d’Emmanuel Macron et de François Fillon.

Mais si ce n’était pas l’objet de son meeting, Mélenchon, qui a annoncé le chiffrage de son programme pour le 19 février, a lancé plusieurs avertissements à Benoît Hamon. « Aussi longtemps que vous resterez dans les traités budgétaires européens, aucune politique progressiste n’est possible », a-t-il répété. Puis : « L’Europe de la défense [que défend, entre autres, le candidat socialiste – ndlr], c’est l’Europe de la guerre. »

Le candidat de la France insoumise sait qu’il doit jouer serré s’il veut emporter la première place à gauche au soir du premier tour. Une place qui, au vu des difficultés de François Fillon, peut signifier une qualification au second tour. « On ne va pas se mentir : ce n’est pas pareil d’avoir Benoît Hamon à la place de Manuel Valls », explique Éric Coquerel, co-coordinateur du Parti de gauche. « On entre dans une phase très délicate, dit une autre membre de l’équipe de campagne de Mélenchon, sous couvert d’anonymat. C’est difficile de savoir comment répondre à Hamon, de savoir si on nous reprochera de bouder l’unité. Ou si le PS est trop discrédité à gauche. »

Dès sa victoire à la primaire, Benoît Hamon a lancé un appel à un accord gouvernemental avec les écologistes et les partisans de Jean-Luc Mélenchon. Mardi, il a rencontré le candidat d’EELV, Yannick Jadot, et un ticket avec Hamon semble probable. « L’idée, c’est d’aller vers un projet commun, a indiqué Jadot au JDD.  Il faudra dépasser les ego et les appareils. Si la dynamique se construit, ça finira par une candidature commune. » Les communistes, eux, envoient des signaux contradictoires mais ne ferment pas la porte, tout en soutenant officiellement la candidature de Jean-Luc Mélenchon.

La France insoumise, elle, demande de la « clarté » à Benoît Hamon. Mélenchon l’a dit lors du meeting : « Il y a une chose à quoi nous dirons toujours non : ce sont les combines, les arrangements. (…) Ce n’est pas une dureté, ce n’est pas repousser, c’est être exigeant. Je suis les représentants des têtes dures, des insoumis, des à qui on ne la refait pas une deuxième fois. » Avant de lancer : « Ne vous laissez pas refaire le coup du discours du Bourget ! »

« Nous posons la bonne question : avec qui Hamon veut-il gouverner ?, assure Éric Coquerel. Les investitures du PS aux législatives le montrent : comment faire une majorité gouvernementale avec des députés qui ne veulent pas appliquer le programme de Hamon ? » Surtout, explique le responsable du PG, « je ne crois pas que Hamon aura l’audace d’aller au bout de sa démarche ». Et s’il l’a ? « Alors, on verra. »