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Fraude fiscale vs Fraude sociale, chiffres et solutions

Lien publiée le 18 mars 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/fraude-fiscale-vs-fraude-sociale-190799

Dominique Tian, député LR et auteur du rapport-choc de 2011 sur le coût de la fraude sociale, héraut de la lutte contre l’assistanat, vient de démissionner de l’équipe de campagne de François Fillon suite à sa mise en examen pour blanchiment de fraude fiscale. L’ironie de ce développement symbolise à lui seul la problématique que nous nous proposons dans ce billet.

Le parti d’extrême droite déplore fréquemment les « excès de zèle » et les « atteintes à la liberté » qui accompagnent la lutte contre la fraude fiscale, et au contraire pointe constamment du doigt la fraude sociale et « l’assistanat ». Si le FN se permet, alors qu’il tente de fédérer le vote des classes populaires, de fustiger les abus de prestations sociales, c’est bien qu’il existe une perception, entretenue par les médias et certains partis politiques traditionnels, d’un problème de fraude sociale. En particulier, l’idée selon laquelle les fonctionnaires seraient moins assidus que les employés du privé, une notion complètement fausse et pourtant constamment reprise par les grands médias.

Alors, fraude fiscale et fraude sociale, deux poids deux mesures ? Tentons d’y voir plus clair.

Les chiffres de la fraude sociale

La fraude sociale sous-entend les pratiques illégales visant à percevoir des aides de façon illicite. RSA et allocations non justifiés, mais également arrêts de travail, absentéisme et fraudes à l’assurance maladie.

En ce qui concerne le RSA, les derniers chiffres parlent d’une fraude s’élevant à cent millions d’euros par an. Ce chiffre, rapporté à l’ensemble des contribuables, coûterait à chacun d’entre nous 23 centimes par mois.

Il faut le mettre en perspective avec la somme du RSA non versé aux ayants droit, situé autour de six milliards d’euros. En clair, la fraude au RSA coûte cinquante fois moins aux Français que ne rapporte le fait que la moitié des « assistés du RSA » ne demandent pas leur dû.

En ajoutant l’ensemble des prestations sociales versées par la CAF (aide au logement, allocations familiales et aides diverses) la fraude s’élève à 276 millions en 2015. Encore une fois, un montant dérisoire ramené à l’échelle du contribuable.

Si on s’appuie maintenant sur notre amis Dominique Tian, le total de la fraude sociale en France, incluant l’absentéisme, la fraude à l’assurance maladie et aux caisses de retraite, nous obtenons un chiffre de 4 milliards d’euros, soit 9 euros par contribuables et par mois (la cour des comptes parle de 3 milliards). Ça commence à faire beaucoup, mais tout de même moins que ce que "rapportent" les gens qui renoncent à bénéficier du RSA.

Comment lutter contre la fraude sociale

Pour lutter contre la fraude sociale, l’assistanat, il existe en clair trois approches possibles.

La première consiste à augmenter les contrôles. Problème, cela nécessite d’embaucher de nombreux fonctionnaires, ce qui représente également un coût non négligeable. Mais un rapide calcul révèle que chaque contrôleur rapporte environ 100 mille euros nets par an, et décourage certaines personnes de demander les aides auxquelles ils ont le droit. Ce qui explique surement pourquoi l’état a augmenté de 15% les effectifs des contrôleurs en 2016.

Autre possibilité, supprimer les aides, les réduire drastiquement ou durcir les conditions d’obtention de ces aides. C’est vers ce genre de solution que se tourne Marine Le Pen et François Fillon.

La dernière alternative consiste à verser les aides sans condition de ressources, l’idée du revenu universel abandonnée par Benoît Hamon.

Quoi qu’il en soit, on voit que le « problème » de la fraude sociale reste mineur et ne pèse pas grand-chose face, par exemple, à la fraude aux cotisations sociales non versées par les employeurs (travail illégal ou mal déclaré) qui représente, selon le rapport de la cour de comptes de 2014, 20 milliards d’euros par an.

Les chiffres de la fraude fiscale

On entend par fraude fiscale les pratiques illégales qui permettent d’éviter de payer des impôts ou des taxes. Elles représentent entre soixante et quatre-vingt milliards d’euros par an.

Mis en perspective, cela équivaut au budget de l’éducation, ou de l’armée, ou recouvre la totalité du déficit budgétaire. En clair, si cette fraude était réduite de moitié, les politiques d’austérité n’auraient plus lieu d’être.

À travers les taxes et impôts divers (TVA, IR, impôts locaux…), chaque français paye 137 euros par mois à l’Etat pour compenser le coût de cette fraude.

Or, il est tout à fait possible de lutter contre cette criminalité. En 2015, vingt milliards d’euros ont ainsi été récupérés par le ministère des Finances (et 60 à 80 milliards lui ont filé entre les doigts). Si le recouvrement est en hausse, c’est essentiellement dû au fait que la fraude elle-même augmente en raison de l’explosion des inégalités qui concentrent de plus en plus la richesse. Les révélations des lanceurs d'alertes et l’échange d’informations entre pays exposent également davantage les fraudeurs.

Car cette fraude se manifeste à travers deux principaux aspects : la détention illégale ou non déclaré de comptes privés dans les paradis fiscaux, et les fraudes des entreprises qui réalisent des montages financiers pour échapper à l'impot.

Bien sûr, tout ceci ne forme que la partie visible de l’iceberg. Les milliers d’exilés fiscaux vivant à l’étranger et les multinationales qui bénéficient de montages leur permettant de rapatrier leurs profits dans des paradis fiscaux (comme Apple en Irlande) ne sont pas inclus dans les chiffres de la fraude fiscale, puisqu'il s'agit de comportements autorisés par la loi.

Comment lutter contre la fraude fiscale ?

La première proposition consiste à baisser les impôts pour inciter les exilés à revenir et les personnes en situation d’illégalité de cesser leurs pratiques. Problème, de nombreuses études internationales ont démontré qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le taux d’imposition et la fraude fiscale. Dans son dernier rapport, l’OCDE conclut que c’est la perception des institutions gouvernementales qui expliquent le niveau de fraude. En clair, peu importe le taux d’imposition, seule la peur du gendarme affecte le taux de criminalité financière.

La seconde option consiste à augmenter les moyens de contrôle et de répression. Les révélations des lanceurs d’alertes, en particulier les panama papersluxleaks et swissleaks, ont démontré que les fraudeurs bénéficient de la complicité des banques et de l’aide d’avocats spécialisés dans l’évasion fiscale. Pour traiter ces dossiers complexes, les inspecteurs doivent mobiliser des ressources importantes. Or, depuis 2007, la baisse des effectifs a été constante. Pourtant, chaque fonctionnaire affecté à cette lutte rapporte en moyenne 1,2 million d’euros nets par an à l’état. Et ce n’est pas le travail qui manque. Faute de moyens, seuls 10% des fraudes connues font l’objet de poursuites judiciaires.

Imaginez, vous découvrez la cave d’Ali Baba. Les 40 voleurs l’apprennent et commencent à s’organiser pour vider la cave. Tout est question de temps. Vous avez cinq fonctionnaires avec vous pour faire des aller-retour et récupérer le trésor avant qu’il ne soit déplacé ailleurs. Vous démarrez l’ouvrage, mais décidez en même temps de virer un des fonctionnaires !

C’est exactement ce qui se passe en France. Nous avons connaissance de milliers de comptes illégaux et de fraudes avérées, et nous réduisons le nombre d’employés destinés à instruire les dossiers.

En 2016 les effectifs ont de nouveau baissé de 8,5%, alors que la lutte contre la fraude sociale augmentait son personnel de 15%. Chercher l’erreur !

Dans un article particulièrement détaillé, Éva Joly explique que seule une affaire sur 16 fait l’objet d’amendes ou de poursuite judiciaires, le reste des fraudes ne génère que des redressements. La Commission de l’Inspection des Finances (CIF) est le seul organisme pouvant autoriser les instructions pénales, et ne doit rendre aucun compte. C’est ce que les spécialistes appellent le verrou de Bercy, un système opaque qui retarde le déclenchement d’enquêtes judiciaires et invalide encore aujourd’hui plus d’un dossier sur dix, sans la moindre explication.

Nous avons donc d’un côté une volonté gouvernementale de freiner la lutte contre la fraude, et de l’autre des politiques d’austérité qui conduisent à la réduction du nombre de fonctionnaires capables de générer des millions d’euros de recettes supplémentaires pour l’Etat (depuis 2008, onze milles postes ont été supprimés en France et 56 000 en Europe, alors que la fraude représente entre 1000 et 2000 milliards par an au sein de l’UE). Un comble quand on sait que les déficits budgétaires pourraient être entièrement couverts par la fin de l’évasion fiscale.

Peut-on en finir avec la fraude ?

En 2013, suite à l’affaire Cahuzac, la lutte contre la fraude fiscale (et sociale) prend un nouveau départ. Les titres de la presse s’extasient lorsqu’ils ne déplorent pas la hausse des résultats, qui rapporte de plus en plus d’argent aux comptes publics. La lutte contre les paradis fiscaux et les nouveaux accords sur l'échanges d’informations entre les banques devraient générer des milliards de gigaoctets de données à traiter.

Pourtant, le gouvernement socialiste ne semble pas pressé d’en finir avec la fraude. Il a continué à réduire les effectifs, enterré la loi qui devait permettre le reporting des comptes d’entreprises situés dans les paradis fiscaux et renoncé à soutenir l’action de la Commission européenne visant à recouvrer les 13 milliards d’euro de fraude fiscale qu’Apple a été condamné à reverser. En clair, le gouvernement refuse de récupérer sa part des 13 milliards qui revient au peuple français et soutient la procédure d’appel du gouvernement irlandais qui prend la défense d’Apple.

On croit marcher sur la tête.

Un pays a mis les moyens pour en finir avec la fraude et est parvenu à mettre en prison plus de la moitié des fraudeurs (membres du gouvernement et patron de banques compris) : l’Islande.

Cela a nécessité de faire appel à des experts étrangers et de doubler les effectifs nationaux, mais a produit ses effets et démontre bien que tout est question de volonté et de moyens. Deux choses à la portée de n'importe quel gouvernement désireux de servir l’intérêt général.

Conclusion :

Chaque mois, chaque français verse entre 6 et 9 euros à l’Etat sous forme de taxes et d’impôts pour compenser la perte de revenu lié à la fraude sociale.

Chaque mois, chaque français verse entre 137 et 182 euros à l’Etat pour compenser la fraude fiscale.

La fraude fiscale représente un coût vingt fois supérieur à la fraude sociale.

Depuis 2008, les moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale diminuent, tandis que ceux alloués à la lutte contre « l’assistanat » augmentent, défiant ainsi toute logique économique !

Des lois simples permettraient de rendre illégales des pratiques comme l’exil fiscal (par exemple, l’impôt universel, systématiquement pratiqué par les États-Unis permet de taxer les exilés fiscaux comme s’ils étaient restés chez eux) et le recours aux paradis fiscaux (loi Sapin 2, enterrée par le parti socialiste).

Les Français, qui se font voler jusqu’à 80 milliards par an (un quart du budget de l’État) et doivent compenser cette perte à travers leurs propres impôts, s’apprêtent à voter à 70% pour des candidats qui n’ont pris aucun engagement contre la fraude fiscale, mais des positions très claires contre l’assistanat.

Une justice à deux vitesses pour lutter contre une fraude à deux échelles. Tout un symbole.

Notes et références :

Cet article, initialement publié dans une version longue sur Politicoboy.fr s’appuie en particulier sur les chiffres du rapport de la Cour des comptes de 2014, et les deux articles du monde diplomatique sur la fraude sociale et la fraude fiscale cités ci-dessous. Les autres références et justifications des chiffres avancés sont disponibles dans la version longue. 

  1. Rapport de la Cour des comptes de 2014 : 
  2. Lire cet excellent article du monde diplomatique, la face cachée de la fraude sociale (2013) 
  3. Eva Joly, Pour en finir avec l’impunité fiscale, Le Monde diplomatique juin 2016.