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Sur le "partage des richesses" et le "partage du temps de travail"

Lien publiée le 13 mars 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.reseau-salariat.info/1241e5a682aea067da0a1469985cca8e?lang=fr

« Partager les richesses » et « partager le temps de travail » ont en commun un beau verbe de gauche, mais renferment aussi les articles définis « les/le », qui instillent un poison mortel. En effet, laisser « les » richesses et « le » temps de travail se fondre dans l’arrière- plan des projets de la gauche revient à sacrifier l’idée même du partage, laquelle est déjà à l’« article » de la mort.

« Partager les richesses ». Comment ne pas se rallier à cet étendard, quand on se revendique de la gauche ? La formule à peine lancée, ce sont mille projets, mille conquêtes possibles, mille victoires espérées, qui se forment dans les esprits, dans l’espoir d’un meilleur partage, voire d’un partage idéal, dans lequel chacun aurait sa « juste part ». Et à peine a-t-on évoqué l’idée de « juste part » que mille débats se font jour pour savoir de quelle justice on parle, comment se fait la répartition, selon quels critères, etc. Dans toutes ces effusions, une idée est restée intacte, ignorée, impensée. L’idée que ce sur quoi porte l’éventuel partage, idéal ou seulement meilleur, ce sont les richesses. Les richesses produites, les richesses détenues, la richesse de la France, qu’elle possède en tant que membre des « pays riches ». Mesurer ces richesses est affaire d’experts, de calculs savants et de formules opaques. La gauche, elle, s’occupe d’imposer et organiser leur partage.

Funeste erreur stratégique, qui scelle l’échec de toute la gauche. C’est contre cet écueil que se sont construites les dernières innovations sociales de la gauche : le régime général de la sécurité sociale, les conventions collectives, le statut de la fonction publique, la retraite, etc., qui sont autant d’innovations permettant d’organiser la production de richesses, sur un mode qui intègre, à la source, l’objectif du partage. Ne pas le voir, c’est revenir en arrière, c’est perdre du temps, dilapider les forces et décourager les militants. La planète est en train de suffoquer sous un tapis de produits toxiques, dans un contexte de guerres économiques qui répandent la misère sur tous les continents. L’urgence n’est pas de savoir comment on doit partager des « richesses » ainsi produites, elle est de savoir comment on stoppe leur production. Nous n’avons pas besoin de soins palliatifs, mais de développer les remèdes que l’histoire sociale a conçus et mis au point, contre le mode de production capitaliste. La solution réside dans la mutualisation de la production de richesses. Il est possible de permettre à chacun de maîtriser son travail, au sein des collectifs de travail, d’exercer ses droits sur les outils de travail et donc sur les mécanismes de production de richesses. Si chacun est respecté dans son statut d’acteur économique, de plein droit, alors la question du partage est réglée d’avance. À condition de faire vite et de ne pas s’égarer à viser des objectifs anachroniques.

De même, « partageons le temps de travail » est un slogan-piège. Si la planète se meurt, c’est parce que l’organisation capitaliste empêche les gens de faire leur travail correctement. Les postes de travail sont artificiellement raréfiés et orientés vers des objectifs souvent délirants. Mais le travail possible, qu’il ne tient qu’à nous de libérer de la propriété privée capitalistique et d’organiser selon d’autres modes de propriété, lui est surabondant. Dans des dizaines de secteurs, nous ne produisons pas assez : santé, nourriture, éducation, formation, culture, information, etc. Pourtant, les travailleurs et les compétences sont bel et bien là. Dans des dizaines d’autres au contraire, il faudrait être décroissant : plastiques,textiles, armement, publicité, etc. Reprendre la main sur ces orientations nécessaires, à la baisse ou à la hausse, nécessite de briser le carcan du salaire horaire, qui n’est qu’une tentative illusoire visant à mesurer la valeur du travail en train de se faire. Dans presque tous les lieux où les travailleurs sont libérés du salaire horaire, le travail est lui-même libéré. C’est pourquoi il faut cesser d’imaginer le travail comme s’il s’agissait d’un gâteau à se partager.

Dans l’organisation capitaliste, les deux questions centrales du travail sont « combien ? » et « qui ? ». Il faut régler une fois pour toutes ces questions et se recentrer sur « comment ? » et surtout « pour quoi ? ». À la question « qui ? », apportons une réponse simple : « tout le monde ». À la question « combien ? », apportons une réponse doublement collective : à travers des règles sociales communes d’une part, et au sein des collectifs de travail d’autre part. Continuons à encadrer le travail de nuit, le travail du dimanche, les congés, etc., mais laissons les collectifs de travail s’organiser comme ils le souhaitent à l’intérieur de ces bornes, à travers les contrats de travail. Laissons les travailleurs s’engager dans plusieurs contrats d’entreprise, s’ils le souhaitent et si les postes concernés le permettent, et laissons- les, aussi, travailler dans des organisations faiblement contractualisées, comme les associations par exemple. Libérons le travail des tâches répétitives ou ineptes, mais aussi des astreintes inutiles. Partout où les processus peuvent être automatisés, il faut que cela constitue un progrès social et une libération du travail, du travail varié, des tâches maîtrisées de bout en bout.

Même si, historiquement, le passage du paiement à la tâche au paiement à l’heure a pu être un progrès, le salaire horaire est à présent dans une impasse. À l’échelle de la société, l’expression « le temps de travail » est une chimère, une fiction construite dans le but de justifier le marché de l’emploi et la pression par le chômage. S’engager dans une bataille pour partager ce gâteau illusoire, c’est signer la fin du progrès social. L’urgence n’est pas à partager le travail, l’urgence est à émanciper le travail de tous les carcans que les propriétaires capitalistes ont construits dans leur seul intérêt. Il ne faut donc pas faire baisser le taux de chômage, il faut organiser la production de façon que l’idée même de chômage perde son sens. Les fonctionnaires d’état ou les retraités ne revendiquent moins de chômage, tout simplement parce que le chômage n’existe pas pour eux. Pourquoi priver les autres de ce statut manifestement libérateur qu’est le salaire garanti à vie ? Pourquoi ne pas organiser les entreprises privées de façon que les salariés qui y travaillent soient libérés définitivement de la crainte du chômage ? Il ne tient qu’à nous de développer les organisations qui fonctionnent déjà sur ce principe, à condition de ne pas nous épuiser à chasser des fantômes.

Les richesses et le travail ne sont pas les données d’un problème social, ce sont les lieux de l’émancipation et du progrès. La difficulté n’est pas de mettre la main sur les richesses produites, la difficulté est de maîtriser leur production. Le défi n’est pas de partager le (temps de) travail, puisque la quantification du travail est une illusion. Le travail, c’est une activité humaine associée à une reconnaissance socialement organisée (les machines ne travaillent pas, l’argent ne travaille pas, car ni les machines ni l’argent ne se constituent en sociétés). Le défi qui est devant nous est donc de définir une organisation sociale qui soit adaptée à la maîtrise collective des enjeux du travail. Il faut arracher cette maîtrise aux propriétaires actuels et la confier aux citoyens. Techniquement, cela passe par deuxconquêtes principales : d’une part, une nouvelle définition de la propriété privée des moyens de production, sous la forme d’une copropriété limitée à l’usage et ne donnant aucun droit lucratif. D’autre part, il faut instituer la reconnaissance pour tout citoyen de son statut d’acteur économique, de plein droit. Dans ce contexte, le temps au travail serait seulement affaire d’organisation des processus industriels, et de conventions sociales. Le temps n’aurait aucun lien avec le principe de reconnaissance du travail, et en particulier aucun lien avec la rémunération salariale des travailleurs.

Le partage est une belle idée, à condition de lui donner un avenir. Ne la sacrifions pas en échange d’un simple sursis. La gauche ne sera force de progrès qu’à la condition de s’emparer du pouvoir de définir les richesses, c’est-à-dire d’arracher cette prérogative aux propriétaires actuels. La gauche ne sera à la hauteur de l’histoire que si elle s’appuie sur les conquêtes les plus modernes, qui permettent d’organiser la mutualisation des richesses produites et de tourner la page du salaire payé au temps.

Il faut déconnecter le salaire de la mesure du temps. En somme, il faut donner à la gauche le projet de « dés-articuler » les richesses et le temps de travail.

Franck Lebas de Réseau Salariat