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Macron: un peu plus pour les pauvres, beaucoup plus pour les riches

Macron

Lien publiée le 28 février 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/macron-un-peu-plus-pour-les-pauvres-beaucoup-plus-pour-les-riches-648596.html

La légère hausse du revenu des travailleurs modestes promise par Emmanuel Macron n'est là que pour éclipser les cadeaux aux plus riches. Par Adrien Fabre, École Normale Supérieure & École d'Économie de Paris/Paris School of Economics

 Macron promet que sous son mandat, tous les Français gagneraient en pouvoir d'achat[1]. Est-ce possible? Il prétend que les "réformes structurelles" et la baisse de l'imposition des riches va faire croître la consommation du pays, et que ces gains seront répartis à l'ensemble de la population. Si c'était le cas (j'expliquerai plus bas les raisons d'en douter), ça se ferait au détriment des générations futures (car sa croissance n'est pas verte, et s'effectue en diminuant notre capital naturel -- l'environnement) et de nos partenaires commerciaux (car il veut, dans la continuité de Hollande, faire du dumping en augmentant notre compétitivité -- déjà très élevée).

 Les riches gagnent

Qui y gagne ? Les riches. (Si vous voulez devenir président uniquement grâce à la presse et sans passer par un parti, la leçon à retenir est qu'il vaut mieux se les mettre dans la poche ;-) )

- exemption du patrimoine financier de l'ISF

- flat tax à 30% (+1,75% de CSG qu'il remonte) sur les revenus du capital.

Ceci ne vous paraît pas si choquant ? Prenons le cas concret d'un patron du CAC40 ayant un patrimoine de 15 millions d'euros : 5 millions dans l'immobilier et 10 millions en actions. Ledit patron a par ailleurs un revenu de 3 millions d'euros : 1 million de rémunération (fixe et variable) et 1,5 million en options et actions (imposées comme des plus-values grâce à... Macron ![2]) en tant que PDG, et 500 000 en dividendes (de ses propres actions). Actuellement, à supposer qu'il n'optimise pas ses impôts, le patron paie 1,52 million d'euros d'impôts par an, dont 170 000 au titre de l'ISF. Avec Macron, il n'en paierait plus que 635 000, dont 35 000 au titre de l'ISF. Notez que l'ISF étant déjà faible, c'est donc sur le prélèvement forfaitaire à 30% (au lieu de 45% !) que repose toute l'arnaque. Rappelons au passage que dans les trente glorieuses (où on ne manquait pas de croissance d'ailleurs), les taux d'imposition maximaux pouvaient s'élever jusqu'à 95% aux États-Unis, et 65% en France[3].

 Macron s'appuie sur l'idéologie libérale

Macron s'appuie sur un corpus idéologique (au service des) puissant(s), le libéralisme. Il veut opérer en France le virage que Reagan et Thatcher ont infligé à leurs peuples dans les années 80. Cette idéologie stipule que l'État doit être le plus restreint possible pour laisser la plus grande liberté aux agents économiques d'opérer leurs échanges dans un marché dérégulé. Les fondements économiques d'une telle doctrine sont réfutés depuis longtemps. Premièrement, une intervention de l'État est nécessaire pour pallier les défaillances du marché concernant les externalités (les coûts et bénéfices sociaux non pris en compte dans l'optimisation individualiste).

Et ces externalités sont massives ; éducation, santé, justice, police, infrastructures de transport, recherche, médias, logement, alimentation, armée : tous ces secteurs produisent des externalités positives et seraient sous-financés si l'État n'intervenait pas (et pour bon nombre d'entre eux, sous la condition supplémentaire --vérifiée-- qu'une partie de la population soit pauvre) ; quant à la finance, les industries dangereuses ou polluantes, les activités émettrices de gaz à effet de serre, et (last but not least) les inégalités[4] : s'ils ne sont pas maîtrisés, ils représentent des risques ou des coûts sociaux.

Privatiser les services publics

Deuxièmement, les libéraux considèrent que les secteurs listés ci-dessus, qui rendent un service public, fonctionnent plus efficacement quand ils sont privatisés. Si, par "efficacité", on entend "rapporter des sous aux actionnaires", c'est vrai qu'il n'y a pas photo. En revanche, si on s'intéresse à la qualité du service rendu, le dogme libéral ne survit pas à un examen sérieux. Certes, n'importe quel État fait forcément mieux que le secteur privé : tout dépend de la gestion du personnel.

En l'occurrence, la pratique managériale induite par le libéralisme, qui consiste à pressurer les équipes pour réduire les coûts et augmenter les rendements financiers de court-terme, est un désastre. Pour autant, le statut de fonctionnaire a ses défauts. Macron reste vague quand il dit vouloir changer le statut de fonctionnaire, mais c'est peut-être un des points potentiellement positifs de son projet : appliquer les résultats de recherche en gestion pour améliorer la qualité du service public (sauf que son objectif, c'est plutôt de réduire les coûts, on y reviendra).

Les marchés ne permettent pas une allocation optimale des ressources

Troisièmement, même en l'absence d'externalités, les marchés sont imparfaits à cause de la structure oligopolistique de chaque secteur (due aux rendements d'échelle croissants et à l'accumulation du capital), aux asymétries d'information (qui conduisent à ne pas financer des activités rentables et réciproquement), etc. : en un mot, les marchés ne permettent pas que les ressources soient optimalement allouées. J'ai fait là une analyse économique très classique, pour montrer que (contrairement à ce qu'on entend dans les médias), les économistes sont revenus du libéralisme depuis les années 70 ; mais j'aurais très bien pu montrer par la sociologie que cette doctrine n'est que l'auto-justification intellectuelle de l'élite prédatrice.

 Libéraliser le marché du travail?

Ce détour était nécessaire pour critiquer l'approche de Macron pour s'attaquer au problème du chômage, le "cœur de [son] projet". En effet, il feint de (ou s'entête à) croire que la libéralisation du marché du travail, à l'œuvre depuis 30 ans, va soudainement se mettre à fonctionner. Il n'a pas réussi à faire infléchir la courbe du chômage en tant que secrétaire général adjoint de l'Élysée ou comme ministre de l'économie, mais il compte poursuivre sa méthode. Le CICE, qui consiste en une baisse de cotisations pour tous les salaires inférieurs à 2,5 SMIC, va être pérenniser, tandis qu'une baisse de cotisations supplémentaire jusqu'à 1,6 SMIC va être mise en place, afin de supprimer toute cotisation pour les bas salaire.

Or, deux équipes d'économistes indépendantes ont montré que le CICE avait créé au mieux 80 000 emplois[5], soit un coût annuel de 250 000€ par emploi créé. Dit autrement, l'État aurait pu créer 800 000 emplois s'il avait embauché des gens directement. (À la place, cet argent a servi a augmenté les dividendes, les salaires et les prix.) Quant à la baisse du coût du travail au niveau du SMIC, il y a de fortes chances qu'elle n'ait pas l'effet escompté sur l'emploi, étant donné le fort endettement privé (~200% du PIB) et le désengagement de l'État, qui pénalisent la demande. Ne parlons même pas de la libéralisation du marché du travail, dont aucune étude n'a démontré son efficacité, et qui ne fait que précariser les salariés.

Manque d'ambition en termes d'investissement

Certes, la formation et l'investissement sont des politiques nécessaires. Mais le manque d'ambition de Macron en termes d'investissement ne permettra pas de développer tout son potentiel. Ainsi, difficile de croire que le chômage baisserait de 3% alors que les gains d'emplois potentiels dus à l'investissement seraient compensées par des pertes d'emplois dans la fonction publique. Pour information, les deux solutions ayant fait leur preuve au problème du chômage sont : une législation (notamment fiscale) favorisant les 32h voire les 28h de travail hebdomadaire, et un emploi garanti par l'État pour les chômeur.e.s longue durée (avant tout dans l'Économie Sociale et Solidaire ou les services à la personne). Hamon propose le premier, Mélechon le second.

 Une politique néfaste de baisse des dépenses publiques

Macron veut réduire la dépense publique de 3% du PIB, en coupant dans les dépenses de santé (-10 milliards), dans les collectivités territoriales (-10 milliards) et dans les dépenses de fonctionnement de l'État (-25 milliards, soit 7% du budget de l'État hors intérêts de la dette). Quand on connaît la situation des hôpitaux, de la justice ou de la recherche, pour n'en citer que trois, on mesure combien cette politique est néfaste. Rappelons que l'austérité tue : ainsi, au Royaume-Uni, une étude a montré que les coupes budgétaires récentes dans le domaine de la santé ont causé la mort prématurée de 30 000 personnes[6].

Tout cela pour faire plaisir aux libéraux au pouvoir partout en Europe, parce que le taux de dépenses publiques de la France serait trop élevé. Précisons à ce sujet que les comparaisons entre pays européens ont peu de sens en la matière, puisqu'une part prépondérante est due à la démographie et aux choix en matières de régimes des prestations contributives (retraites et chômage publics ou privés). En outre, il ne faut pas s'inquiéter d'une dépense publique de 60% du PIB, ne serait-ce que parce que, si on comptabilisait la dépense privée de la même manière, on trouverait 265% du PIB[7].

 Transfert de pouvoir d'achat des chômeurs et retraités vers les salariés

 Macron transfère du pouvoir d'achat des retraités et des chômeurs (sauf les plus pauvres) vers les salariés. Il augmentera les impôts sur les (nouveaux) petits épargnants, c'est-à-dire ceux qui ont une assurance-vie (les taux passeront de 23,5% à 30%) ; de même, sa flat tax sur les revenus du capital (qui profite aux riches détenteurs de patrimoine) lésera les gens qui ont un peu de capital malgré un revenu modeste (inférieur à 27 000€/an par part fiscale). Ce chef d'oeuvre de libéralisme est parachevé par une baisse générale de l'impôt sur les bénéfices des sociétés : il veut mener le taux à 25%, alors qu'il était à 50% jusqu'en 1985, et est à 33,3% aujourd'hui.

 Comme si les entreprises ou les riches allaient investir plutôt que d'accumuler leur trésor en spéculant... Alors que pour la première fois depuis 2008, la France aura un déficit inférieur à 3% du PIB (et donc une certaine marge de manœuvre pour s'endetter), Macron s'écrase déjà face à l'Allemagne, en refusant d'investir substantiellement, à un moment où on a l'opportunité historique de s'endetter à taux quasi nuls pour financer l'indispensable transition écologique, comme le recommande d'ailleurs un rapport récent de l'OFCE[9]. Pour information, le plan d'investissement de Macron ne représente que 0,5% du PIB, très loin des 3% requis pour la rénovation thermique et la modernisation des réseaux de transport et d'électricité[10].

Seule pommade pour faire passer la pilule : une hausse du revenu de 7% au niveau du SMIC (+ 65€/mois de prime d'activité qui s'ajoutent au +20€/mois de suppression de cotisations), une légère baisse d'impôt pour les plus modestes (qui ne compensera pas la dégradation des services publics, cela dit) et la permission pour les couples d'optimiser leur impôt sur le revenu.

Il existe quand même quelque chose de génial dans le programme de Macron, c'est l'indemnisation chômage pour les gens qui démissionnent. Grâce à ça, on pourrait tou.te.s démissionner massivement pour mener une sorte de grève générale payée contre son projet inégalitaire !

 [0] http://www.lesechos.fr/elections/emmanuel-macron/0211826576981-emmanuel-macron-mon-projet-economique-2067359.php

 [1] https://www.youtube.com/watch?v=jlGbjnctazQ

 [2] http://www.latribune.fr/opinions/blogs/le-blog-du-contrarian/la-verite-sur-les-remunerations-des-patrons-du-cac-40-en-2015-167-6-millions-euros-565651.html

 [3] http://radioopensource.org/wp-content/uploads/2014/04/Income-tax-rates.png

 [4] http://evonomics.com/wilkinson-pickett-income-inequality-fix-economy/

 [5]http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport_cice2016_28095016_ok.pdfp.29

 [6] Lucinda Hiam et al. "Why has mortality in England and Wales been increasing? An iterative demographic analysis", Journal of the Royal Society of Medicine (2017)

 [7] http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-chez-les-economistes-atterres/20140507.RUE0109/calculee-comme-la-depense-publique-la-depense-privee-depasserait-200-du-pib.html

 [8] https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/111216/remplacer-des-cotisations-salariales-par-la-csg-erreur-ou-projet-cache

 [9] http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf-articles/actu/Rapport-FNTP-01-12.pdf p. 31

 [10] http://www.fondation-nicolas-hulot.org/sites/default/files/publications/etude-creation-monetaire-transition-ecologique.pdf

 Adrien Fabre

École Normale Supérieure & École d'Économie de Paris/Paris School of Economics